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The Pan African Music Magazine
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Reginald Omas Mamode IV, le souffle des ancêtres

Tiraillé entre l’environnement paradisiaque et les drames historiques propres aux îles Mascareignes, le beatmaker londonien d’origine mauricienne nous en dit plus sur la portée de ses racines dans le processus d’enregistrement de son nouvel album.

En partie imaginé lors d’un voyage initiatique aux îles Mascareignes, Where We Going? est le troisième album de Reginald Omas Mamode IV. Accompagné de ses frères et de sa sœur, le compositeur électronique est parti à la recherche de quelques branches méconnues de son arbre généalogique et en a profité pour dessiner le squelette de son nouvel opus sur la route.

« Mes frères, ma sœur et moi sommes tous à moitié mauriciens, nous raconte-t-il depuis son chez-lui londonien. À la base, nous étions partis là-bas pour donner un show, avec trois autres artistes aux racines créoles. Nous avons aussi passé un mois à visiter notre famille et à voir des choses, et comme nous sommes tous musiciens, nous en profitions pour enregistrer et jammer avec nos proches ou d’autres gens ». Le noyau familial s’imprègne alors de l’atmosphère mauricienne et Reginald exploite ces instants pour laisser transpirer cet héritage musical et historique qu’il avait déjà en lui.


L’île Maurice : histoire et effets secondaires

À l’instar des précédents, cet album reflète le quotidien d’un artiste qui ne perd pas une miette de son inspiration, enregistrant dès que possible sur son téléphone les paroles et mélodies qui lui passent par la tête. Là-bas, le processus fut similaire, mais au milieu d’un décor bien différent : « nous avions amené quelques percussions avec nous, et nous n’avions que des moyens simples d’enregistrement. Nous nous sommes juste posés et avons réalisé quelques enregistrements. J’ai aussi samplé des sons sur place, mais il s’agissait plus d’un feeling global sur le moment. »

Si cet album est largement imprégné de funk et de hip-hop, les fondations de la signature sonore de l’artiste sont plus profondes : « Nous avons grandi en écoutant de la musique sega et maloya, surtout celles de l’île Maurice, car mon père vient de là-bas. Je suis partiellement créole mauricien et d’une certaine façon, j’ai toujours eu cette musique en moi. C’est une révérence naturelle, ce pattern triangulaire du sega sort spontanément de moi. »

La musique locale coule alors dans les veines de Reginald, et le sang afflue d’autant plus au contact de l’environnement paradisiaque qu’offre l’île Maurice : « être sous le soleil, assis sur la plage en buvant un jus de coco frais le matin, cela te fait sentir définitivement plus vivant. Le comportement des gens te libère aussi de tout stress inutile… » Ayant principalement enregistré cet album à Londres, le Britannique nous explique néanmoins qu’il n’aurait jamais sonné de la même manière si ce voyage n’avait pas existé : « au-delà de Londres, j’ai aussi un peu voyagé en Europe, pour m’imprégner de plusieurs cultures et de la façon dont les gens vivent. Mais disons que ce trip est définitivement proéminent dans ce disque. »

En effet, difficile de ne pas être psychologiquement marqué par la partie la moins joyeuse, néanmoins essentielle de l’expédition. La bande s’est rendue aux archives mauriciennes afin de tenter de remonter la trace de trois de leurs noms de famille marqués par la colonisation française : « nous n’avons pu remonter qu’à l’époque des plantations de canne à sucre, décrit-il. Nous en avons visité quelques-unes et avons lu des extraits de l’histoire sur la vie de ces gens, nos ancêtres. C’était une époque vraiment brutale pour eux ». Le décor idyllique qui les entoure prend alors des airs de drame historique et insuffle incontestablement une atmosphère parfois mélancolique dans certains morceaux : « sur l’île, il y a un rocher appelé le Morne Brabant. C’est un endroit du haut duquel de nombreux créoles, à l’aube de l’abolition de l’esclavage, se sont suicidés. Il y a maintenant un mémorial. L’histoire de mon ascendance, surtout la manière dont les gens dont je partage l’origine étaient traités, a définitivement influencé les sujets que je trouve importants. »

Comme pour rendre un hommage aussi visuel à cette culture, les visages dessinés sur la pochette de l’album servent également de souvenir à ces moments gravés dans le temps : « les deux visages en dessous du mien sont ceux de mes frères Mo Kolours et Jean Bassa. Ensuite, il y a un dessin de ma petite sœur quand elle était bébé. Le reste, ce sont des gens que ma sœur a photographiés quand nous étions à Maurice. Tous ces visages sont ceux de personnages d’ethnicité créole que nous avons croisés pendant notre trip ». 
 


