Aujourd’hui, vendredi 13 janvier, s’ouvre le sommet Afrique-France de Bamako. L’occasion de vous proposer une sélection spéciale Françafrique, toute en musiques.
Le 13 janvier s’ouvre à Bamako le sommet Afrique-France (on ne dit plus France-Afrique, ça rappelle trop la Françafrique, et par les temps qui courent, ça sonne pas très chic). Le terme « Françafrique » dont on attribue souvent la paternité à Houphouet Boigny est en effet devenu au fil des années un mot fourre-tout dans lequel on classe l’ensemble des relations opaques entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique, ou mieux – entre leurs dirigeants… car rarement les peuples ont eu leur mot à dire dans les petits arrangements entre amis françafricains. La musique, elle aussi, s’est fait l’écho de ces relations dites « privilégiées ».
FACE A « Vive l’amitié françafricaine »
Qu’on se souvienne par exemple des visites de chefs d’état français sur le continent, reçus en grande pompe, avec des populations contraintes à les accueillir « spontanément ». Ainsi Giscard d’Estaing débarquant à Abidjan en 1978. Et l’orchestre de la Radio Télévision Ivoirienne, alors dirigé par Manu Dibango, avait du se fendre – protocole oblige- d’un circonstanciel Akwaba VGE (bienvenue V. Giscard d’Estaing).
C’est à l’occasion de cette visite que fut inauguré l’immense boulevard, en forme d’autoroute, qui relie l’aéroport d’Abidjan au cœur de la capitale économique. Après le pont Charles de Gaulle, voici que naissait le célèbre Boulevard Giscard d’Estaing.
« Boulevard Giscard d’Estaing, Boulevard de la mort » chanterait une dizaine d’années plus tard Alpha Blondy, moins en référence au président français qu’au boulevard lui-même, où les piétons tombaient les uns après les autres, fauchés par des chauffards, faute d’espace suffisamment protégés.
Giscard d’Estaing a beaucoup voyagé, et a donc aussi souvent été chanté en Afrique. Peu après son élection, lors de sa visite au Gabon, il eut droit à cette chanson.
Côté français (où l’on fit comme en Afrique des chansons de campagne), le chanteur Gérard La Viny a beaucoup suivi Giscard. Ainsi, il interprétait pour sa campagne présidentielle la Biguine à Giscard un hymne accompagnant sa tournée aux Antilles, où est né La Viny.
Sans doute Giscard aura-t-il conseillé son griot à Omar Bongo, puisque La Viny chantera aussi le président gabonais, à l’occasion d’une de ses campagnes électorales (on ne change pas une équipe qui gagne !)
Entre la Gabon et la France – on le sait, il y avait un moyen commode de faire couler les fonds, c’était la compagnie pétrolière française Elf, et sa filiale gabonaise Elf Gabon. Un disque incarne bien cette époque, financé par Elf à l’occasion du 22ème anniversaire de l’indépendance gabonaise. Signé de l’orchestre Peevox, il raconte bien – et sans honte- les rapports amicaux franco-africains, surtout quand ils s’expriment en pétrodollars !
FACE B La Françafrique au pilori
Les temps ont changé, et les louangeurs d’amitié françafricaine, s’ils existent toujours, se font moins nombreux. En revanche, depuis les années 90 – et le retour du multipartisme dans nombre de pays d’Afrique francophone – les chanteurs se sont peu à peu employés à montrer la face cachée, et peu reluisante, de cet invisible Leviathan. Ce n’est évidemment pas un hasard si on trouve ces artistes contestataires dans les rangs des reggaemen ou des rappeurs.
Alpha Blondy, en 1996, brisait ainsi un tabou : celui de la présence des bases militaires françaises en Afrique.
Armée française, allez-vous en
Allez-vous en de chez nous
Nous ne voulons plus d’indépendance
Sous votre surveillance
Il faut dire qu’avec des hommes stationnés en Côte d’Ivoire, au Gabon, à Djibouti, au Sénégal, ainsi qu’au Tchad, la Grande muette française n’a jamais quitté le continent, et a mené plus de cinquante opérations militaires sur le sol africain depuis les indépendances. Dans les grandes heures de la Françafrique à papa (en version de Gaulle jusqu’à Chirac), elle fonctionnait comme une assurance-vie pour des dirigeants cooptés par la France. Ainsi, en Côte d’Ivoire – le pays d’Alpha Blondy – Houphouet Boigny avait pris soin de ne pas donner trop développer sa propre armée (un coup d’état est si vite arrivé), tablant sur la protection de l’armée française qui, ailleurs, n’a pas hésité à réinstaller des dirigeants amis victimes de coup d’état dans leur pays (à commencer par Léon Mba, premier président du Gabon, déposé en 1964 et remis manu militari sur son fauteuil présidentiel).
Certes, sans doute Alpha Blondy n’aurait-il jamais sorti Armée française du vivant de Félix Houphouet Boigny, dont il chanta avec une indéfectible fidélité les louanges.
Sa chanson en tout cas allait resurgir dans les années de braise (2000-2011) que connaîtra la Côte d’Ivoire, où l’armée française joua un rôle déterminant, notamment en contribuant à la chute de Laurent Gbagbo au cours de la crise post-électorale de 2010 / 2011. Alpha Blondy, qui avait soutenu Gbagbo pendant les élections (mais lui demandera de quitter le pouvoir à l’issue du scrutin) remerciera toutefois la France de son intervention quelques mois après, lors d’un concert au Zenith de Paris.
Il n’en reste pas moins que, vingt ans après, malgré des remaniements et la révision des accords de défense avec nombre de pays d’Afrique, la présence de l’armée française en Afrique continue de poser question, pour ne pas dire… problème.
La politique françafrica, c’est du blaguer-tuer
La politique américafrica, c’est du blaguer tuer
Son « petit-frère » Tiken Jah Fakloy enfonçait le clou en 2002, en chantant Françafrique, un titre qui allait donner son nom à l’un de ses plus retentissants albums.
Ils nous vendent des armes, pendant que nous nous battons, ils pillent nos richesses
Et se disent être surpris
de voir l’Afrique toujours en guerre
Ils ont brûlé le Congo, enflammé l’Angola
Ils ont ruiné le Gabon, ils ont brûlé Kinshasa
Compagnon de route de l’association Survie, il récidive dans son album suivant (Coup de Gueule, 2004), en citant nommément des dirigeants africains complices d’un système de détournement de fonds à large échelle qui engraisse leur entourage comme les compagnies étrangères.
Ce titre, l’Afrique doit du fric, figure aussi sur la compilation Africa wants to be Free (2005, publiée par Survie) réunissant des artistes du continent engagés contre les diverses formes de néocolonialisme. Sur ce disque, on retrouve notamment Smockey, le rappeur burkinabé et membre-fondateur du Balai citoyen, mouvement de jeunesse qui contribua activement , en 2014, à la chute de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans.
A cette liste on pourrait bien sur ajouter le Sénégalais Didier Awadi, et tant d’autres encore qui, comme Lexxus Legal (RDC) ou Valsero (Cameroun) ont enfourché le cheval de bataille qui invite, au Nord comme au Sud, à plus de transparence, et à une décolonisation des esprits et des politiques.
Sans préjuger des thèmes qui seront abordés au sommet Afrique-France de Bamako du 13 au 15 janvier, il aurait été de bon ton – en cadeau de bienvenue- d’offrir aux dirigeants qui participent un joli 33 tours spécial Françafrique, avec sa face A, et sa face B.
↓ PLAYLIST YOUTUBE ↓
Couverture article : Pagne imprimé à l’occasion de la visite de François Hollande au Mali en février 2013