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The Pan African Music Magazine
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Nyami Nyami : le son inouï de l'Afrique australe

Le jeune label se distingue par sa passion des musiques d’Afrique australe, et publie ses coups de cœur, toujours inédits. Rencontre avec Charles Houdart, l’un de ses deux fondateurs.

En moins de quatre ans, Nyami Nyami, petit label aux grandes oreilles, a su se distinguer dans la pléthore discographique qui débarque dans les bacs. Tout d’abord par le choix de documenter uniquement la musique « moins repérée » d’Afrique australe. Ensuite, par des pochettes souvent esthètes. Enfin, par des réussites artistiques, à commencer par le combo made in Soweto, BCUC, qui en deux disques et bien des tournées s’est imposé comme l’une des grandes révélations venues d’Afrique du Sud.

Pour autant, la fièvre que transmet de la tête aux pieds BCUC ne doit pas masquer les autres publications de Nyami Nyami, à commencer par le formidable maxi de Chiwoniso, la princesse du mbira, le piano à pouces zimbabwéen. Dans le genre épatant, la petite maison a également publié un maxi de Zimba, une espèce de post-disco proto new-wave enregistré en 1983, augmenté pour cette réédition par une version plus freaky jazz des Anglais de The Comet is Coming. Et que dire du rock oblique des New Tutenkhamen, un LP longtemps passé sous les radars, qui permet de combler les trous de mémoire d’un pays, le Zimbabwe, trop peu identifié ici dans les cartographies sonores. L’occasion de revenir sur cette histoire, et plus encore sur celle de ce label pas tout à fait comme les autres, avec l’un de ses deux créateurs, Charles Houdart.

Charles Houdart, un des co-fondateurs du label du Nyami Nyami

Charles Houdart, un des co-fondateurs du label du Nyami Nyami


Quand avez-vous rencontré Antoine Rajon, avec lequel vous avez fondé Nyami Nyami ?

En 2010. Je travaillais au Zimbabwe comme directeur de l’Alliance française et j’avais invité Bibi Tanga & The Selenites au festival HIFA qui se déroule chaque année à Harare. Le groupe était à l’époque managé par Antoine qui était sur la route avec eux. L’année suivante, j’ai programmé le projet Kouyaté & Neerman pour ce même festival, toujours accompagné de M. Rajon… Bref, on sympathise, on échange, on s’entend plutôt bien, Antoine tombe amoureux du Zimbabwe, et il revient plusieurs fois pour enregistrer des artistes du cru dans le cadre de projets mis en place par l’Alliance Française. C’est comme ça que sort l’album Jacaranda Muse sur le label Heavenly Sweetness notamment.

le groupe BCUC

Le groupe BCUC


L’étape suivante était la création du label…

Quelques sessions se sont déroulées plus rapidement que prévu. Nous avions donc une journée de studio de libre sur les bras, et nous avons décidé de proposer à la chanteuse Chiwoniso de passer et enregistrer quelque chose, sans aucun projet de disque ou de sortie derrière la tête. Je la connaissais un petit peu, c’était une personne adorable, mais assez « wild » et insaisissable. Il fallait sans cesse la rassurer. Elle se pointe au studio le matin avec son musicien Jacob Mafuleni, prend son temps, hésite, se laisse convaincre par Antoine, et enregistre finalement une version sublime et dépouillée du classique zimbabwéen Zvichapera… Hélas, elle meurt quelques mois plus tard, et on se retrouve avec cet enregistrement magnifique dont on ne sait pas trop quoi faire, même si on sait que c’est la plus belle chose jamais enregistrée par Chiwoniso. Au même moment, après cinq ans au Zimbabwe, je devais rentrer à Paris. J’avais donc un peu de temps devant moi, et on a donc décidé de sortir ce titre nous-mêmes, avec un remix un peu baroque par le frère de Chiwoniso, Tendai Maraire (moitié du duo hip-hop Shabazz Palaces). On a du coup choisi de créer le label ad hoc. 

Chiwoniso Maraire

Chiwoniso Maraire


Une maison avec un drôle de nom…

Le Nyami Nyami est la créature légendaire et spirituelle du fleuve Zambèze, et le dieu-serpent colérique du peuple Tonga. C’est aussi une figure populaire du folklore zimbabwéen. Bref, ce nom est un hommage à la culture de ce pays qui est à l’origine de la création du label.


