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Au Maroc, Tamikrest chante la liberté menacée des nomades du Sahara

Le 22 mars dernier, le groupe Tamikrest se produisait au Maroc à l‘invitation du Festival International des Nomades. Une première pour ce groupe originaire de Kidal, au nord du Mali, dont la plupart des membres vit depuis 2012 l’exil en Algérie. Reportage.

1h du matin, aéroport de Zagora, région du Drâa-Tafilalet. Malgré le froid, Aghaly Ag Mohamedine est en tee-shirt sous sa veste en cuir. Le percussionniste de Tamikrest montre des signes d’impatience. Aucun véhicule à l’horizon et encore une centaine de kilomètres à parcourir avant d’atteindre M’Hamid El Ghizlane, la « porte du Sahara ». Via Alger, puis Casablanca, Aghaly arrive de sa ville natale, Tamanrasset. Il y vit aujourd’hui plus par nécessité que par choix : « En Algérie je me sens mieux qu’à Kidal. Là-bas il y a la sécurité, en ville en tout cas. Mais dans le désert, c’est autre chose. Le désert est vaste, impossible à sécuriser. »

Pour preuve, le matin même, un camp des forces de l’ONU (Minusma) et de la force française « Barkhane » a de nouveau été pris pour cible par des tirs de mortiers à Kidal. C’est dans cette ville, située au cœur de l’Adrar des Ifoghas et fief historique des rebellions Touaregs, qu’est né y a plus de 10 ans, avec six autres jeunes venus de tout le Sahara, le groupe Tamikrest : « Cette attaque te donne une idée de ce que le frère de mon père et sa famille subissent. Ils vivent chaque jour avec la peur. Tu ne sais pas de quoi demain sera fait. Ceux qui, faute de travail, se rapprochent des Français on les prend pour des mécréants, ceux qui se rapprochent d’Al Quaida on les prend pour des terroristes, ceux qui se rapprochent de l’état malien on les prend pour des vendus. Moi je peux y retourner, mais je ne peux pas y faire ce que je veux, c’est-à-dire de la musique : c’est le seul moyen d’attirer l’attention des gens et d’exprimer notre souffrance, celle de notre peuple. » 

Tamikrest a fait ses premières apparitions sur la scène internationale en 2006. Depuis, le groupe a sillonné le globe : l’Europe, le Canada, les Etats-Unis et même le Japon.  En Afrique, il s’est déjà produit à Alger et, récemment, à Bamako « chez les Français » (NDLR À l’Institut Français), mais il n’avait jamais joué au Maroc : « nous sommes plus connus à l’extérieur que chez nous, en Afrique », regrette Aghaly. Raison de plus pour être pressé d’arriver : « C’est un peu chez nous ici, on va jouer au désert ! »

10h: réveil à M’Hamid El Ghizlane (la plaine des gazelles » en arabe). Le goudron s’arrête effectivement là, à l’extrémité de la nationale 9. Faute d’eau, les gazelles ont depuis longtemps délaissé cet ancien carrefour culturel, étape autrefois cruciale du commerce transsaharien. Devenu le point de départ d’excursions dans le désert, c’est aujourd’hui le tourisme qui fait pour partie vivre ce chapelet d’habitations en pisé balayées par le sable. Selon ses organisateurs, les voyageurs étrangers ont d’ailleurs représenté 40 % des 20 00 festivaliers qui, sur trois jours, ont assisté à la dernière édition du Festival International des Nomades. Un événement fédérateur, en entrée libre, qui invite musiciens et citoyens du monde à honorer un mode de vie en voie de disparition, celui des Nomades sahraouis.

Cérémonie d’ouverture de la 15ème édition du Festival International des Nomades @ Gorges Abel

18h: le soleil décline, M’Hamid s’éveille. Alors que les femmes, enroulées dans leur melhfa (long morceau de tissu porté par les femmes du Sahara), et les enfants se pressent devant les étals de bonbons et de tissus, improvisés pour l’occasion sur la route principale, le groupe Tamikrest vient de terminer ses balances sur la grande scène installée devant le collège. On retrouve Aghaly en compagnie des membres du groupe Afous d’Afous (« main dans la main » en tamasheq), programmé en clôture du festival : « Eux aussi viennent de Tam. C’est mon groupe préféré dans la nouvelle génération de musiciens touaregs », raconte Aghaly. Sur la photo, tout le monde pose avec les doigts en V. Pour la victoire ? « Non, pour la vie ou la mort. Pour ce qu’il y a de plus noble : la liberté. »

Dans le pick-up qui le ramène à l’auberge El Khaima (« la tente » en arabe), le regard d’Aghaly s’assombrit : « À part la langue, ici c’est presque la même vie que chez nous, les mêmes gens, la même façon de s’habiller. Mais seulement ici tu sens une certaine liberté qui n’existe plus chez nous, au désert, de Kidal jusqu’à la Libye. Avant le Sahara c’était le paradis. Aujourd’hui, c’est une menace pour les peuples qui y vivent. Quand je vois tous ces étrangers circuler en toute liberté, ça me touche. Chez moi ce n’est plus possible, car on a plus la sécurité, alors qu’il y a vraiment de quoi découvrir. Le terrorisme existe depuis 2000 et l’état malien n’a rien fait pour l’empêcher de s’installer.»

La rencontre quelques heures plus tôt, sous une tente, du Malien Hammadouya Dicko, vient renforcer ces propos. Arrivé à M’Hamid, à l’invitation du festival, via Tombouctou, Bamako, Dakar et Casablanca, Hammadouya est originaire d’Essakane, ancienne oasis saharienne où, jusqu’en 2012, se déroulait le Festival au désert, aujourd’hui en exil. Venu vendre bijoux et autres boîtes en cuir à décors géométriques, il compte rester quelques jours au Maroc pour apprendre la permaculture. Car, faute de touristes, sa famille d’artisans n’a plus de quoi vivre au pays.

