Guajira du Sénégal, Son Montuno de Guinée, Charanga du Mali
Le Sénégal est devenu une terre de prédilection pour l’Afro-Cubain, et tous les grands orchestres – ceux nés à l’indépendance comme leurs petits frères des années 70 & 80- comptaient dans leur répertoire quelques standards. Aujourd’hui encore, la « salsa » fait encore vibrer les nuits de plusieurs clubs dakarois. Certains vétérans de l’Orchestra Baobab continuent d’ailleurs de se produire le week-end sur scène avec une fringante et nostalgique élégance. Futa Tooro et Gouye Gui [Pistes 4 & 5 DEEZER / SPOTIFY] font partie de leurs grandes succès, qui seront plus tard repris par le all-stars Africando dont on reparlera plus loin. D’ailleurs, cette vogue afro-cubaine va servir de matrice pour de nouvelles musiques. Au Sénégal, des groupes comme le Star Band peu à peu s’émanciperont des modèles d’outre-Atlantique et, introduisant les tambours sabar et le tama (talking drum), s’achemineront vers ce qu’on appelle le mbalax. La chanson Thiely [Piste 9 DEEZER / SPOTIFY], où l’on entend la voix du jeune Youssou Ndour, est déjà sur la route du genre qui deviendra la musique nationale sénégalaise.
En Guinée, les membres du Bembeya Jazz National ont été biberonnés aux musiques cubaines tout autant qu’à celles de leur terroir d’origine. Il faut dire qu’après l’indépendance du pays, Sékou Touré avait décidé de bannir les musiques occidentales des ondes, et même des orchestres ! Lui qui aimait à répéter « la culture est un moyen de domination bien plus efficace que le fusil » voulait en finir avec le lavage de cerveau colonial, et redonner aux Guinéens le goût et la fierté de leur culture. Mais la musique cubaine faisait exception, sans doute parce qu’elle venait d’un pays frère partageant les mêmes idéaux que la révolution guinéenne.
Et puis, indéniablement, la musique cubaine avait cette indicible parenté avec l’Afrique. « Les peaux », expliquera un jour, lapidaire, le doyen Manu Dibango. Car tous les orchestres cubains avaient leur congas (ou tumbas) qui rappelaient les percussions africaines, bien mieux que les futs de la batterie jazz. Keletigui Traoré et ses Tambourinis comme d’autres orchestres mythiques des fastueuses années 60 & 70, conservèrent dans leur répertoire quelques morceaux afro-cubains comme Guajira con tumbao [Piste 6- DEEZER / SPOTIFY et sa version chantée par la Fania All Stars latino-américaine– Piste 7 DEEZER / SPOTIFY]. Le Bembeya Jazz National eut même la chance d’aller se produire à Cuba, qui accueillait la grand messe du socialisme international : le festival mondial de la jeunesse. Sekou « le Growl » Camara se souvient que pour lui, « c’était comme partir à la Mecque ! » Sur place, ils rencontrèrent les membres de l’Orquesta Aragon qu’ils écoutaient sur les 78 tours, et Demba Camara, le chanteur vedette du Bembeya, chanta même à Abelardo Barroso son fameux « En Guantanamo » [Piste 2 DEEZER / SPOTIFY].
L’aventure cubaine
Cuba avait l’avantage d’être révolutionnaire, à la pointe de la lutte anti-impérialiste, engagée dans les luttes de libération en Afrique (Congo, Angola) et de vivre au son d’une musique qui parlait à l’Afrique. L’afro-cubain devint sans le savoir le meilleur ambassadeur du régime castriste. Il faut dire que celui-ci offrait des bourses d’étude à bon nombre d’étudiants africains venus des pays socialistes du continent pour étudier la médecine, l’agronomie, etc… C’est ainsi que Boncana Maiga, originaire de Gao au Mali, partit avec neuf autres compatriotes maliens à Cuba pour y étudier… la musique !
En janvier 1964, ils font cap vers la Havane et sont accueillis au conservatoire, et pris en main par les grands maîtres, comme Rafael Ley, le chef de l’orchestre d’Aragon. Donnant leur premier concert en 1965 à l’ambassade de Guinée à Cuba, ils enregistreront en 1970 un disque entier financé par les autorités cubaines, dans les mythiques studio Egrem de la Havane. Un an plus tard, Moussa Traoré, qui avait déposé Modibo Keita en 1968, les fait rappeler au Mali, et, se méfiant d’eux, les relègue dans un placard. Le groupe n’y survivra pas, mais aura écrit l’histoire d’une des plus belles plages de l’Afro-Cubain made by Africans… in Cuba. Radio Mali [Piste 12 DEEZER / SPOTIFY] est un hommage à la radio nationale qui diffusait leur musique et où, durant les années 60, s’enregistraient toutes les chansons. Boncana Maiga, seul à mener un carrière à l’international, deviendra le maestro et chef d’orchestre du groupe Africando, référence absolue où se croisent les plus grands noms de la chanson africaine. Sur l’album Betece, Salif Keita y fera une magnifique reprise de son désormais classique Ntoman, mais en version salsa !
Jeudi, on continue ce voyage qui nous mènera dans les deux Congos, au Bénin, au Burkina Faso pour finir par une dernière escale à Dakar, avant de retraverser l’Atlantique et le retour à l’envoyeur : Cuba.
Retrouvez également les [EPISODE 1], [EPISODE 3], [EPISODE 4].