C’est la rentrée, on libère en zouglou ! Et oui, en Côte d’Ivoire, les initiés ne disaient pas danser mais « libérer » en zouglou.
C’était dans les années 90, lorsque cette musique était reine, bien avant qu’elle ne traverse les frontières et ne s’internationalise (grâce notamment au succès de Magic System).
Retour en arrière : nous sommes en 1990, la Côte d’Ivoire est en pleine ébullition. Houphouët Boigny, Père de la Nation et inamovible président, vient de concéder – à contrecœur- le retour au multipartisme. Cette liberté touche également les syndicats, libres de se multiplier. Les étudiants, bien sûr, en profitent. Comme tous les Ivoiriens, ils subissent la crise économique de plein fouet. Les bourses tardent à être payées, l’université est surchargée, les chambres de la cité U saturées, au point que les étudiants qui s’y entassent se surnomment eux-mêmes « les Cambodgiens », en référence aux images des boat people asiatiques bondés aperçus à la télé. Les étudiants, qui seront le fer de lance de la contestation sociale ne manquent pourtant pas d’autodérision. Et c’est précisément cet esprit qui a donné naissance au zouglou. Le nom même « zouglou » est un mot baoulé (une des langues du pays) qui signifie ordure, déchet. Car c’est ainsi que ceux qui s’empilent sur les bancs de l’université se voient désormais. A mille lieux de leurs pères qui bénéficiaient de bien meilleures conditions, à l’époque où le pays affichait une insolente prospérité. Le zouglou est donc cette musique qui nait parmi les étudiants désargentés, qui dépeignent leur triste condition … mais avec un humour ravageur. La chanson Gboglo Koffi des Parents du Campus, premier succès paru sur cassette en 1991, en est le manifeste. Voici ce que dit en introduction le chanteur :
« ah ! la vie estudiantine, elle est belle, mais on y rencontre beaucoup de problèmes. Lorsqu’on voit un étudiant, on l’envie, toujours bien sapé : joli garçon sans produit ghanéen (ndlr : produit pour blanchir la peau). Mais en fait il faut rentrer dans son univers pour connaître la misère et la galère d’un étudiant. Oh bon Dieu, qu’avons nous fait pour subir un tel sort ? Et c’est cette manière d’implorer le seigneur qui a engendré le zouglou : danse philosophique qui permet à l’étudiant de se recueillir et d’oublier un peu ses problèmes. Dansons donc le zouglou ! »
La chanson illustre cet exposé par un exemple : celui d’un étudiant qui drague une go (une fille) et finit par l’emmener dans sa chambre en cité U, à Yopougon. Seulement voilà, impossible d’être tranquilles : les « Cambodgiens » sont partout. A voir dans le clip !
Le son zouglou vient tout droit des groupes d’ambiance facile qui, lors des compétition sportives organisées en milieu scolaire, soutenaient leur équipe au moyen de chants, accompagnés par des percussions rudimentaires. Les gestes de la danse zouglou sont quant à eux énigmatiques, mais certains empruntent sans aucun doute à l’univers des films de kung-fu qu’on diffusait dans les gares routières de la mégapole ivoirienne. Avec les westerns, ils furent une des sources d’inspiration principales de la culture urbaine abidjanaise, et de son argot imagé : le nouchi. Le nouchi, en malinké- autre langue du pays- signifie littéralement les poils du nez, autrement dit : la moustache. Celle que portent les méchants dans tous les films de cow boys. Cet argot allait devenir la langue officielle des bas quartiers et par extension, de toute la jeunesse abidjanaise. On la retrouve dans la plupart des chansons, avec ses images fleuries et souvent cocasses. Le zouglou, bande son des années 90, est ainsi devenue la première musique authentiquement ivoirienne, racontant le quotidien non plus seulement des étudiants, mais de la population urbaine dans son ensemble.
Ses paroliers jamais à court d’idées chroniquent et croquent l’actualité socio-politique d’un pays secoué de convulsions régulières. Ainsi les Poussins chocs chantent-ils les violences qui ont émaillé le match de foot Asec d’Abidjan-Ashanti Kotoko de Kumasi au Ghana. Petit Denis, l’enfant terrible du zouglou, racontait quant à lui l’insécurité galopante de la fin des années 90, en mettant en scène des braqueurs pris au piège par les habitants d’une cour commune. Malheur eux bandits, qui deviennent les victimes d’un comique renversement de situation (Sécurité).
Que dire aussi de le la prolifération des églises évangélistes qu’évoquent Les Poussins chocs, mettant en scène le combat de kung-fu qui oppose Jésus et Satan dans les rues d’Abidjan (Victoire).
Sans oublier bien sûr les Magic System, qui feront sortir le zouglou de la Côte d’Ivoire pour faire de Premier Gaou le premier tube international du zouglou et multiplieront les rencontres avec des artistes d’Afrique et d’ailleurs (Un Gaou à Oran). Bien que détrôné au début des années 2000 par le coupé-décalé, le zouglou continue à vivre, notamment en live dans les bars et maquis d’Abidjan lors des soirées woyo. Des percussions, un chanteur, parfois un synthétiseur, et les gazeurs (ambianceurs) sont toujours là pour « libérer » en zouglou. L’humour et le regard acéré des zougloumen n’a pas fini de faire réfléchir, et de faire rire.
25 ans après Gboglo Koffi, cette sélection (forcément incomplète) des titres phares des débuts et de l’âge d’or du zouglou mérite d’être écoutée… surtout en période de rentrée !