On connaissait le Blick Bassy musicien, auteur-compositeur, interprète, producteur installé en France depuis 10 ans. On a découvert, bluffé, l’écrivain. Avec Le Moabi Cinéma, son premier roman, le bluesman camerounais signe une comédie féroce et délicieusement subversive, une autre histoire de l’immigration.
Boum Bidoum, son double de papier, est un enfant de Yaoundé. Fils du très pieux commissaire Boum, on le surnomme « Mingri » à cause de sa silhouette fluette et de sa petite taille. Après avoir arrêté la fac, il n’a qu’une seule préoccupation : quitter le pays. Simonobissick le bagarreur, Obama l’homonyme de quelqu’un, Rigo le footballeur et Kamga, l’homme qui vit « au futur présent et joue les devins d’après-demain », ses amis d’enfance, sont eux aussi candidats au départ. Tous espère passer du « statut de mendiant de visa » à celui de « grand quelqu’un ». En attendant de décrocher le précieux sésame pour l’Europe, la « bande des cinq » trompe l’ennuie : elle se piétine au football, tuerait père et mère pour un regard de la fille du pasteur, vide des casiers de bières bien frappées « Chez Molo l’Infalsifiable » et refait le monde à travers le filtre ceux qui vivent à « Mbeng », en Occident. Les mbenguistes.
« Les années s’écoulaient, scotchés que nous étions chez Molo le barman, nous assistions maintenant avec plus de rage au débarquement des immigrés de retour au pays. Quand commençait la saison des pluies et des orages, ils tombaient des avions comme des essaims de guêpes. Et ces guêpes nous piquaient, nous ratatinaient nous expulsait des regards des autres pour les monopoliser à leur profit. C’était chiant, c’était la relégation en division inférieure. Ils étaient les mbenguistes. Ils avaient droits à tout et nous aux miettes qu’ils voulaient bien nous jeter (….) Ils respiraient différemment, marchaient autrement, ils exprimaient quelque chose de précieux, de policé, de craquant, de raffiné, de vachement supérieur. Ils étaient finis, nous étions à finir. Ils étaient riches, nous étions pauvres. Ils étaient adroits et nous maladroits, hébétés, patauds. On aimait donc les écouter parler (…) Nous les détestions et les admirions à la fois. Ils étaient ce que nous voulions devenir, ils avaient réalisé notre rêve. Les salauds ! »
Roman sur la désespérance de la jeunesse africaine, Le Moabi Cinéma croque le fantasme d’un Occident qui n’existe que dans les témoignages hâbleurs de quelques « glorieux revenants » et dans la « parlotte » des « chaînes d’information séquentielles », celles qui marchent entre deux interruptions de courant, entretiennent la « blanchitude » et le rêve d’Occident. Blick Bassy leur confronte les images autrement réalistes projetées par un mystérieux Moabi (un immense arbre sacré d’Afrique centrale, aujourd’hui en voie de disparition). Cet « arbre-écran » hautement gardé par l’armée – le pouvoir a tout intérêt à cacher la vérité – va bouleverser Boum Biboum et remettre ses certitudes sur l’immigration. Comment raconter ce qu’il a vu ? Qui le croira ?
A l’heure où des milliers de jeunes Africains choisissent de quitter le continent au péril de leur vie, Blick bassy en appelle à la farce et à la magie pour alerter sur les mirages d’un « Occident-Eldorado ». D’une plume truculente et caustique imprégnée de « camfranglais »*, il dit à toute une jeunesse sa richesse et lui somme de ne « pas attendre la traversée des mers et des océans pour (se) réaliser ».
* camfranglais : créole camerounais mélangeant le français, l’anglais et des mots empruntés à différentes langues du Cameroun
A écouter : Blick Bassy, Akö, No Format. En tournée dans toute la France.
A lire : Le Moabi Cinéma, Ed. Gallimard, collection Continents Noirs, 228 p.