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The Pan African Music Magazine
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Jazz, rumba et orishas : le détonnant cocktail de Que Vola ?

Un septet de jazzmen français, un trio de percussionnistes cubains, une rencontre inédite qui puise avec talent dans le riche répertoire afro-cubain.


La Havane, automne 2018

La Victoria, un quartier aux murs lézardés que les passagers des paquebots de croisière en escale à La Havane ne verront sans doute jamais. On entre dans une petite cour. Le soleil frappe, et fait transpirer les femmes qui s’affairent à préparer une grande soupe où s’ébrouent des morceaux de viande. Au pied d’un arbre, une jarre dans laquelle trône une tête de cochon, entourée de bougies, rappelle qu’on donne le meilleur aux ancêtres. Aujourd’hui, on prépare une cérémonie.

Deux Français débarquent : – « Que Vola ? » les salutations fusent, joyeuses.


Do yo speak rumba?

« Que Vola ? », voilà bien une expression qu’on entend quotidiennement dans les rues de La Havane. Quelque chose entre « ça va ? », et « quoi de neuf ? » : un gimmick de plus pour rythmer les conversations théâtrales des habitants de la capitale cubaine. C’est aussi le nom de ce projet musical plutôt fou, patiemment construit par Fidel Fourneyron, qui a décidé de réunir un septet de jazzmen français dont le contrebassiste Thibaud Soulas. C’est lui qui ouvrit à Fidel, un jour de 2012, les portes de ses amis percussionnistes à La Havane. Adonis Panter Calderon, Ramon Tamayo Martinez et Barbaro Crespo Richard en faisaient partie. Ce sont eux qui donnent à la musique de Que Vola ? ses fondations rythmiques, terrestres, jouant des rythmes cérémoniels aux tambours bata, ou bien de trépidantes rumbas au cajon et congas. Fidel Fourneyron, quant à lui, s’est inspiré du dialogue qui s’établit entre les percussions et les chœurs, sans jamais perdre de vue les danseurs. Résultat : le jazz de Que Vola ?, à la fois savant et populaire, donne envie de bouger la tête, mais aussi les pieds. 
 

Que Vola

Fidel Fourneyron © Julien Borel


Plusieurs voyages à Cuba lui ont permis de s’imprégner des conversations rythmiques complexes entre les tambours, et de sentir comment la musique là-bas naît et vit intensément dans l’instant. Autant le dire, il a dû oublier ses années de conservatoire, ne serait-ce que pour apprendre la clave, la cellule rythmique de base de la rumba.

Fidel, tromboniste de l’Orchestre National de Jazz, a donc décidé de remplacer les chœurs par les cuivres et vents, en leur associant, outre la contrebasse, une batterie (Élie Duris) et le clavier Fender Rhodes (Bruno Ruder) qui offre sa touche planante et électrique.

Et c’est ce qui fait toute la puissance et l’inventivité de ce disque inspiré d’un profond respect des traditions afro-cubaines, et d’une liberté créative que feu John Coltrane lui-même n’aurait pas reniée. On y retrouve la transe héroïque née des mains du trio cubain, et les enivrantes mélodies portées par le septet français, parfaitement à son aise dans les ruses rythmiques générées par cette aventure transatlantique.


Un cajon pour les morts

Retour à La Havane, dans cette cour donnant accès à une petite pièce aux murs bleus. Ici, on a dressé un autel : sur une table couverte d’une nappe blanche, des fleurs, une croix plongée dans un verre d’eau, des cigares. Ceux qu’affectionnait le défunt.

Car celui qu’on fête aujourd’hui s’en est allé il y a bientôt huit ans. Il s’appelait Sandalia Crespo Calderon, alias « Macho », l’un des meilleurs rumberos de sa génération. Son fils Barbaro lui rend hommage en convoquant tous ses amis, histoire de dire au défunt que, si le temps passe, on ne l’a pas oublié, et qu’il est invité à se joindre aux vivants pour une fête où les percussions et les chants seront rois. Comme autrefois.

Son fils, Barbaro, lui a succédé. On l’appelle d’ailleurs, Machito (« le petit Macho ») : le voici qui décharge une cargaison de bières et de rhum, car pour jouer, chanter, et danser, il faut bien du carburant ! Thibaud Soulas l’aide à ranger les canettes dans le congélateur. Lui aussi connaissait Macho, qui l’a initié au monde des musiques et des cultes afro-cubains, comme un père le guidant sur les chemins de sa seconde vie. Dès lors, bien qu’adulte, il grandit dans cet univers en compagnie de Machito, le fils prodigue, dont il devint le grand-frère. 
 

Que Vola Barbaro Crespo Richard (aka Machito)

Barbaro Crespo Richard (aka Machito) © Julien Borel


Au rez-de-chaussée, entre les murs pastel, débute une séance de prières qui mêlent, comme savent si bien le faire les cultes afro-cubains, textes d’inspiration bibliques et fond spirituel hérité d’Afrique. Le moment est à l’émotion, au recueillement. Point de percussions, mais des chants qui rappellent le long et éprouvant voyage des Africains arrivés sur cette terre, et le voyage qui nous mènera tous, un jour, dans le « monde de la vérité », celui d’où les ancêtres nous regardent.

