Le jeune groupe touarègue, originaire de Tamanrasset, revient avec Temet, un second album qui emmène la musique touarègue sur de nouveaux chemins d’aventure. Magnifique.
L’homme n’existe que par ses voyages, surtout dans le désert. C’est tout aussi vrai de la musique. Les jeunes musiciens d’Imarhan (« ceux qui aiment ») viennent de le prouver, avec ce second album aussi éclectique qu’électrique, peint aux couleurs des voyages qui depuis deux ans les ont menés sur les scènes du monde entier. Comme si, depuis 2016 et la sortie de leur premier album éponyme, ils s’étaient nourris de tellement de sons que le magma de leurs découvertes ressortait dans un feu d’artifice sur ce nouveau disque.
À l’époque, ils écoutaient les grands frères Tinariwen en cassette, dont certaines, dixit Sadam, étaient interdites. Depuis lors, leur histoire, doucement mais sûrement, est devenue une destinée.
Pourtant, le chanteur et porte-parole Iyad Moussa Ben Abderahmane dit « Sadam » et ses copains étaient loin de se douter qu’un tel destin les attendait, alors qu’ils s’amusaient ensemble, guitare sèche en main, à jouer pour le plaisir de faire de la musique entre copains. C’était il y a douze ans. À l’époque, ils écoutaient les grands frères Tinariwen en cassette, dont certaines, dixit Sadam, étaient interdites. Depuis lors, leur histoire, doucement mais sûrement, est devenue une destinée. D’abord quand Eyadou ag Leche, bassiste des Tinariwen et cousin de Sadam, lui a rapporté un jour une guitare électrique, « objet d’art » précieux et rare à Tamanrasset, cet oasis du grand sud algérien, dernière grande escale saharienne avant le Mali ou le Niger. Le même Ag Leche les aide à produire leur premier disque et les voici, eux qui n’avaient jamais songé à devenir musiciens professionnels, propulsés en Europe et en Amérique. Et c’est rempli de cette expérience inédite qu’ils couchèrent à Tamanrasset les premières maquettes de ce qui allait ensuite devenir Temet.
Sadam explique : « Ce second disque est un peu plus ouvert : on est entrés dans plein de styles, mais ce sont nos influences qu’on a laissées s’exprimer : on a la possibilité aujourd’hui d’écouter des musiques de partout. On s’est rendus compte qu’on pouvait expérimenter plein de possibilités. Dans l’album, y’a plein de styles différents… les gens disent funk, pop, etc…. Mais moi j’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’on ne lâche jamais le tempo des Touaregs/ Tu sais, sur chaque morceau, que c’est toujours de la musique touarègue ».
En effet, si Temet s’autorise d’incroyables flirts avec le funk, le rock (parfois psychédélique), le rythm’n’blues et le chaabi : l’esprit, les rythmes, les chœurs et surtout, l’esprit et l’humeur, viennent bien du Sahara. Tout comme les thèmes abordés, qui hantent comme des fantômes les chansons de leurs aînés. D’abord celui de l’unité du peuple Kel-Tamachek, communément appelé (par les autres) Touaregs, qui fait la conclusion du débridé Ehad wa-dagh, nuit agitée de méditation sur le destin de la communauté.
On sent au long de Temet la profonde inquiétude pour un peuple qui, depuis une dizaine d’années, a vu le Sahara se muer en champ de batailles où rebelles, terroristes, armées nationales et étrangères se donnent la chasse.
« C’est pas nouveau, explique Sadam, ces divisions existent depuis longtemps : ceux du Hoggar vont attaquer ceux de l’Aïr (deux régions du Sahara), parce que la terre est dure, et les ressources rares… pour comprendre ce problème, il faut voir que les gens sont dans la survie, une survie qui les empêche de penser au-delà, et donc de s’unir. Et puis il y a aussi des mains étrangères, invisibles, qui brouillent les pistes. Que Dieu nous donne une fin meilleure… ».
Le groupe d’ailleurs, met la communauté touarègue face à ses responsabilités : L’indifférence d’une communauté fait la ruine de sa culture, chante-t-il dans Azzaman. On sent au long de Temet la profonde inquiétude pour un peuple qui, depuis une dizaine d’années, a vu le Sahara se muer en champ de batailles où rebelles, terroristes, armées nationales et étrangères se donnent la chasse. Le ciel du Sahara s’est obscurci, et ceux qui hier voyageaient avec les étoiles ne savent plus aujourd’hui quelle route suivre. Mais au fond, remarque Sadam, ce qui vaut pour les Touaregs vaut aujourd’hui pour le monde entier : c’est le manque d’amour, le manque de considération envers son prochain qui sont la cause de nos malheurs. « Il faut revenir à la source, explique-t-il, nous sommes tous des humains, nous sommes tous des parents. C’est le sens de Temet, littéralement : le lien de parenté qui nous unit. » C’est la force de ce disque, profondément enraciné dans sa terre d’origine, et tout aussi profondément ouvert sur les ailleurs possibles.