Suite à la série #CongoFreedom et avant son concert à l’Afropunk festival samedi, on a demandé à Faty Sy Savanet, aka TSHEGUE, dont l’EP est sorti il y a peu sur le label Ekleroshock, de nous livrer sa playlist congolaise. Des morceaux qui, à Kinshasa, ont bercé son enfance, à ceux qui l’ont accompagné depuis qu’elle vit en France.
1/ KOKOKO! – Tokoliana
Pour moi ça représente le futur, la nouvelle génération de Kinshasa. Surtout, c’est des mecs hyper-talentueux, c’est ce qui se passe dans les quartiers aujourd’hui, et pour revenir à l’idée de l’indépendance ça a un sens : c’est dans la continuité de la liberté, ils expriment bien la nouvelle énergie, celle de la jeunesse qui prend la parole à Kinshsasa. Je les connais parce que j’ai des amis de longue date qui bossent avec eux, Florent de la Tullaye et Renaud Barret… (ndlr les réalisateurs de la danse de Jupiter et de Staff Benda Bilili). Je suis ce qu’ils font depuis un moment, et j’ai eu un coup de cœur de dingue. Ça exprime la nouvelle voix de la rue, qu’elle soit à Kinshasa ou ailleurs.
2/ Extra-Musica – État Major
Ça, ça me rappelle les grosses fêtes à la fin des années 90, c’est l’époque Ndombolo, quand on était petits on dansait avec les cousins et les cousines. C’était en France (moi je suis arrivée de Kinshasa en 92). C’était aussi les années Koffi…
3/ Mbilia Bel – Nakei Nairobi
C’est la reine, elle fait partie de ces femmes qui incarnent la liberté, surtout à cette époque-là. C’était une femme assumée, qui prenait la parole : elle était engagée sur la condition des femmes au Congo. Ses chansons parlent d’amour, de déchirements, de divorce. Elle était très présente dans les familles congolaises, c’était pour ma daronne ! Enfin, Mbilia Bell c’était plus pour ma tante, ma mère, elle était plus intellectuelle, elle préférait Tabu Ley…
4/ Tabu Ley Rochereau – Mokolo nakokufa
Il me fait chialer ce morceau. Quand j’étais petite et que ma mère mettait ça, j’avais l’impression qu’elle voulait m’annoncer quelque chose. (ndlr : dans Mokolo nakokufa, « le jour de ma mort », Tabu Ley imagine ce qui se passera le jour de son décès).
Car au Congo les musiques servent à faire passer des messages, on se sert des chansons pour exprimer quelque chose. On prend la musique très au sérieux, et quand quelqu’un se met à écouter ça… on interprète, forcement. C’est une chanson qui m’émeut beaucoup, aujourd’hui encore elle me met les larmes aux yeux.
5/ Lucie Eyenga – Mwana Mama
Lucie Eyenga, je l’ai découverte en allant sur le net, où un morceau en appelle un autre… Les femmes sont plus rares dans la rumba, je suis tombée dessus par hasard. Et quand je l’ai fait écouter à ma mère, ça lui a rappelé ma grand-mère qui écoutait ça. Elle a halluciné que j’ai pu trouver ces morceaux (elle n’est pas très branchée sur le net). Moi j’aime le côté femme moderne et africaine, très « twist-années 50 » et en même temps très traditionnel. Elle a une voix sublime, une voix pour chanter des berceuses…
Ma mère, elle chantait tout le temps. D’ailleurs quand elle chante, elle se rend même plus compte qu’elle chante. C’est naturel, ça fait partie de son rythme.
6/ Konono N°1 – Paradiso
La musique traditionnelle bantoue ! Il y a des choses qui sont pas loin de mon univers à cause de l’amplification, même si j’ai aussi un côté hyper doux comme Lucie Eyenga. Mais c’est vrai, sur ce projet, mon comparse Dakou et moi, on est plus dans l’énergie des rythmes de Konono. Dakou (Nicolas Dacunha) est percussionniste, d’origine cubaine et vénézuélienne, un peu bantou lui aussi. Ce sont des rythmes qui nous touchent tous les deux. Avec lui, on était dans une recherche d’instrus amplifiés et traditionnels. Konono, c’est ancien et nouveau. On se rend compte maintenant que l’électro, ça a toujours existé… dans la musique traditionnelle il y a ce côté transe…
et dans la techno, le côté répétitif et tribal qu’on retrouve, ça existait déjà dans les musiques traditionnelles. Konono c’est à la fois très traditionnel, et très actuel. En fait, ils cassent les codes.
En musique tout a déjà été fait, on reprend l’héritage et on évolue selon son temps, en ajoutant une pincée de ci, une pincée de ça… C’est pour ça que je ne peux pas m’empêcher d’écouter ces vielles musiques, c’est trop important.
