À la veille de l’indépendance, le highlife est la musique en vogue au Ghana. Ghana Freedom (2/5)
À la veille de l’indépendance, le highlife est la musique en vogue au Ghana. Celle de la Haute société, des élites locales qui se réunissent pour des soirées dansantes dans lesquelles on entre en costume et haut-de-forme. Comme l’entrée de ces soirées étaient trop chères pour le commun, ceux qui écoutaient et regardaient de l’extérieur l’ont baptisée comme ça, highlife, la musique de ceux qui mènent « la grande vie ». Un mélange de traditions musicales locales matinées de calypso et de jazz qui lui donnent son côté smart. Le highlife a eu son roi, Emmanuel Teteh Mensah, ou pour les intimes, E.T. Mensah.
Saxophoniste, trompettiste, né au lendemain de la première guerre mondiale, il est passé tout jeune par les premiers grands orchestres africains de son pays. La seconde guerre fait d’Accra, la capitale, une base importante pour la Royal Navy et les miltaires britanniques et américains fondent sur place des orchestres. Parmi eux, le sergent écossais Jack Leopoard, saxophoniste, qui recrute E.T. Mensah dans son groupe Leopard and his Black and White Spots : Le Léopard avec ses Tâches Blanches et Noires. Pour un orchestre qui rassemble Africains et Européens, le nom est plutôt bien trouvé. E.T. Mensah a aussi un autre métier, pharmacien, ce qui va l’aider à faire bouillir la marmite car le saxo et le highlife ne nourrissent pas encore son homme. Au début des années 50, il prend la tête des Tempos, et fonde même son propre club, le Paramount.
C’est là qu’il peaufine le son qui sera celui des indépendances. Son succès est énorme, et après avoir enregistré quelques disques dans les studios de la compagnie Decca, il part en voyage à Londres. Pour les musiciens africains, Londres est certainement à cette époque, the place to be.
Londres est alors en effet un carrefour où se rencontrent tous les Noirs de l’empire britannique. Ils viennent d’Afrique : du Nigéria, du Ghana, du Kenya etc. mais aussi des Caraïbes : Jamaique, Trinité et Tobago, sans oublier des Noirs-Américains qui s’y arrêtent aussi. Tout ce monde, étudiants, dockers, artistes, se retrouve dans les clubs de Piccadilly. C’est là que les cousins que les routes de l’esclavage ont dispersés par delà l’océan font bouillir leur marmite musicale. Un vrai melting pot panafricain, dans lequel E.T. Mensah se jette avec bonheur. Il enregistre quelques disques avec des Nigérians et des Jamaicains de Londres et fait la rencontre du célèbre Trinidadien Lord Kitchener.
Kitch, comme l’appellent ses fans, est une des stars du calypso, un genre né à Trinité-et- Tobago, qui fabrique des chroniques sociales ou politiques dans lesquelles on peut sentir l’air du temps. Quand E.T. Mensah le voit sur scène, Kitch s’est entiché d’un nouveau courant du jazz, le Be-Bop. Lord Kitchener enregistre d’ailleurs un calypso hommage à ses héros : Dizzie Gillespie, Charlie Parker et Miles Davis. Ils sont cités et imités dans sa chanson : Kitch’s Bebop of Calypso.
Le jazz, si populaire chez les musiciens, est à l’image des clubs de Piccadilly. Une musique de métissage, qui agrège les cultures d’Afrique à celles du monde Blanc, et donne des fruits variés, au gré des territoires où cette histoire s’est déroulée. En Afrique, le mot a même servi a désigner une pléiade d’orchestres qui s’appelaient l’African Jazz, l’OK Jazz au Congo, le Bembeya Jazz ou le Palm Jazz en Guinée, le Mystère Jazz au Mali… Cependant, si le mot jazz désigne pour eux les orchestres modernes, ils ne faisaient pas du tout du jazz, du moins au sens où on pouvait l’entendre sur disque à l’époque. Mais le mot jazz résonnait comme un paradigme: celui des Noirs qui font leur musique avec des instruments occidentaux, et qui font une synthèse de leurs traditions avec les influences venues d’ailleurs. Voilà peut-être bien une définition plus large du jazz, qu’il vienne des États-Unis, d’Afrique ou d’ailleurs.
En même temps que ces musiques infusent les cultures noires, elles accompagnent les mouvements d’idée. On est en plein développement du panafricanisme, un courant d’idées qui postule un destin commun aux populations noires du monde vivant toutes sous le joug colonial ou celui de la ségrégation.
À Manchester, Kwame Nkrumah organise le congrès Panafricain avec l’Afro-Américain du Bois, l’un des pères de ce courant de pensée, mais aussi avec George Padmore, Jamaïcain proche du parti communiste. Bien qu’impressionné par ses ideées, il n’aura jamais la chance de croiser Marcus Garvey (qui sera tant chanté par les Rastas), qui prônait le retour des Noirs d’Amérique sur la terre mère d’Afrique. Garvey fonda d’ailleurs la Black Star Line, compagnie maritime chargée de ce transfert, qui n’aura qu’une vie éphémère.
Mais c’est en référence à cette Black Star Line qu’une étoile noire figure sur le drapeau du Ghana. Nourri par toutes ses rencontres, Kwame Nkrumah voulait faire de son pays la terre d’accueil des Noirs de la diaspora. Quant à notre roi du highlife, E.T. Mensah, il revient de son voyage londonien bourré d’idées, plus féru que jamais de calypso, et de jazz à gogo. Prêt à devenir le pionnier, et la plus grande étoile du highlife.
Série Ghana Freedom : épisode 1, épisode 3, épisode 4, épisode 5