Ancien instituteur, le très francophile Cyril Ramdoo est un ségatier à l’écriture recherchée et pleine d’humour. Il nous reçoit dans son quartier résidentiel, à Coromandel, dans le nord de l’île.
Cyril Ramdoo se voit peu de filiation parmi les ségatiers de l’île Maurice, à part le pionnier Roger Augustin, auteur entre autres de Séga Picnic, dont le phrasé l’inspire. Cyril a une verve comique bien à lui, truculente sans tomber dans la vulgarité. Il s’enorgueillit qu’un père de famille lui ai dit qu’il peut faire écouter ses chansons à ses enfants. La musique, Cyril avoue avec un éclat de rire dans la voix « être tombé dedans quand il était petit, comme Obélix. ».
Né en 1947, il est issu d’une fratrie de neuf enfants. À huit ans, il chante au théâtre de Port-Louis avec l’orchestre de la police dont fait partie son père. Une bonne école pour faire ses gammes, puisque le papa d’un autre chanteur de séga réputé, Mario Armel, était musicien dans la fanfare de la police. « On habitait dans des résidences réservées aux policiers, rue Montseigneur Leen à Port-Louis » raconte Cyril. La famille Ramdoo est l’une des rares du quartier à avoir un gramophone qui inonde la rue avec du Tino Rossi. « C’était une ambiance où tout le monde se connaissait. Mes soeurs chantaient, mes frères jouaient de la musique. »
Au début des années 1960, l’adolescent intègre la chorale du collège royal de Port-Louis : « Tous les ans, un grand concert était organisé avec les collégiens. J’avais une voix de ténor. Un ami m’a prêté une méthode intitulée : Je joue de la guitare. C’est comme ça que j’ai appris l’instrument. » De fil en aiguille, Cyril joue dans des petits orchestres. À l’occasion de bals ou de mariages, il reprend des standards d’Harry Belafonte, Elvis Presley, Frank Sinatra…
Les premiers ségas
En réalité, le séga, cette musique racine de l’île Maurice, n’arrivera que plus tard dans la vie de Cyril Ramdoo. Il est nommé instituteur à l’école de Bambous à vingt-sept ans. C’est là qu’il fait une rencontre déterminante avec… un sergent de police ! Le jour de la fête de l’indépendance de l’île Maurice (le 12 mars 1968), l’établissement scolaire accueille le sergent comme guest of honor (invité d’honneur). Celui-ci, un certain Jocelyn Siou lance: « Monsieur Ramdoo, est-ce que vous voulez m’accompagner à la guitare sur un séga ? » La chanson s’intitule Baptême les temps margoze. Pour Cyril, ça fait tilt. À l’époque, les ségatiers qui enregistrent en studio comme Serge Lebrasse, Jean-Claude Gaspard, Marie-Josée et Roger Clency… ne sont pas si nombreux. Cyril va voir le chef d’orchestre Gérard Cimiotti : « Il pouvait jouer de tous les styles au Dodo club, au Racing club, au Cercle de Rose-Hill… Il avait une oreille extraordinaire. Je lui ai fait un a cappella et il m’a dit : – On peut mettre ça sur un disque! »
Le 45 tours sera disque de l’année à Maurice en 1974 et diffusé à la radio. On ne change pas une équipe qui gagne et Jocelyn Siou donnera à son ami un autre séga couronné de succès : Lalangue pena lézo. (La langue n’a pas d’os) Comme souvent dans le séga, la chanson est inspirée de la vie quotidienne : « Près de la station de police à Bambou, il y avait une fontaine publique où les femmes allaient chercher l’eau le matin. Dans les villages il n’y avait pas d’eau potable à la maison. C’est là que les flots de palabres commencent autour du robinet ! »
Par la suite, Cyril Ramdoo composera lui-même ses chansons en continuant de puiser dans la fontaine de la vie (l’ingénieur du son Philippe de Magnée a d’ailleurs fait un remarquable inventaire de sa discographie sur filoumoris.com). La plus connue s’intitule « Fraudère mariaze ». Nous sommes pendant un mariage à la fin des années 1970 salle Jean-Lebrun, aux Salines à Port-Louis. L’orchestre de Gérard Cimiotti y reprend les airs de disco à la mode, les Bee Gees… À un moment, le marié fait une annonce au micro : « Il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas été invitées. » Soudain, c’est une grande débandade, à coups de pieds et à coups de poing les « fraudeurs » se font sortir par l’escalier et la salle se vide de moitié.
