Repéré dès 2017 par PAM, MC One est devenu l’une des figures incontournables du rap ivoirien. Il publie aujourd’hui “Africain”, le troisième single de son futur album, attendu pour cette année. Rencontre avec lui à Abidjan.
Crédit photo : Fifou
Originaire du quartier de Cocody à Abidjan, Jean Michel Bagré grandit en étant bercé par le reggae que son père lui fait écouter à la maison. Influencé par le groupe de rap français Sexion d’Assaut, comme de nombreux autres jeunes Ivoiriens, il commence à rapper à l’âge de 12 ans. Il fait ses premières armes en freestylant avec ses amis dans les rues de la ville. Remarquant qu’il est doué pour l’écriture de textes et pour s’exprimer en public, il décide de prendre le rap au sérieux et commence à nourrir de grandes ambitions. “Au début, j’avais des noms bizarre puis j’ai choisi MC One. Un MC, c’est un rappeur quelqu’un qui peut ambiancer une cérémonie. Je me suis dit que je voulais être le meilleur, le numéro 1. Du coup, MC One. Mon nom définit ce que je veux être”, explique-t-il.
Un jour, en 2014, son père l’envoie chercher de la nourriture. Il passe devant un maquis, un restaurant en plein air typique de la Côte d’Ivoire, et voit le célèbre chanteur de coupé-décalé DJ Kedjevara en train de déjeuner avec son staff. Il prend son courage à deux mains et s’approche de sa table. C’est le moment ou jamais. Il s’adresse directement à la star avec respect et lui formule son envie de faire de la musique son gagne-pain. Avant d’être repoussé à trois reprises par la sécurité et les managers. Le petit ne se démonte pas. Il sort son téléphone, lance une instru et commence à rapper un de ses textes. “DJ Kedjevara a été surpris. Il était enjaillé. Il a sorti son portable et a commencé à me filmer. J’avais un peu honte de rapper devant tout le monde, mais je voulais vraiment percer”, se souvient-il. “Après ça, il m’a demandé d’improviser. Je ne sais pas d’où l’inspiration m’est venue mais j’ai réussi”. Le jeune rappeur et celui qui deviendra son mentor échangent leurs numéros. Une semaine après, Kedjevara fait rentrer MC One en studio et lui fait enregistrer un remix de son tube “Poutou Banier”. Le public ivoirien découvre le rappeur alors âgé de 13 ans.
Onaka… faire un succès
Après plusieurs singles, MC One connaît enfin le succès en 2017 avec le morceau “Opi Onaka Faikoi ?”. Pendant 4 minutes, il déroule un flow hargneux sur un beat épique de trap composé par le beatmaker Tupaï. Ce dernier se souvient de l’enregistrement dans son studio : “Kedjevara m’avait dit qu’il voulait me présenter un petit, qu’il fallait que je compose pour lui. Un jour, il me l’a amené et on a commencé à travailler tous ensemble sur un son”. Le beatmaker réputé est séduit à son tour : “Ce qui m’a tout de suite plu chez le garçon, c’est sa spontanéité et son envie de travailler”. Kedjevara apporte la mélodie de base et Tupaï construit le reste de l’instrumental pour que MC One puisse poser son texte. “Ce qu’il faisait et ce qu’il disait, malgré son âge, personne n’avait eu le cran de le faire et de le dire avant lui”. En effet, le petit clashe ouvertement le groupe Kiff No Beat, chef de file du rap ivoire. Le titre lui offre une grand visibilité et est partagé sur les réseaux sociaux par des rappeurs français comme Black M, ancien membre de la Sexion d’Assaut.
Une fois installé dans le paysage musical ivoirien, celui que l’on surnomme désormais Wana enchaîne les singles et explore les sonorités de différents genres musicaux. “En Afrique, on a une grande diversité musicale. Il ne faut pas se limiter au rap, au coupé décalé ou au zouglou. Il y a tellement de styles, je pense qu’on doit pouvoir expérimenter avec tout ça”, affirme-t-il. Après le succès du morceau ”Opi Onaka Faikoi ?”, MC One rebondit avec la chanson “Anitche”, composée à nouveau par Tupaï. Ce dernier se baladait dans le quartier de Pigalle à Paris à la recherche d’instruments de musique quand il tombe sur Zao, le chanteur congolais qu’il écoutait durant sa jeunesse. “Je lui ai dit que j’aimerais reprendre une de ses chansons. Il m’a dit de faire ce que je voulais, que c’était ça la musique !” se rappelle Tupaï. “En rentrant à Abidjan, j’ai réécouté les chansons de Zao. J’ai samplé la partie de guitare d’une chanson que j’écoutais enfant (“Ancien Combattant”, ndlr) et j’y ai ajouté une rythmique trap”. DJ Kedjevara y ajoute une partie de balafon. MC One choisit de chanter en dioula, langue principalement parlée dans le nord du pays et bien sûr, à Abidjan où toute la Côte d’Ivoire se retrouve.
