Le journaliste musical Brice Miclet retrace l’histoire du hip-hop en racontant le sample – de ses débuts dans les block parties du Bronx des années 1970 à l’utilisation qui en est faite aujourd’hui par Gucci Mane, Drake, Future ou Kaytranada.
Compilations, roman, autobiographies, BD ou séries télé, les origines du rap n’ont de cesse d’être contées. Composante essentielle de la musique électronique et essence même du hip-hop, le sampling – échantillonnage qui consiste à reprendre des morceaux existants pour en créer de nouveaux − n’avait pourtant jamais été exploré. Il existe bien des sites spécialisés qui dévoilent les secrets de fabrication, parfois bien gardés, des tubes de rap mais aucun ouvrage ne s’était proposé de raconter les petites histoires qui se cachent derrière leurs grands emprunts. De « Rapper’s Delight » du Sugarhill Gang (1979), le premier single rap, à Yah de Kendrick Lamar (2017), en passant par « What’s The Difference » (1999) pour lequel Dr Dre sample Charles Aznavour, Brice Miclet décortique avec passion 100 morceaux de rap, principalement issus du répertoire américain. Incontournables ou méconnus, chaque échantillon est remis dans son contexte − à la fois politique, culturel et social − de production ou d’emprunt, faisant de cette anthologie de 40 ans de slamping hip-hop une savante leçon d’histoire. Fourmillant d’anecdotes savoureuses, Sample ! est un excellent moyen de revisiter certains classiques et d’en découvrir de nouveaux. Mais c’est avant tout une plongée dans le vaste spectre des musiques de la seconde moitié du XXe siècle et donc un livre à mettre en toutes les mains, amateurs du genre comme mélomanes curieux.
« Il existe beaucoup de préjugés sur le hip-hop. L’un d’eux serait que cette musique soit née de la contestation, d’un mouvement social. C’est à nuancer. Ce qui a construit le genre, c’est sa capacité à absorber, par des procédés artistiques, techniques et technologiques, les autres styles musicaux, via le sampling. C’est dans son ADN, et ce livre tend à le montrer. »
Brice Miclet, Sample !
Ce que le sample raconte d’abord du hip-hop, c’est qu’il s’agit d’une musique érudite, ouverte à toutes les autres. Dans la première moitié des années 1970, les pionniers du rap (DJ Kool Herc, Bambataa ou Grandmaster Flash) pillent les répertoires de leur époque (soul, funk, rhythm and blues) pour chercher les meilleurs breakbeats et faire danser les B-boys. Puis à la fin des années 1980, les innovations techniques aidant, le hip-hop s’ouvre à d’autres genres. En 1986, par exemple, License to ill des Beastie Boys, le premier disque rap à s’être hissé à la tête des charts US, fait la part belle au sample rock. Avec lui, le label Def Jam marque l’histoire du hip-hop « en propulsant sa recette dans toutes les radios : un pont entre public rock et public rap, incarné par ses deux créateurs, le fan de punk-rock, Rick Rubin, et le gosse du Queens, Russels Simmons ». « Rhymin’ & Stealin », le premier morceau de leur album, s’ouvre sur la batterie de « When The Levee Breaks » de Led Zeppelin, « l’un des motifs rythmiques les plus connus du rock’n roll ». Par la suite, il deviendra l’un des breakbeats les plus utilisés dans le hiphop. On le retrouve notamment sur « More Beats + Pieces » (qui rassemble pas moins de 20 samples différents) du duo anglais Coldcut, fondateur du label Ninja Tune.
Dej Jam, Ninja Tune ou encore Death Row… le livre raconte l’histoire de labels mythiques, de producteurs talentueux (Marley Marl, The Bomb Squad, Erik B et Rakim, RZA, DJ Premier, Q-Tip, Pete Rock, Madlib, Kanye West..) mais aussi celles de l’évolution des machines (boîtes à rythmes, échantillonneurs, synthétiseurs) qui ont permis de démocratiser le sampling et d’en faire « l’ADN » du hip-hop.
L’ouvrage de Brice Miclet regorge aussi d’histoires sombres, faites de procès retentissants, notamment lors de l’émergence du mouvement dans les années 1970–1980. La pratique du sampling a beau avoir donné certaines des plus belles pépites du genre, elle n’en reste pas moins un vol. Un “vol bienveillant”, comme aime le qualifier l’auteur – mais un vol quand même. Si bien que les batailles judiciaires pour violation de droits d’auteur ne manquent pas. Le sample a en effet traversé ces trente dernières années en faisant face à la défiance des artistes samplés et à un arsenal juridique de plus en plus contraignant ; à commencer par l’application du Fair Use Act et au développement des systèmes de clearance, astreignant les beatmakers à reverser des royalties aux artistes samplés. À tel point que certains hits n’ont parfois été générateurs d’aucun profit, à l’image de « Can I Kick It ? » (1990) produit par Q-Tip. Un morceau « qui propulsa A Tribe Called Quest vers les cimes du hip hop » en samplant la ligne de basse de « Walk On The Wild Side » (1972). D’après Brice Miclet, Lou Reed aurait dit : « Vous pouvez l‘utiliser mais j’empoche tout dessus ».
