Le photographe Bill Akwa Bétotè, qui aura arpenté les nuits africaines de Paris pour leur donner un visage, est décédé hier soir. PAM se souvient de ce compagnon qui a su conjuguer musique et photographie, en artiste.
Bill, c’était un regard, toujours bienveillant. Et puis un sourire. Aussi grand que le bonhomme. Parmi tous ceux qui ont accompagné les présences africaines à Paris, il restera celui qui les aura sans aucun doute le plus documentées. Des années durant, il était fidèle au poste, l’appareil en bandoulière, l’œil au taquet, tout à la fois détendu, mais prompt à appuyer sur la détente. Le réflexe relax, c’était son style.
En 1972, débarquant de Douala pour suivre des études d’économie, il va devenir photographe en fréquentant les lieux de musique, notamment à Marseille où il s’établit une paire d’années. C’est là qu’il commence à faire des photos, armé du petit Minolta que lui a passé son oncle. Mais c’est lorsqu’il monte à Paris, à la fin des années 1970, que l’histoire s’accélère. Bill s’engage définitivement dans la profession, tel un privé dans Babylone, comme le rappelle non sans humour sa courte biographie sur son site. Nul ego trip chez ce « chanceux » qui aura su conjuguer ses deux passions : musique et photographie. Lui ne se voyait que comme le médiateur d’un monde en mouvement, posant son regard aussi bien du côté de la scène que des coulisses. De l’effervescente scène qui booste la capitale au sortir des années giscardiennes, il sera le témoin privilégié. « La scène afro était disparate : le reggae dominait, il restait le jazz et le free, et puis les nouvelles musiques d’Afrique perçaient. C’est au cours des années 1980 que les musiques ont fédéré nos identités. Cela m’a ouvert les yeux et les oreilles quant à la diaspora. »
Toujours là, aussi bien à la Mairie du quatorzième pour un sound-system qu’à La Chapelle des Lombards pour pulser en version latines, au New Morning comme au Tango, à La Main Bleue comme au Keur Samba, Bill devient un totem de la nuit afrodiasporique, ce que soulignaient son exposition justement baptisée « Paris 80 – Pulsations » (jusqu’au 30 octobre au Rocher de Palmer à Cenon/ Bordeaux) ou encore récemment Nouvelle Ambiance, un disque revenant sur cette épique époque dont les photos donnent au livret tout son relief. L’indépendant publie dans les journaux de la communauté, Jeune Afrique comme Aminata, Muziki Magazine et Bingo, mais aussi Libération, Le Nouvel Observateur, le Matin de Paris et Le Monde. Chacune de ses images est chargée d’humanité, qu’il photographie un groupe de jeunes femmes dans une boîte à la mode comme une classe de troisième dans toute sa diversité. Il capte un détail, ou saisit le portrait de l’une des étoiles du continent qui commence à briller dans le ciel français, ou les figures déjà cardinales qui incarnent la sono mondiale chère à Radio Nova, où il a ses antennes. Manu Dibango, Salif Keïta, Mory Kanté, Fela, Miriam Makeba, Touré Kunda, Franco et ainsi de suite…
« Tout a basculé avec l’arrivée de la gauche. Il y a eu un travail d’émancipation et de valorisation des artistes. Des lieux de répétition se sont ouverts, des salles ont accueilli ces musiques. Il y avait une demande, une attente », se souvenait-il en 2017. Converser avec cet immense photographe, c’était saisir les vibrations d’une époque où tout était à faire. « La nuit, tu pouvais enchaîner plusieurs soirées et concerts, c’était merveilleux. Tout allait très vite, tout était éphémère. » Lui fréquentait le péquin lambda aussi bien que Paco Rabanne, dont le centre artistique basé à Colonel Fabien était « un laboratoire qui vibrionnait nuit et jour. Il a créé un style à la zaïroise : élégance et classe. Nous rivalisions avec Earth Wind & Fire. » Les Congolais de Mbamina en seront l’éphémère porte-voix. « Le mafé, et plus largement la cuisine afro, a pimenté la nuit parisienne. Cette Afrique s’est installée à Paris. Celle des bouibouis et des maquis, du poisson grillé et des alocos », se souvenait-il, non sans ce sourire qui en suggérait long, avant d’ajouter : « L’esprit communautaire, relayé par le tissu associatif, a fait alors place à un melting-pot. » L’Autre, dans toute ses différences et ressemblances, c’était aussi cela que cherchait à montrer ce photographe qui participa à nombre d’élans collectifs, de Tam-Tam pour l’Éthiopie à Franchement Zoulou, en passant par le mouvement des sans-papiers, fidèle aux engagements de Mamadou Konté « un pilier de ce changement de mentalités ».
Et Bill, les années défilant, sera sans cesse présent, avant que la maladie ne ronge son énergie, pas son envie d’y aller. Lui se voulait confiant en l’avenir. « Nous avons été gâtés. On ne peut pas tous les jours autant se régaler, mais l’énergie est encore là pour qui cherche la flamme », m’avait dit cet éternel optimiste un soir, gardant bon espoir que le monde ne soit plus divisé en noir et blanc. « Les artistes ont posé les bases d’une culture du mélange. Ils ont fondé des familles, ce sont les enfants qui fertilisent désormais les racines. »
Les photos de Bill Akwa Betote qui font partie de l’expo Paris 80 – Pulsations, actuellement et jusqu’au 30 octobre à Cenon (Bordeaux, rive droite) au Rocher de Palmer.