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The Pan African Music Magazine
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Pédro Kouyaté : « Les Kouyaté sont la carte SIM de l'Afrique »

Le ménestrel multi-instrumentiste Pédro Kouyaté a arpenté les chaussées de Bamako à Paris. Son dernier disque Vis ta vie, réunit la crème de la musique francophone : de Rocé à Oxmo Puccino en passant par Jean-Jacques Milteau, Lansiné Kouyaté, Mamani Keita ou encore Abdoulaye Diabaté. 


Rencontre

La scène se déroule dans un petit jardin bucolique à Montmartre. Pédro Kouyaté, l’homme au chapeau, y présente son dernier-né: Vis ta vie, accompagné par des claviers, un sampleur MPC, un bassiste et un guitariste. Lui-même joue de la kora d’une main, tout en tapant avec dextérité de l’autre sur une calebasse. C’est avec cette cucurbitacée hémisphérique qu’il a longtemps secondé le grand Boubacar Traoré. Ce soir-là à Montmartre, au pied levé, à la demande, le maestro malien reprend « Diaraby », un standard d’Ali Farka Touré. Au passage, Pédro, dont le patronyme renvoie au temps des « casques blancs » coloniaux, rapporte une anecdote méconnue sur le « guitar hero » de Niafunké. C’est aussi cela l’art du griot, celui du conteur: « Avant l’Indépendance, en 1960, à l’époque du Soudan français, mon père (son homonyme Pédro, NDLR) travaillait pour l’Amap (Agence Malienne de presse et de publicité ) et pour la radio du Soudan (l’ancien nom colonial du Mali, NDLR) qui a existé de 1957 à 1960. C’était la plus grande radio de l’Afrique de l’ouest. Ali Farka Touré conduisait les équipes dans les villes et villages. Quand mon père est décédé, son véhicule est revenu à Ali Farka. Tout le monde craignait l’âme de griot défunt de mon père. La seule personne qui a eu le courage de la reprendre fut Ali Farka. Ensuite, la radio, rebaptisée radio nationale du Mali, lui a donné sa chance pour son premier album : «Radio Mali ». Ce microsillon, gravé entre 1975 et 80, a failli être perdu… avant d’être exhumé dans les archives nationales, puis réédité par Nick Gold et son label World Circuit en 1996. Mais ça, c’est une autre histoire….

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Dans les pas d’Ali Farka et Toumani

Cette anecdote a été relatée par Ali Farka Touré dans la cour de Toumani Diabaté, à Bamako, quartier N’Tomikorobougou ( la cité des tamariniers en bambara). Le jeune Pédro Kouyaté, qui est alors disciple du célèbre korafola (koraïste), n’a pas perdu une miette du récit. Son destin est scellé : il vivra à son tour de la musique. Licencié en socio-anthropologie, le jeune Pédro cire des chaussures et joue de la guitare dans la rue pour « payer sa piaule » : « J’étais comme une pile électrique. La guitare m’a permis de soigner mon bégaiement.» se souvient-il. Très vite, Pédro est repéré par l’Institut français à Bamako. Il devient le percussionniste attitré de « Karkar », le bluesman Boubacar Traoré. Sur un morceau de Vis ta vie « intitulé « Océan » un complice de longue date officie à l’harmonica : Vincent Bucher, qu’on a pu entendre aux côtés de Tao Ravao, Patrick Verbecke ou Bill Deraime: « En 2001, quand je suis arrivé à Paris, dans les bagages de Boubacar Traoré, Vincent a été le premier à m’avoir accueilli. J’avais tellement froid ! » se souvient Pédro, avec un frisson. Si l’aventure « Karkar » a été riche d’enseignements, Pédro Kouyaté ne veut pas rester cantonné au rôle d’« accompagnateur à vie ». Il forme son propre band en 2006. Quatre ans plus tard, il réalise sur son label indépendant Comtet-Kouyaté prod, créé avec son épouse la vidéaste Sophie Comtet-Kouyaté, l’album One, suivi de Two You, puis Tramontane en 2014 et enfin Aïna, dédié à sa fille, sorti sur le label Active Records en 2016.