« Quand je suis rentré à la maison à deux heures du matin, cette histoire a continué de me travailler. J’avais une mélodie en tête et des bribes de paroles que j’ai couchées sur le papier dans le salon. » C’est ainsi qu’est né un classique qui permettra à son compositeur de remporter en 1979 le premier prix « d’une île à l’autre », un concours organisé entre l’île Maurice et la Réunion. Fraudère maryaze a même connu une deuxième vie inattendue. En juin dernier, Cyril Ramdoo reçoit des dizaines de coups de téléphone: « On a entendu ta chanson ce matin ». La raison ? Un escroc d’origine mauricienne a volé pour 16000 dollars de cadeaux (argent liquide, bijoux, chèques cadeaux) à des jeunes mariés en Australie. « On m’a même proposé de traduire ma chanson en anglais pour les Mauriciens d’Australie », sourit-il.
Animateur, instituteur, puis PDG
La collaboration entre Cyril, Gérard Cimiotti et leur guitariste Karl Brasse durera une quinzaine d’années: « J’arrivais au studio de Gérard, avenue Victoria à Quatre bornes. À l’oreille, ils plaquaient leurs accords sur ma mélodie. Toutes les semaines on répétait. J’ai aussi croisé les pères du ségas typik que sont Ti Frère, et Fanfan. »
Cyril Ramdoo ne chôme pas puisqu’il est instituteur le jour et animateur la nuit à l’hôtel la Pirogue à Flic-en-Flac, une plage touristique de l’ouest de l’île. La Pirogue financera en 1987 Maurice, ça va ? la première K7 de l’artiste. Le clou en est le titre Descende pousser. Comme toujours avec Cyril, l’humour niché dans les anecdotes n’est jamais loin. Le bus qui emmène les convives à un pique-nique familial tombe en panne et ils sont contraints de pousser .. Malheureusement, ce disque novateur au niveau des arrangements jazz (signés Ernest Wiehe, où l’on entend aussi l’excellent trompettiste Claudio Cassimally) passera inaperçu.
Un autre de ses disques est produit par l’hôtel Belle-Mare où Cyril Ramdoo sera animateur de dîner pendant trente-quatre ans. Toujours en musique, Il fera aussi la promotion touristique de l’île Maurice à la foire de Berlin, à Munich, en Autriche, en Italie, en Australie…
Aujourd’hui, Cyril Ramdoo, retraité, se décrit avec humour comme un PDG (c’est à dire : « un pensionnaire du gouvernement » ). Mais il n’a pas dit son dernier mot. Le 27 août dernier au Caudan Arts Centre, le ségatier, soutenu par le ministère des Arts et de la Culture, s’est produit avec sa comédie musicale Face à Fars, projet auquel son fils Joël, par ailleurs guitariste de hard rock, a contribué. Cyril y reprend entre autres son personnage du « fraudeur mariage » Gaby et met en avant des situations cocasses de la réalité mauricienne, y compris la politique (Eleksion) avec des intermèdes animés par deux compères Tiku et Gunia (pour Chikungunya).
Avec cette comédie musicale, Cyril Ramdoo continue de porter haut le flambeau du séga comique. « Les Mauriciens rient de moins en moins. » déplore le conteur qui a même adapté Le corbeau et le renard de la Fontaine en créole mauricien : Tiki (le martin) et Romiké (le chat marron). Réalité mauricienne oblige, le fromage a été remplacé par… du poisson salé.
La comédie musicale évoque des traditions qui se perdent, comme les salons de thé dans les hôtels avec la chanson Lotel dité. « Il y a tout un vocabulaire, le « blanc tiède » c’est un thé au lait, un rouge tiède ou un champagne c’est un thé pur, un « avion » c’est un thé très chaud. Les jeunes ne connaissent pas ces expressions. » À l’heure où de nombreuses légendes du séga Michel Legris, Roger Clency, Georgie Joe… disparaissent les uns après les autres, le fanfaron Cyril Ramdoo émet un souhait : « J’aimerais que les gens se souviennent de moi de mon vivant ! » Pa blié li (Ne l’oubliez pas!)