POUR MOI L’AFRIQUE, C’EST UNE ÉNERGIE ! L’AFRIQUE C’EST TELLEMENT PLEIN DE MÉTISSAGES QU’ON PEUT PAS S’ENFERMER DANS UN SEUL TRUC.
Au Congo, les jeunes prennent souvent les morceaux des anciens pour des « vieilleries ». Est-ce parce que tu as quitté le Congo que tu écoutes ces musiques d’une autre oreille ?
Bien sûr ! Il y’a de la nostalgie. Comme je suis partie, y’a peut-être un truc qui est resté figé à un certain moment…. Y’a plus de timing, du coup le timing je le choisis comme je veux dans le passé pour bricoler avec le présent. Ces musiques, je les entendais quand j’étais petite, ça fait partie de mon passé… Pendant que ma mère cuisinait y’avait toujours un petit fond sonore, pareil chez mon grand père à Lemba (une commune de Kinshasa), il y avait toujours en fond ces guitares qui coulent comme de l’eau… un peu comme la guitare hawaïenne. J’ai gardé ce truc : la rumba kinoise, j’ai besoin de l’entendre.
7/ Sam Mangwana – Zela Ngai Nasala
Sam Mangwana, il a un côté James Brown, showman… Beaucoup de Congolais étaient fan de James Brown, et pour moi Mangwana c’est un James Brown congolais. Il avait un son différent (ndlr : à l’époque de l’African All Stars, il était à Abidjan). Il mélangeait, il ajoutait des sons, je pense même pas qu’il se posait des questions. Il kiffait… Moi c’est pareil, je veux pas qu’on me dise : « je comprends pas, là tu fais des trucs africains, là c’est anglais… » Pour moi l’Afrique, c’est une énergie ! L’Afrique c’est tellement plein de métissages qu’on peut pas s’enfermer dans un seul truc.
Je passe ma vie à écouter des artistes, et a un moment donné tu te fais ton histoire, selon les rythmes qui t’attirent le plus, qui t’inspirent le plus. Ce n’est pas quelque chose de réfléchi : moi je suis venu ici avec ces morceaux là, ils font partie de moi…
8/ Simaro Massiya Lutumba – Eau Benite
Ça c’est une chanson, le gars est amoureux d’une nana qui le trompe avec un autre homme, il est blessé… C’est plein de sentiments, et ce que j’aime dans cette chanson-là, et dans la rumba kinoise plus généralement, c’est que les mecs n’ont pas peur d’exprimer leurs sentiments. Les Congolais osent beaucoup plus exprimer leurs sentiments, ils sont hyper sensibles. Moi je le fais aussi, tout le temps, je suis pas avare… Au contraire, je suis un énorme cœur sur pattes, hypersensible! J’exprime mes sentiments de la meme manière, que ce soit dans la vie ou dans mes chanson.
Tu as choisi de t’appeler TSHEGUE. A Kinshasa, les shegué ce sont les enfants de la rue…
J’ai choisi de m’appeler Tshégué, et pas shégué, pour ne pas m’accaparer les codes que je n’ai plus, je ne peux pas me prétendre shégué de Kinshasa. J’ai voyagé, j’ai un autre parcours de vie. Tshégué c’est une émotion, un état d’esprit. Une façon d’être.
« JE SUIS VAGABONDE. LA FRANCE C’EST AUSSI MON PAYS, J’AI LA DOUBLE CULTURE : JE NE PEUX RENIER NI L’UNE NI L’AUTRE, JE NE PEUX LES OUBLIER NI L’UNE NI L’AUTRE. »
J’étais une vagabonde, à Kin plus paisible, ici ça a été un peu plus brouillon à un moment donné. Tu peux être shégué ici : tu vis dans la débrouillardise. Quand tu vis le déracinement, ta place, tu la cherches. Et quand tu la trouves, tu vis un peu mieux.
Je suis vagabonde. La France c’est aussi mon pays, j’ai la double culture : je ne peux renier ni l’une ni l’autre, je ne peux les oublier ni l’une ni l’autre. Mais il faut en faire un melting pot cool… Sur le mode : on vit ensemble, il va falloir s’entendre. Ça sert à rien d’être en bataille avec ce que tu es….
Si je rajoutais des morceaux qui ne sont pas congolais, j’ajouterais des chansons enregistrées par des femmes fortes, des chanteuses de rythm’n’blues ou de gospel :
9/ Big Mama Thornton -Hound dog
10/ Rose Mitchell – Baby Please Don’t Go
11/ Nina Simone – Baltimore
12/ Slim Harpo – You Can’t Make It
13/ Hasil Adkins – Chicken Walk
14/ Et je suis une grande admiratrice des Gories, un groupe de garage de Détroit
Photos par Mélanie Brun & Andi Galdi Vinko