Idem pour « I’ll Be Missing You » (1997). Sting, bassiste-chanteur de The Police et détenteur de l’intégralité des droits de « Everyth breath you take » (1983) a demandé 100% des royalties à Puff Daddy qui aurait « oublié » de lui en demander l’autorisation. On s’amuse de découvrir que les deux autres membres de The Police n’ont pas touché un centime de ce sample là, alors que c’est la guitare d’Andy Summers qui était samplée. Brice Miclet rapporte qu’en 2000, les membres de The Police donnent leur première interview commune en quinze ans au magazine Revolver. lls discutent tous les trois et Stewart Copland, le batteur, dit : « Andy, tu devrais te lever et dire « Moi je veux tout l’argent de Puff Daddy. Parce que ce n’est pas une chanson de Sting qu’il a utilisé, c’est mon putain de riff (..) Sting, tu vis dans ton palace en Toscane. Tu peux m’en acheter un en Italie à moi aussi ? Avec les retombées du single qui a été le plus longtemps en tête des charts dans l’histoire de la radio ? » Et Sting répond : « Non, je n’ai pas de château. En Toscane on appelle ça un palazzos… si tu veux je te prêterai une chambre. »
« I’ll Be Missing You » de Puff Daddy est un hommage à son poulain et ami The Notorious B.I.G., assassiné en 1997, à 24 ans. Un titre, qui montre aussi que le sampling hip-hop peut être motivé par d’autres raisons que celles purement musicales : « Donner un sens discursif à son sample est une pratique qui est arrivée dans le hip hop au cours des années quatre-vingt-dix (…) C’est lorsque le rap s’est défait de sa stricte image de musique sur laquelle on peut danser que les thèmes ont explosés en son sein et que les origines du sample sont devenues plus variées. »
Le morceau samplé peut alors inspirer le titre hip hop comme « The Big Payback » d’EPMD (1989) qui reprend « The Payback » (1973) de James Brown ou « Hard Knock Life (Ghetto Anthem) » de Jay-Z (1998) qui sample « The Hard-Knock Life » de la bande originale de la comédie musicale Annie (1982). Les extraits choisis viennent aussi souligner les opinions du groupe. To the East, Blackwards (1990), le premier album du très politique X-Clan, est « un brulot, une mise en pratique de mois, voire d’années de militantisme et contient plusieurs références à leur combat » pour la liberté et l’unité. On y retrouve des extraits de discours de Malcom X (sur « Raise the Flag ») ou de Fela Kuti, activiste acharné de la cause panafricaine et défenseur des droits de l’homme (sur « Grand Verbalizer, What time is it ? »). L’extrait samplé de « Sorrow tears and Blood » (1977) est court – le « Ey-yah » scandé par les choristes au milieu du morceau, mais le symbole est fort.
Le sample peut aussi entrer en résonnance avec le texte rappé. Comme sur le titre « Road to Zion » de Damien Marley feat Nas (2005) qui sample le début de « Russian Lullaby » (1958). Chanté par Ella Fitzgerald, ce morceau et été écrit par un émigré Russe, le parolier Irving Berlin. « Russian Lullaby c’est la chanson du souvenir du pays natal, celle qui lui dit qu’il y aura toujours une Volga ou une berceuse russe pour lui à son retour. C’est une ode au paradis perdu. (…) Sur son titre Damien Marley chante Babylone. Encore une histoire de paradis perdu. Non seulement le sample est marquant mais il établit une connexion entre le déracinement d’Irving Berlin et la quête d’un monde meilleur de Damien Marley ».
Principalement focalisé, on l’a dit, sur les productions américaines – « ce livre met en avant des innovations, des histoires, et des techniques inédites du sampling… et les Américains ont inventé beaucoup de choses » – certains architectes français du son (et la France en compte beaucoup) sont toutefois présents. DJ Mehdi, notamment, qui a tant contribué au succès du 113 – ici pour « Tonton du Bled » et son sample de « Harguetni Eddamaa » d’Ahmed Wahby, maître du El Asri, genre musical typiquement oranais. On croise aussi une figure des musiques contemporaines méconnue du grand public et que les producteurs n’ont eu cesse de convoquer. Le pianiste, compositeur et arrangeur né en 1947, Alain Mion, qui a débuté sa carrière en fondant le duo jazz soul Cortex. Leur premier album, Troupeau Bleu a refait surface en 2004 lorsque MF Doom en a samplé un titre. Ce même album sera ensuite échantillonné par Tyler The Creator, Wiz Khalifa, Fat Joe ou encore récemment Damso sur « Amnésie » (2016). Mais selon l’auteur, le titre « Mural » de Lupe Fiasco (2016) qui reprend lui aussi « Chanson d’un jour d’hiver », « est sûrement l’une des plus belles réussites musicales nées de cette récupération tardive de Cortex ».
Sample ! Aux origine du hip-hop est la preuve, s’il en fallait une, que le sample n’est pas un art caduque ou désuet, réservé aux « puristes » mais une pratique encore très actuelle. « Le sample n’est pas mort » clame haut et fort Brice Miclet : « il est seulement devenu une corde de plus à l’arc de nombreux jeunes producteurs émergents, un outil supplémentaire convoqué non plus dans un esprit de nécessité, de compétition ou d’innovation, mais dans une volonté purement musicale et artistique. N’est-ce pas, au fond, ce que les producteurs hip-hop ont toujours recherché ? »
Sample ! Aux origine du son HIP-HOP de Brice Miclet est en librairie aux édition Le Mot et le Reste