Le Zimbabwe est d’ailleurs la ligne éditoriale/esthétique de Nyami Nyami…

Oui, il s’agit d’une ligne « géographique » avant tout. On s’intéresse à l’Afrique Australe, exclusivement. Pour la ligne esthétique, c’est Antoine qui est essentiellement aux commandes, et comme il a l’esprit large et le nez fin, ça donne un catalogue très éclectique : de la musique pour l’image sud-africaine du début des années 1980, une collaboration d’un musicien zimbabwéen traditionnel avec le producteur français Gary Gritness, le groupe BCUC… Les principes directeurs étant de se faire plaisir et de proposer des musiques singulières d’hier et d’aujourd’hui. On n’a aucune ambition économique avec ce label, aucune pression de sortir un disque régulièrement. On est bien entendu heureux si on peut rembourser les frais de production, si le son est beau, et si quelques mélomanes avisés achètent nos disques. 

Jacob Mafuleni et Gary Gritness

Nyami Nyami permet aussi de pallier un manque de couverture de cette partie de l’Afrique…

C’est sûr que cette région du continent reste encore assez mystérieuse musicalement pour pas mal de gens, même si les choses bougent depuis quelques années. Mais s’intéresser à ces pays-là n’est pas un choix de positionnement marketing, c’est le résultat de nos deux parcours. De toute façon, les rééditions concernent désormais toutes les régions d’Afrique… Plus grand-chose n’échappe aux diggers. Pour la production de musiques d’aujourd’hui, c’est une autre histoire. Les sorties sont moins nombreuses et ont du mal à dépasser les frontières de leur pays, à l’exception de l’Afrique du Sud bien entendu qui a depuis longtemps une industrie du disque florissante.


Quelles sont les spécificités de l’Afrique australe en termes d’identité sonore ? La mbira, une clef d’écoute ?

La Mbira est l’instrument central de la culture musicale zimbabwéenne, l’outil des médiums pour entrer en contact avec les ancêtres et sur lequel repose une part importante de la spiritualité traditionnelle du pays. Mais cette musique traditionnelle se décline sous des formes plus modernes avec la musique de lutte Chimurenga incarnée par Thomas Mapfumo et Jonas Sithole, ou encore les productions très populaires de la Sungura music des Bundhu Boys, de Leonard Dembo, Alick Macheso. La musique zimbabwéenne, c’est aussi une icône nationale décédée le 23 janvier : Oliver Mtukudzi.

Bulawayo // Harare – Bulawayo Kwela and Albert Nyathi, Elliott Phiri, David Tapfuma & Esa


Le succès de BCUC vous a-t-il permis de consolider le label ?

BCUC, c’est un succès médiatique et un succès pour le live avec des tournées à répétition et des dates dans les plus grands festivals. Mais en terme de vente de disques, c’est assez insignifiant (un peu plus de 1000 LP du premier album), donc ça n’a pas d’impact financier, on est toujours aussi fauchés !

Par contre ça nous donne de la légitimité et une belle image de marque pour le label… L’autre titre qui reste beaucoup dans les mémoires est celui de Chiwoniso : musique magnifique, pochette sérigraphiée et signée par l’artiste Misheck Masamvu, tirage limité à 300 exemplaires… Tout concourt à en faire un objet culte.

Zvichapera – Chiwoniso


Dans le genre rare, votre dernière sortie,
I Wish You Were Mine des New Tutenkhamen se pose là. 

Le nom de ce disque circulait chez les diggers hardcore, mais personne n’en avait jamais vu une copie, aucune trace sur Discogs ou Youtube. Par contre, le groupe est connu de toute une génération de Zimbabwéens, ceux qui avaient 20 ans dans les années 1970, et il est même référencé dans le livre Zimbabwe Township Music de Joyce-Jenje Makwenda. On a demandé à tout le monde, on a fouillé dans les archives de Gramma Records, on a contacté le fils du producteur Crispen Matema, on a été très patients, et j’ai fini par trouver une copie ! Mais avant d’être un disque très rare, c’est surtout un bon disque, typique de cette scène d’un pays alors en pleine guérilla pour l’indépendance. Il y avait des groupes comme Wells Fargo, Green Arrow, avec souvent des paroles à double sens sur la lutte en cours. On y trouve des musiciens qui ont ensuite eu une belle carrière comme Jethro Sasha, mais le groupe repose sur le chanteur Elisha Josam qui était un personnage assez sombre, torturé, un peu bad boy, et dont on se souvient avec un peu de fascination et de mystère au Zimbabwe. En fait, on n’en sait pas beaucoup plus sur ce groupe : pas de photos, pas d’infos, pas de survivants… Reste un beau disque.

Wish You Were Here – New Tutenkamen


Quelles sont les prochaines références que vous comptez sortir ?

Rien n’est décidé. J’aimerais bien ressortir un classique de la musique Sungura comme le Chitekete de Leonard Dembo, ou un beau disque de musique traditionnelle, mais on n’est pas non plus un label de rééditions uniquement, et il y a plein de choses à écouter aujourd’hui.

Retrouvez Nyami Nyami sur Bandcamp.

Lire ensuite : Stella Chiweshe : les premiers enregistrements de l’icône zimbabwéenne ressuscités par le label Glitterbeat

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