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The Pan African Music Magazine
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Rainbow Club : warriors arc‑en‑ciel

Le Rainbow Club, club de jazz historique en Afrique du Sud et bastion anti-apartheid, célébrait le 26 mai dernier à Durban ses deux derniers concerts. Retour sur cette fête d’adieu mémorable et sur l’histoire d’un club où la lutte pour la paix et la mixité s’est écrite en musique(s).

Accrochez-vous à ces souvenirs parce que je ne sais pas quand nous pourrons en fabriquer de nouveaux” conclut Neil Comfort le 26 mai dernier, la gorge serrée par l’émotion. Directeur du Rainbow Club à Durban depuis 2001, Neil Comfort s’adresse ce jour-là à une salle comble, noire, blanche et en sueur pour avoir honoré en dansant les ultimes concerts d’un club légendaire car pionnier : ouvert en 1981 par un duo d’activistes anti-apartheid, le Rainbow n’a depuis cessé de promouvoir paix et mixité. Un lieu de luttes où la résistance a vu sa bande-son composée au fil des années par Philip Tabane, Hugh Masekela, Sipho Gumede ou encore Winston “Mankunku” Ngozi, initiant au passage la formation d’une scène afro-jazz très fertile. Il était 17h, la nuit commençait tout juste à tomber sur les rues de Pinetown, agitées par le trafic et les basses vigoureuses d’un soundsystem d’occasion. C’était un dimanche.

Pour la dernière, le Rainbow s’est associé au Zakifo Festival pour inviter la folk mystique d’Ilima, faite d’arc-à-bouche et de chants traditionnels zoulous, et le maloya de Lindigo, dont le roulèr et les refrains solaires ont transformé cette après-midi de deuil en fête d’adieu flamboyante, jusqu’au “rainbow train”, point d’orgue et chenille rituelle réservée aux grandes occasions. “Je suis béni que l’aventure se termine ainsi”, lâche Neil Comfort, “l’énergie que partagent les artistes et le public est magnifique ! L’histoire du Rainbow est tatouée dans ses murs, elle participe à la fête. Les concerts du dimanche après-midi sont une institution et c’est le cœur brisé qu’on arrête. Mais la corruption est partout, les gens n’ont plus les moyens de venir, la ville ne nous soutient pas et de toute façon le quartier est devenu trop dangereux.” Si la bière y est fraîche, la joue de bœuf prisée et l’ambiance chaleureuse, l’armée de barbelés-rasoirs qui cernent le Rainbow rappelle en effet qu’une fois le soleil couché, il faudra rentrer chez soi.



Très déterminés, Ben Pretorius et Billy Mthembu fondent le Rainbow avec 7000 rands chacun (approx. 430 euros) en 1981 tandis que Nelson Mandela entame sa dix-septième année de prison à Robben Island. En dépit des directives ségrégationnistes du Group Areas Act, le duo installe le club en plein cœur d’un quartier blanc de Durban, une première dans le KwaZulu-Natal, un cas très rare en Afrique du Sud. Dès le premier jour, ils défendent sa mixité : noir.e.s et blanc.he.s danseront ensemble. Ainsi de par son existence même, le Rainbow devient un lieu de résistance.

En 1985, les propriétaires vont plus loin : le club déménage dans un ancien club de boxe au cœur de Pinetown, un quartier populaire de Durban dont la gare routière voit transiter chaque jour des centaines de travailleur.se.s noir.e.s entre le centre-ville et les townships que l’ANC, de plus en plus populaire, appelle à rendre ingouvernables pour les autorités. Par le Rainbow convergent les luttes et parce qu’il accueille les réunions de nombreux activistes locaux, parce qu’il dérange, le club est sous constante surveillance.


Mais quand Ben montait sur scène pour introduire les artistes, il ne manquait jamais de provoquer les flics ! Il leur disait : avez-vous des piles pour vos magnétophones ? Je peux vous en fournir si besoin” se souvient Neil Comfort en riant, ranimant à l’envi le souvenir d’anecdotes pour le moins saisissantes. “Le célèbre activiste Baba Archie Gumede venait souvent au Rainbow. Il était blacklisté, traqué, il ne pouvait pas s’exprimer librement. Alors il chuchotait des slogans à l’oreille des musiciens qui harmonisaient ses appels à la lutte.” Pendant près de quinze ans, le Rainbow contourne les interdits, allant même jusqu’à accueillir 500 personnes… pour les 70 ans de Nelson Mandela en 1988 ! 

Si la résistance est politique et sociale au Rainbow, elle est aussi éminemment musicale. Le premier concert est donné en 1983 par Philip Tabane, guitariste-guérisseur dont le puissant malombo qui avait séduit Miles Davis bénirait le Rainbow et y reviendrait souvent. “Pendant l’apartheid, le Rainbow était le seul endroit où je pouvais m’exprimer en tant que musicien noir. Ici on était libre de jouer et d’être nous-mêmes : c’était une maison pour beaucoup d’entre nous” explique Madala Kunene, bluesman de Durban sacré roi de la guitare zouloue de passage au Rainbow pour dire au revoir à sa manière. “C’était toujours plein, le public et les musiciens venaient exprès de Johannesburg, de Cape Town, de toute l’Afrique !

Philip Tabane

Les peintures murales du Rainbow portent effectivement l’empreinte de la communauté musicale – jazz surtout – qui s’y est formée pendant l’apartheid, une sorte d’âge d’or malgré l’adversité. “Le Rainbow a sans aucun doute joué un rôle important dans l’épanouissement de cette scène et de la carrière des artistes. A l’époque, vous y croisiez le saxophoniste Winston “Mankunku” Ngozi, Sandile Shange, « Busi » Victoria Mhlongo et ses chants maskanda, la vocaliste zimbabwéenne Dorothy Masuka, les African Jazz Pioneers, les premières concerts de Sakhile ou encore Hugh Masekela qui, à son retour de New-York, demanda expressément à venir jouer ici…” égrène Neil Comfort. Ces quinze dernières années, le Rainbow a aussi accueilli de nombreux artistes francophones comme Vieux Farka Touré ou Lansiné Kouyaté… et provoqué des rencontres inattendues à l’instar de Madia (de Lindigo) et Madala Kunene, que l’on retrouve un peu à l’écart, à l’arrière du club, en grande discussion sur les correspondances entre les rythmiques zouloues et maloya ! A suivre ? 

N’importe quelle ville considèrerait le Rainbow comme un trésor à préserver ! Je dois avouer qu’on se sent un peu abandonné, y compris de l’ANC qu’on a pourtant tellement soutenu” s’emporte Neil Comfort, ému, en regardant d’un œil le public quitter peu à peu le club. “Peut-être qu’il y aura un autre propriétaire ou peut-être qu’on arrivera à refaire des concerts… je n’en sais rien. J’espère simplement que le Rainbow, comme notre nation arc-en-ciel, pourra retomber sur ses pattes parce que là, nous sommes à genoux.

Lire ensuite : Pantsula : portrait d’une danse contestataire en 5 rencontres

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