Il faut croire que c’est dans les situations les plus désespérées, dans les plus sombres plis de cette chienne de vie, que certains parviennent à trouver les idées lumineuses qui donneront un sens à leur existence, en irradiant celles de leurs compagnons d’infortune. Car c’est exactement ce qui est arrivé à Steve Happi, personnage central du film réalisé par Dione Roach, avec laquelle il a fondé le label Jail Time Records. Nous étions en 2018, et ce grand échalas aux dreads plus longues que les bras était au fond du trou, en l’occurrence : la prison centrale de Douala.
La cause : à la mort de son père, un conflit oppose Steve et ses frères à la famille paternelle : le différend porte sur l’enterrement du papa et dégénère. Voici que Steve, comme dans un mauvais film Nollywood, se retrouve accusé de la mort du papa, et se retrouve incarcéré. Une histoire digne d’un film Nollywood, qui lui vaut tout de même de passer deux ans en cabane dans l’attente d’un jugement qui finalement l’innocentera. Les voies de la justice camerounaise sont impénétrables, et souvent bouchées par l’accumulation des dossiers en souffrance. Deux ans, c’est long. Mais c’est au cours de ce séjour forcé que Steve rencontre Dione Roach, une jeune italienne qui travaille pour une ONG et a découvert le potentiel artistique des détenus : elle en vient à monter, avec l’autorisation des autorités pénitentiaires, un studio d’enregistrement au sein même de la prison. Steve la rencontre : lui qui a toujours pratiqué la musique, se met à encadrer certains des prisonniers : à la fois coach, directeur artistique, et fondamentalement… éducateur.
« Faire de la musique en prison a une profondeur et une puissance assez particulière et unique. Ça redonne vraiment de la dignité, de l’espoir, une raison de se battre, quoi ! C’est vraiment cet instrument sur lequel tu t’appuies afin d’exister encore » raconte Steve dans le film tandis que l’on suit une séance d’enregistrement dans le studio aux murs décorés par les détenus. Le producteur et ingénieur du son est devant son ordi, et comme les prisonniers, il prend un évident plaisir à entendre surgir le flow d’un de leurs camarades tandis que peu à peu, sur ses instrus, le morceau prend forme.
Dans la foulée du studio est né un label, le bien nommé Jail Time Records chargé de publier ces productions urbaines nées en prison, mais aussi après la détention. Car Steve continue de suivre ces jeunes lorsqu’ils sortent, et de travailler avec eux. Djafar, D.O.X., Moussinghi que l’on voit dans le film sont de ceux-là, et n’ont pas perdu la foi. « J’ai été cinq fois en prison, raconte Moussinghi. La dernière fois, la police m’a tiré dessus et je m’y suis encore retrouvé. C’est là que tout a commencé avec Jail Time : j’ai vu des changements s’opérer, et je me suis mis à espérer ».