Darandi, le quatrième album d’Aurelio Martinez, chanteur et porte étendard du peuple Garifuna, sort le 20 janvier. Une rétrospective de trentre ans de musiques et de luttes, à découvrir aussi sur scène le 30 janvier à l’Alhambra de Paris.
Forêts primaires, lagunes et mangroves, fleuves qui plongent dans la mer des Caraïbes, c’est le décor qui vit naître Aurelio Martinez, là-bas, quelque part au bout d’un chemin d’eau où seules les pirogues peuvent accoster : Plaplaya. Un village suffisamment reculé pour que les traditions et la langue des Garinagu, alias les Garifuna, puisse subsister. Disséminés dans toute l’Amérique centrale, leur culture originale se perd, noyée dans l’océan hispanique qui domine la région. Il faut dire que ce peuple d’environ 500.000 âmes – qui vit au Belize, Honduras, Guatemala et au Nicaragua – a une histoire singulière.
Un peuple libre, mais exilé
Car les Garifunas sont issus d’un long et profond métissage. Il débute en 1635, année où dit-on, deux navires espagnols, transportant des hommes arrachés à l’Afrique et destiné à être mis en esclavage, s’échouèrent sur les côtes de l’île de Saint Vincent. Les rescapés africains se réfugièrent dans les forêts, où les indiens Caraïbes et Arawak les accueillirent. Le temps et les mariages donnèrent naissance aux ancêtres des Garifuna. Dans la compétition que se livraient les puissances européennes dans la mer des Caraïbes, Saint Vincent fut décrétée terre « neutre », et d’autres esclaves en fuite ou réchappés des navires s’y réfugièrent à leur tour. Au mitan du 18ème siècle, les Anglais voulurent s’emparer de l’île, cette fois-ci pour en faire une colonie. Ils eurent bien du mal à soumettre les Garifuna, qui résistèrent trente années durant, avant de capituler en 1796. Les Anglais les déportèrent sur l’île voisine de Balliceaux, puis – pour de bon – sur l’île de Roatan, au large du Honduras, à 2000 kilomètres de chez eux. C’est de là qu’ils essaimèrent au fil du temps sur les côtes de la Mer des Caraïbes, formant une nation dispersée sur la carte des pays d’Amérique centrale.
Aurelio est bien le fils de cette longue, riche et tumultueuse histoire qu’il entend bien faire connaître au monde. Car c’est là le sens de son combat, et de sa musique qui, chantée en Garifuna, défend la langue et les traditions de ce peuple qui, où qu’il se trouve, est toujours minoritaire et le plus souvent, délaissé par les gouvernements de leur pays respectif.
Le flambeau passe d’Andy Palacio à Aurelio
Avant lui, son aîné Andy Palacio, chanteur du Belize, avait ouvert la voie. Jusqu’à sa mort en 2006, il était le porte-parole de la cause des Garifuna, qu’il fit connaître au monde à travers sa musique. Avec Aurelio, il avait noué des liens d’amitié, l’avait invité sur l’un de ses disques et l’avait présenté au producteur Ivan Duran, patron du label Stonetree Records basé au Belize, et qui dès 1999 avait accompagné les musiciens garifuna vers une reconnaissance internationale (album Paranda, Stonetree 1999). C’est aussi lui qui depuis lors produit les albums d’Andy Palacio et de son alter ego du Honduras, Aurelio. À la mort du premier, le second a repris le flambeau : défendre l’identité des Garifuna, faire exister leur langue dans les écoles, tout comme leur histoire, et lutter contre ceux – promoteurs immobiliers et politiques main dans la main – qui cherchent à récupérer leurs terres, leurs forêts émeraude et leurs eaux turquoises. En 2005, peu après avoir sorti son premier disque solo, Aurelio s’était même engagé en politique, et s’était fait élire à l’assemblée nationale, devenant du même coup le premier député garifuna de toute l’histoire du pays. Mais il garde de de cette expérience un goût amer, car la politique et ses embrouilles n’avaient que faire d’un engagement sincère. Les spasmes de l’histoire précipitèrent ses désillusions : le président du pays – que soutenait Aurelio – est renversé en 2009, et la violence politique gagne le pays. Aurelio trouve refuge chez sa mère, aux Etats-Unis, où les Garifunas et leurs descendants sont pas loin de 100.000, pour beaucoup à New York, dans le Bronx.
