Retour sur l’un des moments-clé du parcours du Grand Maître Franco Luambo Makiadi.
Nous sommes en 1982, Franco et une partie de ses musiciens ont passé de longs mois en Europe, pour des concerts mais aussi parce que le Vénérable Yorgho (l’un des surnoms de Franco) a décidé de consacrer du temps à la distribution de ses disques à l’international.
Au Zaïre, la fin des années 70 avait été pour lui difficile. Franco avait connu des déboires et s’était fait beaucoup d’ennemis. La parution de chansons plus qu’osées, pour ne pas dire pornographiques, avait même déclenché l’ire de Kengo Wa Dondo, baron du parti unique et, alors, Procureur de la République. Kengo convoqua même la mère de l’artiste pour écouter, en présence de son fils, les chansons incriminées. Franco lui rendra plus tard la monnaie de sa pièce avec la chanson « Tailleur ». Mais devant sa maman, il n’en menait pas large. D’autant qu’il fut condamné à deux mois de prison, avec dix des membres de son orchestre. L’ordre national du Léopard, plus haute distinction zaïroise, lui fut retirée. Certes, on le lui redonnera quelques mois plus tard, car Luambo demeure un incontournable ambassadeur de la musique zaïroise, qui voyage d’ailleurs pour ses tournées avec un passeport de service délivré par l’Etat Zaïrois. Mais toutes ces difficultés expliquent aussi certainement la longue absence de Franco, qui a pris ses distances, loin de Kinshasa.
À l’occasion de son retour au Zaïre, il offre un show de deux heures trente à la télévision nationale. C’est au cours de ce retour en force qu’il interprète « Kinshasa Mboka Ya Makambo », une déclaration de fidélité à sa ville, malgré son ingratitude. C’est aussi une déclaration de guerre à ses rivaux et autres jaloux saboteurs qui font courir sur lui les pires rumeurs (Franco les détaille dans la chanson). La voici sous-titrée avec la traduction de Kerwin Mayizo (activez-les en cliquant sur la petite roue) :
Pour la petite histoire, et pour compléter les circonstances qui ont vu naître cette chanson dont les paroles sont en partie improvisées, il faut rappeler que Franco et ses musiciens avaient eu, à Bruxelles, maille à partir avec la police belge. Les tenanciers de bars et de boîtes congolais s’étaient plaints de l’assèchement de leur commerce à cause des concerts que Franco donnait, attirant la foule des ambianceurs (qui sont aussi des buveurs !) Or Franco et son staff organisent des concerts au cours desquels on vend de la bière, mais ne paient pas de taxes comme les restaurateurs et autre tenanciers de bars régulièrement enregistrés. Suite à la dénonciation, la police contrôle les membres de l’orchestre, et constate qu’ils sont en infraction, puisque leur passeport de service ne leur donne pas le droit de travailler. On leur signifie qu’ils doivent quitter le territoire. Comme la joyeuse bande récidive, en se produisant à nouveau, la voici pour de bon expulsée.
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À Kinshasa, Radio-trottoir toujours riche en rumeurs a tôt fait d’imaginer que Franco et les siens ont été chassés parce qu’ils convoyaient de la drogue, ou encore, qu’ils étaient en service (d’où le passeport) pour repérer et éliminer les opposants zaïrois. Bref, des fantasmes qu’alimentent sans doute volontiers ses rivaux, qui ont pris ombrage de son retour en grâce auprès des autorités. Durant son absence, le vide qu’il avait laissé à Kinshasa avait aiguisé les appétits de ses rivaux. « Kinshasa Mboka Ya Makambo », extraite de l’émission spéciale que consacrait à Franco la télévision zaïroise, était animée par Lukunku Sampu, qui questionnait Franco, notamment sur ses « histoires » en Europe. Franco bien sûr démonta les rumeurs, et appela même pour appuyer ses dires Papa Wemba qui était au cours des semaines précédentes avec lui à Bruxelles.
Sept ans après cette soirée très particulière, lourde de sens, Franco décédait en Belgique. C’était le 12 octobre 1989.
Auteurs : Vladimir Cagnolari & Kerwin Mayizo