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The Pan African Music Magazine
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Stambeli, dernière danse des esprits : le documentaire enfin sur PAM

Sur la chaîne YouTube de PAM, découvrez ce documentaire en trois parties qui rend hommage à ce culte tunisien où musique, danse et transe se conjuguent pour libérer les corps et les esprits, et inspirent aussi la jeune garde des musiciens électroniques.

Il y a bien longtemps maintenant – c’était avant le Covid et ses premiers confinements – le journaliste Théophile Pillault écrivait pour PAM un article dédié à ce rituel, illustré par les superbes images du photographe Augustin Le Gall, qui fréquente depuis une quinzaine d’années les communautés d’adeptes de ce rituel secret, souvent confiné aux maisons privées ou aux sanctuaires consacrés. Le photographe comptait poursuivre l’aventure avec un film documentaire, et le journaliste proposa de le prolonger par un épisode centré sur l’influence du stambeli sur toute une génération de musiciens, adeptes de l’électronique, fascinés par les boucles hypnotiques de ses musiques de transe. C’est ainsi qu’ont germé les premiers bourgeons de ce triptyque documentaire baptisé Stambeli, dernière danse des esprits. Il est enfin disponible, à compter de ce jour, sur la chaîne YouTube de PAM. 

La musique et les esprits

Pour entrer dans cet univers aussi mystérieux que foisonnant, il fallait des clefs. Augustin Le Gall les a trouvées, un jour de 2008, en la personne de Riadh Ezzawech, l’un des derniers médiums (arîfa) qui assure, dans le stambeli, la communication entre les vivants et les esprits qui cherchent à s’incarner. « Je savais, raconte le photographe et réalisateur, qu’au mois de chaaban – celui qui précède le mois de ramadan – il y avait pas mal de cérémonies, et quand j’ai rencontré Riadh, il préparait son rituel d’avant ramadan dans lequel il doit appeler tous les esprits qu’il représente pour attester de son rang et bénir la communauté ». Riadh est aussi gardien du sanctuaire (zaouia) Sidi Ali Lasmar, en plein coeur de la médina de Tunis, où un saint noir, ancien esclave affranchi, est enterré. 


Longtemps, plusieurs années durant, Augustin a fréquenté la zaouia, les cérémonies qui s’y tiennent, et les rites de guérison qui se cachent au cœur des maisons privées. C’est aussi là qu’il a rencontré Lotfi Karnef, dont la famille est depuis longtemps liée au stambeli. Celui-ci a choisi d’apprendre le gombri (ou guembri), ce luth basse à trois cordes qui, épaulé par les chkacheks (castagnettes métalliques), donne au rite son rythme, appelant les esprits qui se mettent à danser. C’est avec cet autodidacte, qui apprend dans l’ombre de Riadh Ezzawech, que débute le premier épisode. Son instrument et le rôle qu’il joue dans le rituel y sont à l’honneur : « C’est une musique, explique-t-il, qui vous fait vibrer de l’intérieur. Les notes basses sont l’âme du gombri, ça résonne dans tout ton corps ».

