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The Pan African Music Magazine
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WhatsApp, plaque tournante du gqom en Afrique du Sud

Le gqom sud-africain voyage et s’échange sur WhatsApp, au point que producteurs, artistes et public ont investi l’application, devenue décisive dans le processus créatif du genre. Explications avec Mikolaj, DJ polonais (Basy Tropikalne) féru de gqom et abonné à ces groupes.


Apparu en 2010 dans les townships de Durban, en Afrique du Sud, le gqom est un sous-genre de sa grande sœur née à Chicago il y a trente ans, la house music. Musique de danse, avec un son brut et ses beats saccadés, qui comprend des sous-éléments du kwaito et de la house de Durban, le gqom s’est rapidement développée au-delà des soirées de Durban dans lesquelles elle est née, propagée notamment grâce à des canaux de diffusion assez originaux.

D’une part, comme l’évoque le documentaire Woza Taxi, réalisé en 2016 par la radio romaine Crudo, le rôle des chauffeurs de taxi de Durban qui passent des tracks de gqom a été décisif dans la diffusion du genre. Nan Kolè, le boss du label GQOM OH, raconte pour le magazine FADER : «Avoir son track qui passe dans un taxi, c’est le test ultime et c’est aussi un super outil de promotion. Si un taxi met ton morceau, alors il peut rapidement devenir un hit, surtout dans certains quartiers. »
D’autre part, l’application WhatsApp, est très populaire en Afrique au point que la plateforme est aussi exploitée pour partager des newsletters, des invitations à des événements… Et ses groupes privés sont devenus le rendez-vous pour les jeunes artistes, producteurs de Gqom pour s’envoyer des tracks, maquettes entre eux.

DJ Lag, devenu porte étendard du style, a d’ailleurs sorti son 1er EP Trip to New York en téléchargement gratuit sur WhatsApp sur un groupe privé de 700 personnes. Relayé par les médias américains et européens spécialisés, Trip to New York aura largement participé à la reconnaissance du genre.

En Mars dernier, Mikolaj fondateur de Basy Tropikalne, label et radio show sur la promotion des musiques électroniques de producteurs africains et latino-américains,  nous a contactés pour faire la promotion de son dernier mix gqom. Quand il nous expliqua que les titres qu’ils sélectionnaient tous les mois pour son mix provenaient de groupes WhatsApp, il nous a paru évident d’en savoir plus sur ces fameux groupes privés de la plateforme américaine. Rencontre. 

Comment as-tu connu le gqom ?


J’ai eu la chance d’entendre du gqom assez tôt – pour un Européen, évidemment. C’était juste après les premières sorties du label
Gqom Oh! en 2015, avec Goon Club Allstars et TOWNSHIPTECH. Je me souviens avoir joué ces titres dans mon programme radio Basy Tropikalne fin 2015. J’ai même un souvenir très précis de la toute première fois que j’ai entendu cette musique. Le son était était tellement différent de tout ce que je connaissais, tellement nouveau à mes oreilles que j’ai immédiatement craqué dessus. Cela dit, cette musique était quand même très sombre et perturbante – par exemple, «Africa’s Cry» de Dominowe, qui ouvre la première vraie sortie de Gqom Oh! début 2016, et qui reste encore aujourd’hui un des mes morceaux gqom préférés. J’ai donc beaucoup hésité à jouer ce genre à la radio – je précise qu’il s’agit d’une radio publique – mais puisque mon programme commençait tard, vers 23h, je me suis finalement dit que ça correspondrait parfaitement à l’ambiance nocturne.

WhatsApp, plateforme incontournable du gqom ?


Retour en 2017 lors d’une conversation informelle avec
Łukasz Warna-Wiesławski (un des programmateurs du fameux Unsound Festival, et infatigable promoteur du gqom en Pologne à l’époque). Il rapporte avoir entendu que WhatsApp était la plateforme incontournable du gqom [plaque tournante du gqom?]. Cette anecdote peut sembler étrange aujourd’hui, mais cette conversation a été cruciale. À l’époque, alors que je faisais en séjour prolongé en Espagne, l’usage de WhatsApp était loin d’être aussi répandu en Pologne qu’en Espagne, où c’était déjà devenu l’outil de communication quotidien dont tout le monde avait besoin pour exister socialement. J’en étais donc moi-même un utilisateur régulier.