La notoriété de MC One l’amène à se produire à l’étranger. Il profite de chaque date pour y tourner un clip. Celui du morceau “Anitche”, qui comptabilise près de 2 millions de vues, a été fait au Burkina Faso. “On voulait un paysage qui allait avec l’esprit de la chanson. Quand j’ai reçu la proposition pour une prestation là-bas, j’ai décidé d’emmener avec moi Andy Shakur, un réalisateur en vogue avec qui j’avais déjà travaillé”, explique Wana. Le décor retenu est celui offert par le village du chanteur ivoiro-burkinabé Imilo Lechanceux, qui les accueille à bras ouverts.
Des lagunes à la Seine
Aujourd’hui, l’ambition affichée de MC One est de se faire une place dans le rap game en France : “En Côte d’Ivoire, on me connaît déjà. Je n’ai pas envie de remplir dix fois la même salle. Le challenge, c’est d’aller ailleurs et de remplir leurs salles comme l’ont fait Magic System, Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly. C’est ce défi-là que je me suis lancé”. Le jeune rappeur sait que ce sera difficile mais il s’en donne les moyens. En 2019, il a séjourné une partie de l’année à Paris pour enregistrer l’album qui sortira cette année. “On a fait le tour de la capitale. On a travaillé avec beaucoup de beatmakers comme Heezy Lee ou Mounir Maarouf pour se mettre dans le bain. J’ai rencontré pas mal d’artistes qui m’ont donné de la force comme les 4Keus ou le grand frère Kaaris”. Le rappeur français Jok’air profite de sa présence pour l’inviter sur le morceau “2 sans 25”. Dans son couplet, MC One affirme vouloir atteindre le sommet de la tour Eiffel.
L’attente des fans autour de ce futur album a été attisée par la sortie de deux premiers singles. Le premier, “Tranquillement tranquille”, enregistré en une heure, est celui qui a été fait le plus rapidement de tous les morceaux du projet. Aussitôt après avoir posé sur l’instru afrotrap du beatmaker congolais Sean Cornelius, MC One décide d’aller à Château d’eau, l’un des quartiers africains (très ivoirien) de Paris pour tourner le clip. “Les gars m’ont super bien accueilli”, se rappelle-t-il. Contre toute attente, ce titre considéré comme un simple freestyle par Wana, devient un nouveau tube.
MC One étudie les tendances et s’inspire des artistes du moment pour créer ses morceaux à sa sauce. Pour le deuxième single, “Shérif”, il a été influencé par le flow du rappeur Niska “J’aime bien sa colère, sa tendance à crier dans les sons”. Comme le rappeur français, il y mêle avec aisance le chant et le rap, et aborde des thèmes jusque là inédits dans ses textes, comme le deal. ”En France, les rappeurs peuvent parler de sexe et de drogue. En Côte d’Ivoire, si tu fais ça, personne ne t’écoute”. S’il puise son inspiration chez les rappeurs français, il rappelle avec raison que ces derniers, de leur côté, piochent largement dans l’argot ivoirien ainsi que dans les rythmiques de son pays.
L’Afrique, le continent “où les rois ne savent pas qu’ils sont rois”
Certes, MC One est un rappeur à succès, mais il nourrit également la volonté d’être un porteur de messages. Depuis ses débuts en 2014, il combine carrière musicale et études. « Je veux donner une autre image des artistes aux gens en Côte d’Ivoire. Ils pensent que les artistes sont des délinquants, des gens qui ne sont pas allés à l’école, qui n’ont rien à faire. Je veux leur montrer qu’on peut faire la musique parce qu’on l’aime, tout en étant instruit et avoir des diplômes”. Alors que chacun de ses titres devient un tube, MC One poursuit actuellement des études supérieures en ressources humaines et communication.
« Je cherche à m’imposer en France mais je n’oublie pas mes origines, ni mon pays, ni l’Afrique”, tient à rappeler MC One. Son dernier single, “Africain”, invite tous les peuples du continent à être fiers de leur africanité. La musique emprunte légèrement au coupé-décalé pour les rythmiques. Le rappeur y parle des festivités, de la nourriture et évoque les valeurs d’accueil de l’Afrique. “Chez nous, l’étranger est toujours accueilli comme un roi”, affirme-t-il. “L’Afrique, c’est le continent des rois, on a toutes les ressources, les richesses. Mais les rois ne savent pas qu’ils sont rois”. Le clip a été réalisé par William Thomas, l’un des réalisateurs les plus en vogue dans le rap français. “Il a été tourné dans le quartier d’Anono, avec les grands frères qui font de la boxe, de la musculation, mais avec du matériel de récupération. C’est pour montrer que l’on n’a pas besoin du meilleur matos pour faire des choses, pour s’en sortir”, précise le jeune rappeur. “On a aussi tourné dans une usine où les femmes fabriquent l’attieké, la semoule de manioc”. Après avoir écouté les trois premiers extraits, on a hâte de découvrir l’album. MC One se sait roi. Il lui reste à le devenir.
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