Lui dont les parents sont les gardiens du sanctuaire de Sidi Saâd, à l’est de Tunis, accompagne aussi Riadh Ezzawech dans le pèlerinage que le médium fait régulièrement à la grotte de Sidi Ali Al Mekki. Elle est creusée dans la roche, au flanc d’une montagne qui se précipite dans la mer. Une langue de sable la prolonge, s’échappant à l’horizon, montrant du doigt le soleil qui s’éteint dans les flots. Pour y accéder, Riadh et les siens marchent en cortège, longeant la côte et les histoires douloureuses dont elle fut le théâtre : non loin de là, un port servait à la traite des esclaves venus d’Afrique subsaharienne. C’est à eux notamment que l’on doit l’importation de pratiques animistes qui se sont réfugiées à l’ombre des saints et de la religion musulmane. La mer, c’est aussi là qu’habitent des esprits auxquels il convient de rendre hommage, par des chants, des musiques, et des sacrifices appropriés. C’est ce que font Riadh et les siens puis, une fois parvenu au sanctuaire, la musique lance une séquence extraordinaire qui montre la fièvre et la beauté de la danse des esprits que Riadh incarne tour à tour (il est la bouche de quarante d’entre eux), dans une transe haletante qui gagne en intensité à mesure que le gombri et les chkacheks redoublent d’ardeur. Augustin, qui avait déjà amplement exploré l’univers des gnawas du Maroc, se souvient du choc qu’a été la découverte du stambeli : « ce qui m’attirait, c’était cette question de l’invisible, qui existe à travers les humains, les cérémonies, les danses… et comment cet invisible se matérialise. Il y a une mise en scène de l’arrivée des esprits – matérialisés par les changements de costumes, leurs objets, parfois le trône qui indique leur rang… visuellement, c’est très fort ». On ne saurait mieux dire l’effet que produisent les images (signées Hazem Berrabah & Mongi Aouinet) et le montage (Fériel Khediri) de cette séquence qui, sans chercher à tout expliquer, nous immerge dans le rituel.

Qui suis-je ? 

« Qui suis-je ? Suis-je Riadh, Suis-je arîfa ? Dieu, guide-moi » C’est par cette question de Riadh Ezzawech que se clôt le premier épisode du documentaire : elle ouvre directement sur le second, entièrement centré sur le médium et le sanctuaire dont il a la responsabilité : Sidi Ali Lasmar. On raconte qu’à l’époque où l’empire ottoman avait ses gouverneurs en Afrique du Nord (aux 18 et 19ème siècles), l’un d’eux avait octroyé aux communautés du stambeli quatre maisons dédiées au culte. Plus tard, d’autres viendront s’y ajouter mais à l’indépendance, la politique nationaliste du président Habib Bourguiba qui cherchait à forger une culture unitaire au détriment des particularismes identitaires, ainsi que la vente d’un certain nombre d’édifices appartenant à l’état – dont le sanctuaire où officie Riadh, vont fragiliser le culte, et avec lui toute une histoire et une tradition. Le second épisode, intitulé Héritage, nous montre justement Riadh dans sa lutte pour la maintenir vivante, et conserver le sanctuaire, que le propriétaire – qui l’avait acheté à l’Etat – veut revendre, quitte à mettre un point final à sa riche histoire. Et du même coup, à ce qui, toutes ces années durant, a donné sens à la vie de Riadh. Car il n’était pas voué à entrer dans le stambeli, ce sont les esprits qui l’ont appelé… c’est en tout cas ainsi que les médiums consultés à l’époque interprétèrent sa maladie, l’initiant à son rôle de médium capable de guider, d’apaiser, et d’interpréter les volontés de ces entités.

Riadh peine à trouver la relève : mais que deviendra-t-il si le rituel disparaît, faute de remplaçants : « ce serait comme une mort sociale » explique Augustin. D’où sa question : « qui suis-je ? », qui est donc Riadh s’il n’est plus arîfa ? Et l’intéressé, dans le documentaire, d’ajouter : « un pays sans histoire n’en est pas vraiment un ». Une question qui vaut pour le stambeli, comme pour d’autres traditions originales que l’histoire et une certaine idée de la modernité ont peu à peu ensevelies. Le stambeli, explique Théophile Pillault, réalisateur du 3ème épisode, « c’est un point d’ancrage de l’africanité de la Tunisie. Ifriqiya, c’est l’ancien nom de la Tunisie, mais on a cantonné le pays a des visions arabes, méditerranéennes, carthaginoises… les dialectes et le particularisme ont été lissés ». À défaut de nouveaux initiés, cet ancrage africain et sa richesse sont exhumés par une génération de jeunes artistes que le stambeli inspire. À leur manière, ils le redécouvrent et lui offrent, à travers la musique, une nouvelle vie inattendue.

Électro-stambeli : une nouvelle vie en musique ? 