 


Questions existentielles sur le beat

Au milieu d’une majorité de chansons parlant d’amour, l’artiste place alors quelques coups de gueule qui découlent directement des drames qu’ont vécus ses aïeux, notamment avec le morceau ‘Kand zot pour apprende’, en créole dans le texte, qui signifie littéralement ‘Quand vont-ils apprendre’. Il nous explique le fond de sa pensée : « ce morceau parle des bêtises de l’Humanité. Nous avons commis tellement de fautes évidentes, et nous n’apprenons jamais vraiment de nos erreurs pour changer notre futur. Quand allons-nous apprendre à arrêter d’être racistes par exemple ? »

C’est sur une toile funk minimaliste que Reginald Omas Mamode IV vient peindre ce genre de questions existentielles, déjà annoncées par un titre d’album évocateur : « où sommes-nous dans l’espace ? Sommes-nous plus importants qu’une autre espèce ? Qu’est-ce que la guerre ? Vers quoi avance-t-on exactement ? Quand je dis ‘Where we going’, je parle du chemin que tout le monde semble emprunter autour de moi et autour du monde. Il semblerait qu’on aille dans la mauvaise direction… » Sans aucune intention de vouloir changer la planète ni de déprimer son entourage, le musicien souhaite simplement que la question soit au moins soulevée par son auditoire, même s’il n’a aucune réponse à fournir : « Tous les gens prétendent connaître l’utilité de ce qu’ils font au quotidien. Nous ne devrions pas être en guerre. Les choses comme le système financier sont bizarres, tout comme la manière dont se conduit l’humanité en général, tout ça ressemble à une illusion. Mais je veux aussi simplement faire danser les gens parfois, la musique est aussi une célébration ! »

Épaulé par son frère sur certaines phases de percussions, le compositeur construit sa musique pièce par pièce, en solo : « 60 % sont des samples de moi-même, d’amis ou d’autres disques. Les autres 40 % sont des parties que je joue live, mais ce chiffre augmente ! Quand j’ai commencé à faire de la musique, tout était basé sur les samples, mais avec le temps, la confiance s’installe ». Sur les 15 titres au groove si particulier qui composent l’album, Reginald étale ses nombreuses influences sans vergogne et en toute spontanéité, utilisant l’avantage d’être en solo pour arranger sa configuration minimaliste comme il le souhaite : « quand j’étais ado, j’écoutais beaucoup de soul ou de funk américain, se rappelle-t-il, et le hip-hop est venu s’enraciner dans ma manière de composer. Ajouter de vraies parties instrumentales a été un processus long de 15 ans ».

Ainsi, des morceaux comme ‘In search of Balance’, ‘so’, ou ‘Mother Liza’ sont des petites pépites indescriptibles dans lesquelles les Caraïbes et l’Afrique embrassent Londres et les États-Unis. Percussions, Fender Rhodes et synthétiseurs s’allient pour aider Reginald à exprimer sa nature enfouie, ces musiques à l’origine riches qu’il transpose à sa manière, sans l’aide d’autres musiciens : « travailler avec un groupe serait vraiment quelque chose de nouveau pour moi. Faire les choses seul est devenu naturel. Ce que l’on ne connaît pas ne nous manque pas. Je n’ai pas nécessairement appris à faire du son sega ou maloya, mais c’est en moi, ces influences ressortent naturellement dans ma musique. »

Histoire, interrogations universelles, amourettes d’été et lunettes de soleil accompagnent ici la recette de cet album funky signé par un artiste humble et complet à garder définitivement dans le viseur.

L’albumWhere We Going? est disponible depuis le 10 mai 2019 chez Five Easy Pieces.

Lire ensuite : Guts, voyage intérieur d’un beat-digger simple et funky
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