Car l’histoire des Garifuna, on l’aura compris, est une histoire de minorités perpétuellement en exil. Dans les pays où ils sont installés depuis deux siècles, et dans ceux qu’ils rejoignirent plus récemment, en quête d’une nouvelle vie. L’exil, l’histoire collective des Garifuna comme celle, personnelle, d’Aurelio, sont au centre de Darandi, son quatrième album, rétrospective de trente ans de carrière.
Darandi, concentré d’une vie
Car les douze morceaux qu’il propose sont empruntés au répertoire qu’il a développé depuis ses débuts, et qu’il continue aujourd’hui de jouer sur scène. Darandi a d’ailleurs été enregistré live, avec tout le groupe réuni aux studios Real World de Peter Gabriel, pour restituer ce feeling propre aux concerts. On y retrouve la Paranda dans tous ses états. Ce genre majeur et populaire dans toute l’Amérique latine est aussi celui qu’affectionne le plus Aurelio, qui l’habille aux couleurs garifuna, à commencer par celles de la langue, originale, musicale en diable. Respect aux anciens oblige, Aurelio rend d’ailleurs hommage à ses prédécesseurs (Paul Nabor sur Naguya Nei, ou Junie Aranda sur Dondo). Le souvenir d’Andy Palacio, décédé à 47 ans, est aussi présent à travers une chanson, « Lumalali Lumaniga », que tous deux avaient interprété sur le premier album d’Aurelio . Les paroles évoquent la multitude d’ONG qui se sont emparés de la cause garifuna, et en font parfois leur choux gras, dévorant l’argent et affamant ceux auxquels ils sont censés venir en aide. Idem pour les États. Quand entendront-ils la voix des concernés ?
Pourquoi les organisations ont plus de pouvoir que les gens ?
Pourquoi les leaders ont plus de pouvoir que les gens ?
Regarde les enfants dans la rue, regarde les grelotter dans le froid,
La faim au ventre, pétrifiés par le froid,
Je suis la voix du silence
Nous sommes les voix du silence
« Lumalali Lumaniga » est d’ailleurs une des rares ballades de cet album, qui nous embarque dans un voyage haletant où mélodies et rythmes rappellent parfois de furieux cousinages avec le son cubain – la clave est là pour le rappeler (les Garifuna la jouent sur une carapace de tortue), mais aussi avec le highlife ghanéen ou encore la rumba congolaise, que les reefs de guitare évoquent immanquablement. Ailleurs, comme dans la « Funa Tugudirugu », Aurelio emprunte à la country que les gens de la côte Nord du Honduras apprécient (on raconte que ce sont les pêcheurs qui remontant vers le Nord de la Mer des Caraïbes, qui captaient sur leurs bateaux les radios américaines émettant en grandes ondes). Rien d’étonnant au fond, pour cet artistes touche-à-tout lui même issu d’une culture où le métissage s’écrit en majuscule.
Part manquante
Comme beaucoup de Garifunas, Aurelio a vu son père musicien émigrer, embarquant sur un navire marchand à destination des États-Unis. Décédé là bas, Aurelio ne l’a jamais vu revenir sur le ponton du village où accostent les pirogues.
Père, où es-tu, mon père?
Père, où es-tu, mon père? Je t’attends
Pelican, ô Pelican, donne moi tes ailes pour que je vole jusque là-bas
Le soleil se couche à l’horizon et moi je t’attends père
Le vent souffle, je suis là et tu ne viens toujours pas
Père, ou es-tu? La bas sur la mer, et moi je suis là, sur le rivage
De son père, Aurelio aura gardé la voix et la guitare que celui-ci enregistrait sur des cassettes qu’il envoyait à sa famille. C’est ainsi qu’on transmet un héritage, et qu’Aurelio prit goût à la musique.
L’exil, la transmission, demeurent au centre des textes d’Aurelio, qui voudrait parler à tous les jeunes Garifunas déracinés, qui se sentent obligés, en particulier ceux vivant aux États-Unis, de choisir entre leurs identités : africaines ou latines. Or ils sont bien Garifuna, une fusion de tout cela. Et puis, bien sûr, le chanteur veut faire connaître cet héritage au reste du monde, celui d’une culture en voie de disparition. Elle a encore son mot à dire, et des richesses musicales à partager. Aurelio vient encore de le prouver.
Pour en savoir plus sur Aurelio : un documentaire, tourné en 2011 par la télévision espagnole, raconte son histoire, et celle des Garifuna.
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Photo couverture : KATIA PARADIS CC