Quand la MPC rencontre la kora

Vis ta vie, enregistré au studio La Fugitive dans le 20ème arrondissement de Paris, représente une étape supplémentaire dans le cheminement sonore de Pédro Kouyaté : une touche d’électro auréole sa musique, profondément enracinée dans l’héritage mandingue. Le maestro s’est placé ici sous le haut patronage du méconnu Issa Bagayogo dit « Techno Issa », ce beatmaker « bidouilleur » de génie, disparu en 2016 : « C’est lui le premier qui a « collé » le son du kamale n’goni avec la MPC.» assure Pédro Kouyaté. Sur trois titres de l’album : « Camillio », « Kayamb blues » et « Vis ta vie », on entend le timbre si caractéristique et puissant de la diva Mamani Keita, appuyée par l’harmonica du véloce Jean-Jacques Milteau. Elle s’est imposée comme une évidence à Pédro Kouyaté : « J’aurai pu solliciter mes grandes soeurs Rokia Traoré ou Oumou Sangaré mais c’est Mamani qui était la plus adaptée à mon projet.»

Sur « Koyantche » Pédro a convoqué un autre artiste malien majeur : le balafoniste Lansiné Kouyaté, réputé pour son tandem avec le vibraphoniste anglais David Neerman. Par ailleurs, Lansiné vient de sortir, avec le pianiste Jean-Philippe Rykiel, l’excellent « Kangaba », chez Socadisc. Fils de l’immense chanteuse Siramori Diabaté, décédée en 1989, Lansiné Kouyaté marque sur ce morceau l’empreinte du griot : « Un Kouyaté, résume Pédro, c’est la carte sim de l’Afrique. On a cette responsabilité énorme de ne rien oublier, ni l’Histoire, ni les guerres, ni les conquêtes, ni les noms de famille.» . L’aura mystique du continent se manifeste sur un autre titre « Devin », inspiré par un épisode vécu. Au Mali, un ami de l’artiste l’a un jour emmené voir le devin : « Tout ce qu’il m’a dit s’est réalisé ! Les devins sont nos psy africains ! »


La panthère et le lion

Deux belles plumes du rap ont été conviées sur Vis ta vie : Oxmo Puccino, que Pédro Kouyaté compare à une panthère et Rocé, qu’il perçoit comme un lion: « C’est dans le cadre d’une tournée avec le grand Archie Shepp en 2014-2015 que Pédro a croisé le chemin de Rocé. « Je le trouve à la fois incroyablement résistant et paradoxal. Il parle très peu. Il est calme. Mais dès que tu lui donnes un micro tu réveilles le lion !» analyse Pédro Kouyaté. La prose aiguisée de Rocé sert « Djuguya » un morceau qui évoque la méchanceté gratuite : « ça parle de ma vie et de celle de mon voisin au Mali. En Afrique on est ensemble, on est frères, mais il y a des couteaux dans le dos ! Même au sein de ta propre famille il peut y avoir du djuguya !»

Sur « Hiver », sans doute le thème le plus touchant du disque, le feulement de la « panthère » Oxmo Puccino nous fait dresser l’oreille : « Je le suis depuis l’album Opéra Puccino en 1998. Peu de gens le savent, mais il est originaire de Ségou, la quatrième région administrative du Mali. Comme par hasard, c’est là où on trouve les paroliers, les poètes traditionnels du pays.» Métaphoriquement, le manteau froid de l’hiver est celui du « grand départ »: « Quand l’hiver te frappe les os et que tu n’y peux rien. Il faut attendre que ça passe pour retrouver la chaleur…» Sous les notes de piano du grand Aboulaye Diabaté, leader du Kora Jazz Trio, l’émotion nous étreint. On entrevoit l’espace d’un instant les défunts. Comme la propre mère de Pédro, Fanta, emportée par un cancer du sang, ou la comédienne et conteuse  Esther Marty Kouyaté, épouse du comédien Sotigui Kouyaté, partie cette année. Sur sa page Facebook Pédro Kouyaté a aussi rendu hommage au regretté bassiste camerounais Hilaire Penda, qui vient de nous quitter : « Pour nous, Africains, la mort n’existe pas. Les disparus sont partout dans nos rêves, dans nos murs, nos pastèques… »

Pour découvrir les nombreuses pépites de Vis ta vie le mieux est encore d’aller voir Pédro, son band et ses invités en live ce 10 novembre au Café de la Danse. Le nom de ce lieu parisien ne pouvait que séduire le bluesman: « Les Africains aiment la danse. Je crois que si mon père n’avait pas su danser il n’aurait pas séduit ma mère! » conclut-il, avec un large sourire. Vous voilà prévenus: vous aurez des fourmis dans les guiboles au son de Vis ta vie !

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