Raï Is Not Dead, c’est le nom du troisième album de l’orchestre Fanfaraï Big Band. Douze musiciens de tous horizons qui revisitent avec bonheur les répertoires du Maghreb, plus vivants que jamais !
Mais non le Raï n’est pas mort. Comme un zombie réfractaire et rebelle, il refuse de se laisser enterrer par les croque-morts qui, depuis une dizaine d’années en France, ont préféré l’enfermer dans le formol de ce qu’il était dans les années 90. Pourtant, le raï n’a jamais cessé d’exister : on continue de produire et d’enregistrer en Algérie et, sur les marchés d’Oran, les chebab (pluriel de cheb, jeune chanteur) se multiplient comme des petits pains.
Assis autour d’un café, Abdelkader Tab dit « Kada » l’un des chanteurs de Fanfaraï, et Ourida Yaker la manageuse du groupe, égrainent les raisons qui les ont poussés à proclamer, en guise de titre, une telle profession de foi : RAI IS NOT DEAD.
Et rappellent que ce genre, agrégateur des musiques du Maghreb et d’ailleurs, est en perpétuelle évolution. À Paris aussi, même si les radios et les télés grand public ne le diffusent plus depuis que les stars du genre (Khaled, Mami, Faudel) se sont retirées. Les attentats qui ont frappé la France depuis 2015 ont ajouté la parano au silence radio. Tout ce qui touchait au Maghreb semblait faire peur, et certains programmateurs frileux ont annulé des concerts du groupe ou de leurs collègues de l’ONB, L’orchestre National de Barbès.
Pourtant, souligne Kada, « les jeunes ont besoin d’autres repères. À la télé, on ne voit jamais de musiciens du Maghreb. On ne montre que des terroristes. » Point n’est besoin d’épiloguer sur le sujet. Pour se convaincre de la vivacité du rai made in France, il n’y a qu’à écouter le dernier album de Sofiane Saidi dont PAM vous dressait le portrait, et bien sûr le tout dernier disque de Fanfaraï paru le 27 avril.
Raï Is Not Dead, puisque c’est son nom, est un disque festif, qui navigue avec jubilation parmi toutes les couleurs que prennent les musiques du Maghreb quand on les accoquine avec le jazz, la funk, l’afrobeat ou le reggae. Pas étonnant, à regarder la composition de ce groupe éminemment cosmopolite, qui de la Bretagne à l’Oranais en passant par l’Italie, sème dans sa musique les fragments d’histoire, les passions et les dadas de chacun des douze musiciens. Et, pour ce troisième album, un inclinaison résolument raï, déclinée comme un hommage à Boutaiba Sghir, l’un des vénérables et prolifiques auteurs-compositeurs de chansons raï, que les chebab ont bien souvent pillé sans le créditer. Installé aujourd’hui en France, retiré de la chanson, il a ouvert aux membres de Fanfaraï ses archives, et leur a donné des chansons inédites, pour certaines jamais enregistrées, avec tout le loisir, pour l’orchestre, de les arranger à leur manière. Et ça, c’est précisément la spécialité maison : avec une section de 6 cuivres et vents, l’orchestre est capable de redonner de nouvelles couleurs au répertoire traditionnel des Gnawa, ou bien à des classiques de l’Arabo-Andalou comme Touchia Zidane, audacieusement repris sur leur disque précédent. Ainsi, le groupe remet à l’honneur des musiques parfois oubliées et les réinterprète avec une touche unique, la sienne.
D’ailleurs, c’est ainsi que l’histoire du groupe a commencé. « À l’origine, raconte Ourida, il avait Ziyara, un groupe de musique traditionnelle qui reprenait, dans la rue, des chansons de tout le bassin méditerranéen et jusqu’au Moyen-Orient. » Ce groupe existe toujours, et à force de croiser des fanfares dans les festivals de rue, ses membres se sont dit qu’ils pourraient se marier avec une fanfare. Ziyara et quelques amis ont ainsi formé un groupe plus large, Fanfaraï. Pas de star, pas de chanteur vedette, car dans la rue, ce sont les cuivres qui remplacent le chant. Par contre, sur scène ou sur disque, les chanteurs et instrumentistes Bouabdellah Khelifi et Kada s’en donnent, chacun dans leur style, à cœur joie.
Et c’est d’ailleurs l’énergie de la scène que le groupe a réussi à restituer sur ce disque, admirablement produit. On y retrouve des accents jazz que ne désavouerait pas le Dirty Dozen Brass Band ou la section funky d’un Macéo Parker, mais aussi les échos des fanfares balkaniques et les karkabous (castagnettes métalliques) typiques des transes Gnawa. Sofiane Saidi, abonné des nuits parisiennes, les rejoint sur un morceau (Diri Yadik) et Lotfi Attar, l’un des fondateurs de Raina Rai, a marqué l’une des plages de sa guitare (Waliye). Dans ce parcours souvent débridé, l’instrumental Fet Elli Fet composé par l’ancêtre Ahmed Wahby est subtilement arrangé par le trompettiste Patrick Touvet. Pour un peu, on en ferait la BO d’un western de Sergio Léone tourné dans l’Oranais.
Autant le dire, Fanfaraï Big Band incarne cette richesse tous azimuts dont est capable le raï, disposé à tous les mariages et à tous les métissages. Leur musique ressemble finalement au parcours de Kada : fils d’un musicien et d’une danseuse, né dans la ville de Cheb Mami (Saida), grandi dans celle de Khaled (Oran), et vivant aujourd’hui en banlieue parisienne. On a envie de lui emboiter le pas, et la parole, pour dire que la Rai n’est pas mort. Ceux qui ne s’en rendent pas compte le sont peut-être. Fanfaraï Big Band entend bien les réveiller.
En concert (entre autres) le 26 mai au studio de l’Ermitage (Paris).