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The Pan African Music Magazine
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"São Vicente est un petit Brésil" : quand Cesária Évora chante le carnaval de son "Petit pays"

« São Vicente est un petit Brésil / Rempli de bonheur et rempli de couleurs. / Pendant ces trois jours de folie / Il n’y a pas de violence. C’est carnaval / Dans une convivialité [morabeza] sans pareille. »

Trois jours de déguisements, costumes, immenses chars allégoriques, groupes de percussions, écoles de samba, chœurs, et une même une troupe au corps semi-nu et entièrement peint en noir, qui imite les populations d’Afrique de l’Ouest, les mandingas… « Trois jours de folie », chantait Cesária Évora en 1999 dans « Carnaval de São Vicente », chanson hommage à cette grande fête populaire.

Le carnaval de São Vicente est l’occasion pour la population de l’île, toutes classes sociales confondues, d’exprimer toute l’extravagance et la fantaisie imaginables, à la manière des énormes festivités de Rio de Janeiro, au Brésil. L’édition 2017 a commencé dimanche 26 février, et prend fin aujourd’hui, le jour des défilés des groupes.


Un petit Rio mais un grand carnaval

Si l’île de la chanteuse cap-verdienne est « un petit Brésil », le carnaval qui se déroule à Mindelo chaque année depuis le début du siècle n’a rien de petit, à tel point que ses participants parlent d’un « petit Rio ». Les habitants de la ville organisent d’énormes défilés inspirés par les marchinhas de Rio, elles-mêmes descendant des marches populaires portugaises de la fin du 19e siècle, quand la périphérie de Mindelo s’est pris de passion pour ces festivités, créant alors un événement quasiment unique en Afrique, et le plus réputé et visité du continent.

Mandingas et queers : un carnaval ouvert à tous

Ces « trois jours de folie » sont ouverts à tous, suggère la chanson, et c’est ce qui caractérise le carnaval de Mindelo, à travers un élément unique et original, les mandingas. Depuis les années 1940, ces habitants de la périphérie pauvre de Mindelo ont pris l’habitude de se peindre le corps et le visage en noir, et de défiler torse nu, vêtus d’un pagne en plume, et portant colliers et bracelets, pour imiter, voire caricaturer les populations mandingues, groupe ethnique de l’Afrique de l’Ouest. Ils parcourent les rues, armés d’une lance et menacent les habitants de leur regard effrayant souligné de traits blancs, obtenant parfois de l’argent en échange. 
 


En personnifiant les peuples mandingues, qui ont gagné leur autonomie contre les grands empires dès le 13e siècle, et qui n’ont cessé de combattre la corruption et le chaos du colonialisme, les mandingas de Mindelo rejouent une révolte qui à l’origine exprimait le rejet du colon portugais jusqu’en 1975, et qui aujourd’hui, serait une critique des problèmes socio-économiques vécus par une grande partie des habitants de l’île. En effet, selon certains chercheurs universitaires – il n’existe encore aucun consensus à ce sujet, et très peu d’analyses disponibles – en poussant ainsi à l’extrême le caractère visuel de leur appartenance à une Afrique noire conquérante et autonome, ces populations de Mindelo parfois stigmatisées par leur statut social, jouent une forme de revanche sociale pendant le carnaval, manipulant des éléments culturels souvent connotés négativement sur cet archipel à la population en partie métissée.

L’autre élément d’inclusion sociale est la présence de la communauté queer dans le carnaval – qu’on désigne par le terme « tchindas » en créole. Cette intégration des queers et transsexuels est une particularité unique en Afrique si on en croit les réalisateurs du documentaire Tchindas (Cap Vert, 2015), qui relate la vie de la plus fameuse figure trans de Mindelo pendant le carnaval.