Théophile Pillault a débarqué en Tunisie pour la première fois en 2014, à la veille des élections législatives qui virent la victoire du parti Ennahdha. Très vite, il rencontre des DJ et des producteurs électro comme Deena Abdelwahed et le collectif Arabstazy dont fait partie Amine Metani, le personnage principal de ce troisième épisode, Transmission. C’est avec eux qu’il découvre « une scène alternative et underground très riche avec des propositions hyper pointues, certes dans un microcosme occidentalisé… des artistes qui ont un pied en Tunisie et l’autre en France, qui gardent une oreille sur les scènes anglaises et françaises, et en même temps qui sont tunisiens, arabes et africains, et qui ont à coeur de creuser ce patrimoine là ». 

Dans le documentaire, on retrouve justement Amine Metani alors que le Lyonnais se rend au festival Sailing Stones pour y jouer, et qu’il profite de ce séjour dans son pays natal pour approfondir ses recherches autour du stambeli. Il rend visite à Riadh, assiste à la conférence d’un chercheur autour du stambeli, s’arrête à Dar Barnou – une autre des maisons de stambeli où il a emmené son néo-gombri, customisé pour être amplifié et sujet à toutes les modulations que permettent les pédales et autres tables de mixage. Amine, co-fondateur du label Shouka, n’est pas un « pratiquant » du stambeli, mais son univers l’inspire : « C’est un rituel dont je me nourris personnellement dans mon travail de musicien, dans ma propre spiritualité, mais ce ne sont pas des communautés auxquelles j’appartiens » explique-t-il face à la caméra. Et de fait, lui comme certains de ses camarades puisent dans les musiques du stambeli des richesses qui s’épanouissent dans leurs sons synthétiques. 

Mais l’enjeu dépasse cela : « J’ai trouvé passionnant, raconte Théophile Pillault, de suivre un gars comme Amine qui a une double culture, de le voir arpenter un chemin de quête, de redécouverte identitaire parce que c’est aussi son pays : c’était passionnant de voir comment un gamin né en Tunisie mais qui fait sa vie en France retourne au pays pour y redécouvrir un truc profond… » . Et c’est une des questions de fond que pose le documentaire : face à la disparition d’une tradition aussi riche, y’a-t-il dans cette ré-appropriation par les jeunes générations une forme, certes, partielle, de transmission, et de perpétuation d’un héritage ? Sans doute pas autant que ne l’espérait Riadh, mais il n’empêche : « les choses sont appelées à disparaître, à se transformer, et aujourd’hui ce que font les jeunes rassemble les gens… on a déplacé la forme – le stambeli soigne les problèmes du quotidien, et la musique sort les gens de leurs problèmes » analyse Augustin. Cette parenté, Amine Metani la résume bien : « ce qui m’a appelé dans le stambeli, explique-t-il tandis que son collègue Ghoula mixe dans une soirée, c’est ce parallèle que j’ai fait tout de suite entre un rituel ancien, une forme d’accès au sacré et à la transe par la possession, et puis la culture club que j’associe d’une certaine façon à un rituel, à une forme de communion centrée plutôt sur la figure du DJ ». Et Théophile de conclure : « Le stambeli n’a fait que s’hybrider, il a traversé le désert pour arriver en Afrique du Nord, et aujourd’hui Ammar 808 qui vit à Copenhague, fait de la bass musique avec le stambeli :  l’hybridation, c’est une forme de perpétuation ». Dans une Tunisie où les crispations identitaires refont surface, cette idée de métissage et de diversité qu’incarnent ces mutations est salutaire. Le stambeli en est un bel exemple, et ce documentaire – entre sacré et profane, lui rend le plus beau des hommages.

Retrouvez l’intégralité de la série documentaire ici.

Stambeli, dernière danse des esprits (3x10min, France/Tunisie 2022)
Un film de Augustin Le Gall et Théophile Pillault
D’après une idée originale de Augustin Le Gall
Produit par PAM I Pan African Music et APA : Artistes Producteurs associés
Avec le soutien du CNC Talent