23h:  la nuit comme le vent sont tombés sur M’Hamid. Said, pompier à l’aéroport de Ouarzazate et originaire de Zagora, attend Tamikrest : « je suis fier de les voir ici. On ne parle pas la même langue, mais leur musique me touche, je comprends et respecte leur combat contre les injustices et pour la liberté. » La timide silhouette d’Ousmane Ag Mossa, chanteur-guitariste du groupe, s’avance et lance un regard complice au guitariste Paul Salvagnac. Accompagnés d’Andrew Sudhibhasilp (pour la première fois à la basse en remplacement de Cheikh Ag Tiglia, en tournée avec Tinariwen) et de son acolyte du groupe Terakaft, le batteur Nicolas Grupp, passés maitres es groove des rythmes touaregs, ils embarquent le public dès l’ouverture avec l’hypnotique Tisnant an Chatma. Quelques minutes plus tard, Aghaly lance un « Azul Fallawen » (« salut à tous » en berbère) et le public exulte. Suivront plusieurs titres de leurs anciens albums, les plus propices à faire bouger les foules, à l’image de Fassous Tarahnet. Malgré le froid et le gouffre qui, pour des raisons de sécurité nous dit-on, les sépare du public, la communion restera entière tout au long du concert. Alors que les femmes et les jeunes filles se serrent au fond de l’esplanade ou sur les côtés, les jeunes garçons sont aux premières loges, tenant à bout de bras l’autocollant « I love nomades » qui leur a été distribué. Des cercles d’hommes se forment pour danser, d’autres pour boire de l’eau de vie de datte à l’abri des regards (ndlr le royaume interdit la consommation d’alcool aux musulmans). Appelé ici « moonshine », cet alcool de contrebande circule sous le drâa (longue tunique ornée de broderies) des hommes. Et tant pis si la gendarmerie royale encercle le périmètre. L’ambiance est la fête, et à la transe.

À peine sorti de scène, Ousmane, encore étourdi de tous les selfies auxquels il a dû se prêter, confie : «  Je suis d’une communauté nomade, qui voyage sans cesse. Beaucoup de politiciens n’aiment pas ce mode de vie et veulent nous intégrer dans le système sédentaire. C’est la prison pour nous. J’encourage les nomades à garder leur mode de vie et je suis fier de faire partie des artistes programmés dans ce festival qui fait se rencontrer des cultures nomades et rapproche ses peuples».

1h du matin, à l’auberge El Khaima, le thé est versé. Les paroles coulent. Le journaliste Souleymane Ag Anara, originaire de Gao, venu projeter en avant-première son documentaire, Les enfants du Sahara, explique : « le grand problème dans toutes les régions du Nord, c’est l’école. A Kidal, par exemple, elle est fermée depuis 2012. Tout ça c’est lié à une guerre qui dure depuis des années. Des gens meurent à coup de mitrailles ou fautes de soins. D’autres sont en exil. Il faut arrêter d’utiliser le peuple, qu’il soit du côté des groupes armés ou du gouvernent. Il est temps de faire revenir la paix. » Son film, en grande partie consacré aux musiciens touaregs du Mali, du Niger et d’Algérie, se termine par un concert donné en octobre dernier à l’Institut Français du Mali. À l’initiative du collectif de femmes touarègues Chet Akal, il avait pour objectif de récolter des fonds en soutien aux veuves et aux orphelins du nord du pays. Dans le film, la joie du public qui n’avait pas vu le groupe depuis 2010 dans la capitale malienne, contraste avec le visage d’Ibrahim Ag Alhabib, leader de Tinariwen : grave, mélancolique… Ici on dit nostalgique. Une nostalgie (« asouf » en tamasheq), celle de ne pas vivre chez soi, héritée dès 1962-64, date de la première rébellion, et de l’exil qui s’en est suivi. La nostalgie aussi de la pratique du l’iswat : une poésie chantée par les femmes, accompagnées de percussions traditionnelles et d’un chœur d’hommes qui tient la ligne de basse. Celle aussi du tende : la musique qui accompagne les fêtes de la communauté. Deux genres qui, en accueillant les guitares électriques, ont donné naissance à  ce qu’on appelle aujourd’hui le rock ishumar : la musique touarègue de résistance. 

Cette nostalgie, on la retrouve dans les yeux du chanteur Ousmane Ag Mossa qui, entre autres souffrances, a perdu sa petite sœur de maladie, au début des années 90, en Algérie, dans le camp de réfugiés de Tin Zaouatine, situé à la frontière avec le Mali.

Lorsqu’on lui demande comment il voit l’avenir, il répond : « Il y a 10 ans, j’avais l’espoir. Je t’aurais dit que le sujet n’est pas assez médiatisé et que ceux qui s’intéressent aux droits de l’homme ne voient pas la réalité. Aujourd’hui, je n’en sais rien. Notre peuple essaye malgré tout d’exister, mais il est très faible face à cette bataille qui le dépasse. Soit tu meurs tout de suite par balle (révolte armée), soit tu meurs à petit feu en raison de la sécheresse, des maladies et de l’Etat qui vend des permis d’exploitation à des multinationales qui ne s’intéressent pas au petit peuple qui vit dans le désert. Leur stratégie est de nous épuiser. La seule chose que l’on peut faire, c’est de continuer à lutter. » 

Lire ensuite :   Kidal, tourments et espoirs du groupe Tamikrest

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