Crédit : image extraite du film Tchindas sur la communauté queer du carnaval de Mindelo (Cap Vert, 2015)

Un casting multiethnique et métissé

Écrit pour Cesária Évora par le musicien cap-verdien Pedro Rodrigues en 1999 – auteur aussi du magnifique « Nha Cancera Ka Tem Medida » pour la même diva – cet hymne au carnaval de São Vicente qui se tient chaque année sur l’île de Mindelo au Cap-Vert est un samba, hommage à la musique jouée pendant les festivités cariocas. La chanson est interprété par d’excellents musiciens brésiliens (un ensemble de choro), cubains (pour la section de cordes) et cap-verdiens – dont le maître des arrangements Jaques Morelenbaum (Rio de Janeiro), le contrebassiste Andrés Escalona Graña (La Havane), collaborateur de Ibrahim Ferrer, ou Silviano Michelo (São Paulo) à l’indispensable pandeiro, ce petit tambour qui marque le rythme du samba. Un casting de musiciens qui dit beaucoup sur le caractère nodal du Cap-Vert dans l’histoire de la musique, comme point hybride de passage et d’échange entre Afrique, Europe, Caraïbes et Brésil.

Et c’est pourquoi ce samba n’est pas une simple imitation du genre inventé outre-Atlantique, mais bel et bien une réinterprétation dans laquelle on décèle aisément quelques traits fondamentaux de la musique du Cap-Vert popularisée par Cesária Évora, notamment dans l’utilisation d’accords mineurs qui soulignent la mélancolie joyeuse de la fête.

L’album Café Atlantico, sur lequel on retrouve « Carnaval de São Vicente » s’est vendu à plus 700 000 exemplaires à travers le monde, a été nominé aux Grammy Awards (États-Unis), et Cesária Évora a reçu un prix lors des Victoires de la Musique (France) la même année. Dans la foulée, elle a pris la route pour sa première grande tournée en Amérique Latine (Cuba, Mexique, Brésil, Argentine, Chili), une terre de carnavals, également inspirés par les cultures africaines, chrétiennes et indigènes des populations, dont l’idée essentielle est l’inclusion de toutes les communautés dans une fête colorée, que la convivialité typique du Cap Vert illustre parfaitement. Il existe même un mot en créole pour décrire cet esprit : la morabeza.

« Nous donnons une petite fête très tranquille

N’hésitez pas, vous pouvez venir,

Les boissons et la nourriture ne manqueront pas

Aujourd’hui c’est carnaval ! » 

Crédit : image extraite du film Tchindas sur la communauté queer du carnaval de Mindelo (Cap Vert, 2015)


Paroles en crioulo (créole cap-verdien)

« J’a’m conchia São Vicente
Na sê ligria na sê sabura
Ma ‘m ca pud fazê ideia
S’na carnaval era mas sab

São Vicente é um brasilin
Chei di ligria chei di cor
Ness três dia di loucura
Ca ten guerra ê carnaval
Ness morabeza sen igual

Nô ten un fistinha mas sossegod
Ca bô exitá bô podê entrá
Coque e bafa ca ta faltá
Hôje é dia di carnaval »

Paroles en français

« Je connais déjà São Vicente
Sa joie et sa saveur
Mais je ne me doutais pas
Que pendant carnaval, c’était encore meilleur

São Vicente est un petit Brésil
Rempli de bonheur, rempli de couleurs
Pendant ces trois jours de folie
Il n’y a pas de conflit, c’est carnaval
Dans une convivialité [morabeza] sans pareille

Nous donnons une petite fête très tranquille
N’hésitez pas, vous pouvez venir,
Les boissons et la nourriture ne manqueront pas
Aujourd’hui c’est carnaval » 
 

Crédit : Nos Genti (Cap Vert)

Crédit : Nos Genti (Cap Vert)

Crédit : Nos Genti (Cap Vert)

Crédit : A Semana (Cap Vert)

Crédit : image extraite du film Tchindas sur la communauté queer du carnaval de Mindelo (Cap Vert, 2015)

Crédit : image extraite du film Tchindas sur la communauté queer du carnaval de Mindelo (Cap Vert, 2015)

Lire ensuite : Höröya, la nouvelle connexion Brésil-Afrique
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