À la croisée des sons traditionnels du Malawi et des tendances en vogue dans les clubs européens, Faith Mussa s’ouvre au monde avec son deuxième album, Kalilima. PAM vous présente cet homme orchestre dont le succès dépasse irrésistiblement les frontières.
Faith Mussa est né dans le township de Ndirande, un quartier périphérique de Blantyre, la seconde ville du Malawi. Un environnement où la débrouille fait force de loi. Justement, le jeune garçon de l’époque était inventif et prêt à s’improviser bricoleur pour imiter son père guitariste : « on ne pouvait pas se payer les guitares que l’on voyait à la télé ou dans les magazines, se rappelle-t-il. J’ai donc commencé à fabriquer mes propres instruments pour pouvoir jouer quelque chose. Je fabriquais des guitares en utilisant des bidons d’huile et des câbles de frein de vélo pour faire les cordes ». Le futur musicien apprend alors les bases de la guitare sur ses instruments de fortune, nous avouant même avoir utilisé l’une d’elles dans ses deux albums.
Papa, maman, mes frères et moi
En marge du cocon familial, les parents de Faith Mussa s’étaient déjà fait un nom sur la scène malawite avant même que le fiston ne commence à chanter. En grandissant, ses frères et lui finissent par découvrir la passion qui habite leurs géniteurs et décident de les rejoindre pour former un groupe lié par le sang. C’est donc au plus proche de son foyer que Faith apprend les clés de la performance scénique et de l’écriture, s’imprégnant des musiques fusion et traditionnelle du Malawi, et en s’ouvrant progressivement vers la musique internationale : « mon père est mi-zimbabwéen, mi-malawite, explique-t-il, il possédait donc des disques de chanteurs célèbres du Zimbabwe ou d’Afrique du Sud que j’écoutais beaucoup. En musique internationale, j’aimais particulièrement les chansons avec des guitares, comme Carlos Santana, Georges Benson ou Michael Jackson ».
Plus tard, il commence à s’exercer sur de « vrais » instruments, fier des deux guitares que son père lui a données, rejoignant cette fois son frère aîné au piano et le benjamin à la basse pour former le Mussa Brothers Band, façon Jackson Five du Malawi… jusqu’à ce que l’idée de se lancer dans une carrière en solo vienne lui chatouiller l’esprit. « Mes frères ne souhaitant pas travailler à plein temps dans la musique, j’ai eu la bénédiction de mes parents pour démarrer une carrière, raconte-t-il, ils voulaient vraiment que je poursuive ma passion. Après avoir obtenu mon diplôme de chimie et de mathématiques à l’université, j’ai sorti mon premier album ».
Deux artistes dans le même corps
Telle une pomme fraîchement tombée de son arbre généalogique, Faith Mussa prend le contrôle de sa carrière, et écrit coup sur coup deux albums radicalement différents. Comme pour remettre de l’ordre dans la chronologie des évènements, il nous explique son cheminement artistique : « le premier album que j’ai écrit était en fait Kalilima, et j’ai ensuite écrit Mdidi, un album gospel que j’ai enregistré avec mon groupe ». Ce dernier étant plutôt destiné à s’épanouir au Malawi, l’artiste décide de le sortir en premier pour laisser le champ libre à Kalilima qui, déjà dans les petits papiers du label britannique Beating Heart, avait démontré son potentiel hors de ses frontières. « Je voulais laisser la voie libre à Kalilima car Beating Heart avait besoin de plus de temps pour faire la promotion de l’album et des singles. Ma musique voyageait d’un DJ à un autre et à travers les remixes et collaborations, j’ai travaillé avec Mina et Rudimental, qui sont de gros noms dans le milieu. C’est pourquoi beaucoup de temps s’est écoulé avant de sortir l’album — même s’il s’agissait du premier que j’ai écrit —, histoire que les deux disques se laissent du temps et de l’espace entre eux ».
Là où la quiétude de « Mdidi » s’adresse clairement à un public religieux, l’excellent Kalilima s’inspire de chansons existantes du folklore malawite que le multi-instrumentiste s’amuse à doper avec des substances qui appellent à la danse, pour ainsi se rapprocher des attentes des clubs européens. Il prend un exemple en nous parlant de la chanson « Chimwana Changa » : « Chimwana est un groupe de chanteuses. Cette chanson est un classique utilisé dans les mariages ou lorsqu’un enfant va à l’école. La matière de cet album suit un fil conducteur, je n’ai pas tout écrit moi-même. J’ai essayé de mélanger la musique traditionnelle à la musique club propre à l’Europe. C’est pour ça qu’il y a une grosse basse et de puissantes percussions dans ma musique, avec une vibe traditionnelle ».
Un one-man band sur la route
Aussi riche et débordant d’énergie soit-il, Kalilima n’est pourtant le fruit que d’un seul homme. L’idée de s’affranchir du besoin d’un groupe et de faire cavalier seul lui est venue en tournant avec ses amis, lors d’un concert en solo au Royal Concert Hall de Glasgow, en Écosse : « j’utilisais un simple looper là-bas, et j’ai créé le one-man band en rentrant chez moi après ce concert. C’était quelque chose que personne ne faisait au Malawi et je savais que si je démarrais un tel projet, je serais le premier à le faire. Je savais que ça serait excitant ! » Petit à petit, Faith Mussa capitalise son expérience et son savoir-faire, et se rend vite compte des avantages procurés par le fait de jouer en solo, voyageant comme personne autour de lui et se retrouvant exposé dans des festivals tels que le prestigieux Glastonbury en Angleterre, bien aidés par sa configuration minimaliste : « je suis guitariste et je joue aussi d’un autre instrument à vent qui ressemble à une calebasse, appelé badza. Les percussions traditionnelles sont très lourdes et volumineuses, je ne peux pas voyager avec elles ! Comme je tournais beaucoup en configuration one-mand band, j’ai décidé de les enregistrer sur un sampler Roland SPD SX, puis je connecte le tout à ma loopstation Boss RC 300 ».
Aussi, lors de ses tournées en solo, l’artiste n’hésite pas à saisir l’inspiration là où elle se présente, s’imprégnant de l’atmosphère des lieux et des situations dans lesquels il se retrouve. Chaque morceau a ainsi été pensé ou écrit dans un endroit différent, comme « Ndi Konkuno », chanson chère à ses oreilles qu’il nous cite en référence. Il s’agit en effet du premier morceau enregistré pour l’album, officiellement né le jour où Faith a rencontré le label Beating Heart pour la première fois lors d’un festival au nord du Malawi. Mais son auteur l’aime aussi pour le message qu’il véhicule : « le titre signifie ‘ici’ ou ‘là où nous sommes’, précise-t-il. C’est une chanson qui parle d’amour et du fait d’accepter les autres en dépit de nos différences. Dans la vidéo, on peut voir l’un de mes amis albinos. Avant, les gens touchés par l’albinisme étaient ciblés par les sorciers en Tanzanie ou d’autres pays. La chanson raconte que tout le monde doit être partout le bienvenu. Ils doivent se sentir en sécurité, peu importe, nos différences en termes d’affiliations politiques, religieuses, de couleur de peau ou quoi que ce soit d’autre ».
Pa sa fraîcheur et son énergie contagieuse, Kalilima est définitivement un sérieux candidat pour terminer dans le haut du palmarès des plus belles découvertes de 2019…
Découvrez également l’EP de remixes de Kalilima.