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The Pan African Music Magazine
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Au Soudan : des musiques, un héritage pour unifier la nation

Au Soudan, le projet Tonjela vise à recueillir et à valoriser l’immense patrimoine musical du pays, dans toute sa diversité. Car ici aussi, la musique a un rôle politique et social majeur.

Abdulsalam El Haj collectionne des cassettes de musique soudanaise depuis le lycée. Après les cours, il traîne dans les vieux magasins du souk d’Omdurman, cœur historique de la capitale, ou auprès d’anciens labels chez qui il récupère les dernières cassettes de ses artistes favoris comme Mahmoud Abdelaziz ou Shaharbil Ahmed. Cette habitude devient très vite une passion pour la collecte et la documentation de l’histoire musicale du Soudan. En 2013, l’industrie des cassettes disparaît peu à peu, et avec elle un pan de la musique soudanaise jusqu’alors enregistrée sur ce seul médium. Abdulsalam décide donc de collecter le plus de cassettes possible afin de créer une collection qui rendrait hommage au patrimoine musical de son pays. 15 ans après, sa collection rassemble plus de 10 000 cassettes, qu’il a décidé de digitaliser après avoir ouvert le Rift Digital Lab, un espace dans le centre de Khartoum dédié à la création visuelle et sonore. C’est avec ce projet d’archivage sonore qu’Abdusalam se donne la mission de sauvegarder les trésors musicaux du Soudan. C’est la naissance de Tonjela. 

Tonjela c’est une histoire d’identité, de son et de génération. Issu d’une des langues nubiennes, peuple du nord du Soudan vivant sur les bords du Nil, Tonjela fait référence à la beauté d’une fille, « j’ai choisi ce nom car nous avons une longue et magnifique histoire musicale au Soudan avec des rythmes et des sonorités d’une grande richesse » raconte Abdulsalam. Tonjela c’est aussi un jeu de mot habile qui rassemble le concept de « ton » en musique et de « gila » qui signifie “génération” en arabe. Pour le jeune producteur, Tonjela parle donc de génération et de mélodies. Des plaines du Nil Bleu aux montagnes du Darfour en passant par la côte de la mer Rouge, Tonjela nous fait voyager à travers les époques et les sonorités qui caractérisent ce pays riche de ses dizaines de cultures.. Musiques ethniques, jazz ou musiques populaires, Abdulsalam veut transmettre la richesse qui fait la particularité du Soudan et offrir des connaissances nouvelles sur ce pays mal connu.

C’est dans les locaux du Rift Digital Lab, à quelques minutes du Nil Bleu, qu’Abdulsalam cache son trésor. Derrière une petite porte, des centaines de cassettes aux couvertures colorées et kitch s’empilent les unes sur les autres. Posé au milieu, un poste radio, ouvert et prêt à embarquer les visiteurs dans un voyage à travers les terres soudanaises. Sa banque sonore est une mine d’or et Abdulsalam le sait bien « ce projet est destiné à la jeunesse soudanaise, mais aussi aux passionnés, qu’ils soient soudanais ou du monde entier, pour que notre musique ne disparaisse pas et qu’elle puisse être écoutée et reprise au-delà de nos frontières » raconte le jeune artiste.

Musique et révolution

« Pour moi, la musique a toujours été liée à la résistance au Soudan, qu’elle soit politique, sociale ou culturelle » explique Abdulsalam. Si l’on s’intéresse à l’histoire du Soudan, de nombreux musiciens ont été des catalyseurs de l’esprit révolutionnaire, comme Mohammad Wardi notamment. Icône national de la musique soudanaise, il a été plusieurs fois emprisonné pour ses musiques engagées contre la dictature militaire.

Quand la révolution soudanaise éclate en décembre 2018 et que le sit-in s’installe devant le quartier général de l’armée en avril 2019, la jeunesse s’empare de cet événement historique pour en faire aussi une révolution artistique. Le sit-in se transforme en lieu d’expression pour la jeunesse, des musiciens de tout horizon se retrouvent pour s’approprier l’espace public et jouer ensemble. Des groupes venus des zones en guerre depuis l’arrivée au pouvoir de Omar el Béchir en 1989 se produisent même pour la première fois à Khartoum. C’est le cas du groupe Nuba Mountains Sound, du Kordofan du sud. 

Ces jeunes d’une vingtaine d’années viennent pour la première fois dans la capitale de leur pays après avoir passé les dernières décennies sous les bombes. Grâce à leur musique, une partie des Soudanais découvre les histoires et les crimes commis dans ces régions, jusque-là censurés. La révolution se transforme alors en laboratoire où la musique prend une place centrale pour dénoncer les crimes du régime islamo-militaire comme le raconte Abdulsalam : « combiné avec des tons, des rythmes de tout le pays, les Soudanais ont utilisé la musique comme une arme de résistance pour se battre de manière pacifique ». 

Avec la révolution, la jeunesse s’est aussi appropriée une part de son héritage musical, et le vent de liberté qui soufflait sur Khartoum a permis à une nouvelle scène de s’affirmer : la scène rap. « Un mouvement politique pareil ouvre tellement de portes dans l’esprit des jeunes, le rap s’écoutait à la maison mais avec le sit-in les artistes ont pu se produire, c’était les premiers grand concerts qui avaient lieu et tout était gratuit » explique Abdulsalam. L’une des icônes rap de cette époque, Ayman Mao, en exil aux Etats-Unis à cause de ces chansons anti-Béchir, est même revenu en 2019 pour se produire sur le sit-in devant des milliers de personnes. Ses chansons sont devenues des slogans repris lors des manifestations et dans les rues. « Pendant la révolution on pouvait entendre sa musique “Rassas Al Hayat”,  à chaque coin de rue, dans chaque quartier, les enfants et les adultes chantaient son morceau » se souvient Abdulsalam.

Musique et identité

Pour Abdulsalam, le projet Tonjela est aussi un moyen de rassembler les fragments de l’identité soudanaise, question qui demeure encore aujourd’hui un enjeu politique et sociétal majeur pour le pays.  « Il y a toujours eu ce débat au Soudan sur l’identité, sommes nous arabes ou africains ? La réponse est facile, nous sommes soudanais, nous sommes un peuple avec une grande diversité, de nombreuses tribus mais notre identité est soudanaise » affirme Abdulsalam. Et toute la musique qu’il a compilée dans sa bibliothèque incarne, mieux encore que les mots, une forme de réponse à cette question identitaire. Une réponse en rythmes et en mélodies, de génération en génération. En un mot, Tonjela.  

© Arthur Larie
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