Je brûlais d’envie de pénétrer ces cercles privés WhatsApp consacrés au gqom, mais ce n’était pas chose facile, évidemment, pour quelqu’un qui venait de l’extérieur. Puis je me suis rappelé que j’avais le contact du type de Phelimuncasi. Je lui ai alors demandé s’il utilisait WhatsApp pour partager sa musique et s’il pouvait m’y envoyer des sons. On a échangé nos numéros et il a commencé à régulièrement m’envoyer des choses.

 




Je me doutais qu’il devait exister des groupes de conversation dans lesquels les producteurs partageaient leurs sons avec plusieurs personnes à la fois, et je lui ai donc demandé s’il était au courant et s’il pouvait m’y ajouter. En pratique, c’est très compliqué puisque ces groupes sont privés et seuls leurs administrateurs peuvent y ajouter de nouveaux membres. Il a donc finalement créé son propre groupe auquel il m’a ajouté ainsi que ses propres contacts. Ça a été un moment clé pour moi. Beaucoup d’autres producteurs ont partagé leurs sons sur ce même groupe et je pouvais facilement les contacter et leur demander de m’ajouter à leurs propres groupes privés. Ça parait assez simple, mais ça ne l’a pas été et ça ne l’est toujours pas. Dans la plupart des groupes, je suis le seul à avoir un numéro de téléphone non sud-africain, et je ne suis pas forcément une personne de confiance pour les autres, ce que je peux comprendre. J’ai donc dû prouver ma légitimité, en quelque sorte, en expliquant que j’avais besoin des morceaux pour les jouer à la radio en Pologne. Et il m’a même fallu leur envoyer des vidéos de moi en train de le faire ! Une fois qu’ils ont vu mon travail, ils ont immédiatement été enthousiastes et bien plus enclins à collaborer avec moi. C’est à ce moment que j’ai décidé de commencer cette série de mixes de 30 minutes que je publie tous les mois. 



 
Tenir sa place dans ces groupes de discussion n’est pas chose facile… Je me suis fait virer plusieurs fois sans raison apparente. J’imagine que c’est parce que l’administrateur du groupe vérifie les numéros de téléphone et s’inquiète lorsqu’il tombe sur le seul étranger, pensant que c’est une erreur, voire du spam. Je dois donc m’assurer d’être membre de plusieurs groupes à la fois pour ne pas me retrouver sans rien d’un seul coup. Et ce serait vraiment compliqué de réintégrer ces groupes.

Je précise aussi que ça me prend un temps fou de parcourir les discussions de tous ces groupes. Il y a des semaines où je recevais des milliers de messages, et il faut bien comprendre que ce ne sont pas toujours des partages de morceaux. En fait, une bonne partie du contenu n’a rien à voir avec les productions des membres, bien que ces groupes soient destinés à partager de la musique. Il y a énormément de messages audio et texte et, malheureusement, du porno à go-go… Beaucoup d’excellents groupes sont devenus de simples plateformes de partage porno… Il arrive même que celui qui partage un super track de gqom envoie dans la foulée un lien porno. Il faut donc passer énormément de temps à trier le tout pour trouver les vraies perles. Ah, et il y a aussi beaucoup de vidéos de gens qui dansent sur du gqom.


Tu fais partie de combien de groupes aujourd’hui ?


En ce moment, je suis dans beaucoup de groupes dont seulement une dizaine sont actifs. Parmi eux, six sont très actifs, ce qui signifie 50 à 100 messages par jour. J’ai déjà connu des groupes encore plus actifs, dont un qui publiait plusieurs centaines de messages quotidiens, mais il a fini par s’éteindre. C’est difficile de donner une estimation du nombre de morceaux qui s’échangent quotidiennement car ça dépend de chacun des groupes. Mais je peux dire qu’en trois ou quatre jours, je vois passer 40 à 60 morceaux dont je n’en sélectionne que 20 ou 30.


Lire ensuite : Pantsula : portrait d’une danse contestataire en 5 rencontres
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