Puis, dans la cour, les hommes se rassemblent près de l’arbre au pied duquel trônent les offrandes. Barbaro, Ramon et Adonis s’installent devant les cajons, leurs camarades s’emparent des cloches. L’émotion des prières ne s’est pas éteinte, bien au contraire, mais elle va désormais monter en puissance, débrider les énergies qui exploseront dans la fête. Le chanteur s’adresse au défunt, rappelle ses qualités, et portés par les percussions qui accélèrent, les hommes présents lui répondent en chœur, toujours plus vite, toujours plus fort. Est-ce pour réveiller l’esprit du mort ? Ou est-ce l’esprit de Macho qui leur donne cette énergie ? Les deux, sans doute. La cérémonie se poursuit dans la petite pièce, où les femmes ont rejoint les hommes. 

Ramon Tamayo Martinez © Julien Borel


Là encore, les chanteurs se succèdent, et toujours le chœur répond avec une inlassable énergie. Tous sont dopés par les percussions, où la jeune garde se relaie en permanence pour que le feu jamais ne faiblisse.

Une des sœurs de Machito tombe en transe. Soutenue par l’assistance, on l’évacue avec douceur pour qu’elle reprenne, à l’air libre, ses esprits. « Dans une petite pièce comme ça saturée de sons, explique Fidel Fourneyron, il y a tous ces corps qui bougent et qui sont tous reliés à la musique, et donc entre eux, et il se dégage une énergie qui, un peu comme avant l’orage, est chargée en électricité. On sent que les gens vivent la vie à 2000%, c’est ça aussi la force de cette musique-là, c’est un lien social hyper fort ».

Cette charge émotionnelle, cette manière de vivre la musique et la beauté de ces cérémonies ont poussé Fidel Fourneyron a imaginer le projet Que Vola ?.

Xavier Lemettre, le directeur du festival Banlieues Bleues, lui en fournit l’occasion en 2017, pour un premier concert après quelques jours de répétition à Mont-de-Marsan.

Le pari fonctionne, et la troupe transatlantique déjà se rode au fil des premiers concerts.

Puis viendra, au printemps 2018, le temps du studio en région parisienne. Quatre jours intenses, patiemment enregistrés par Pierre Favrez, qui accompagne aussi le groupe en tournée. C’est de là que naît, avec les conseils avisés de Clément Petit (violoncelliste complice qui accompagne sur scène Blick Bassy), l’album Que Vola ? qui sort aujourd’hui. 

Thibaud Soulas, aka « el Dibu » © Julien Borel


Un salut aux orishas

Le disque s’ouvre sur un salut à Chango, la divinité de la foudre et du tonnerre qui a suivi, comme le reste du panthéon yorouba, les Africains déportés à Cuba (où l’esclavage s’est perpétué jusqu’au dernier quart du 19ème siècle). « Kabiosile », puisque c’est le titre du morceau, est bâti sur le rythme de Chango (chaque divinité a son rythme propre) joué par les tambours batà. Le plus gros des trois (l’iya, c’est à dire « la mère ») est frappé par Ramon Tamayo Martinez, lui-même « fils de Chango » dans la Regla de Ocha, la religion afro-cubaine d’ascendance yorouba. 

C’est tout jeune qu’il a été initié aux mystères des tambours sacrés, scellant un pacte avec Aña, la divinité qui siège dans les tambours. Il le raconte à merveille dans la web-série qui accompagne le projet musical (voir plus bas), et dont PAM se fera le relais. « Par-dessus » les percussions de « Kabiosile », la mélodie habituellement chantée par les participants aux cérémonies est ici entonnée par les cuivres (Aymeric Avice & Fidel fourneyron) et les vents (Hugues Mayot & Benjamin Dousteyssier).

On retrouve dans ce prologue au disque toute la puissance infiniment nostalgique des mélopées conservées par les enfants de l’exode, disséminés par les vents violents de l’histoire jusqu’à Cuba. « Resistir »,  le dernier titre de l’album, composé par Thibaud Soulas, fait écho à cette épique et douloureux épisode de résilience en s’inspirant des rythmes de la confrérie Abakua, société d’entraide masculine qui a conservé intacte la flamme de la résistance depuis cette sinistre époque.

Les musiques sacrées sont donc, on l’aura compris, au cœur de Que Vola ?. Mais elles n’en sont pas la seule source d’inspiration. La rumba, mère de toutes les musiques populaires à Cuba, en est la seconde mamelle. Et dans cet art, Adonis Panter Calderon excelle. Non seulement par son impressionnant talent de frappeur, mais aussi par sa maîtrise d’un genre qu’il sait acoquiner avec ses propres envies novatrices.

Adonis Panter Calderon, leader du groupe Osain del Monte © Julien Borel

Il faut voir le maestro diriger, à la manière d’un Johnny Pacheco, son groupe Osain del Monte (dont font partie Ramon et Barbaro) : Adonis chante, danse, et ce faisant lance dans l’espace ses bras pour commander ici un break, là un solo, ou une accélération du rythme. « Fruta Bomba » ou le morceau titre « Que Vola ?«  puisent directement dans ce répertoire toujours aussi vivant, qui sait faire naître la musique, comme le dit Thibaud Soulas, « à n’importe quel moment de la vie, en attendant le bus, au coin d’un bar, n’importe où… la où la musique naît d’elle même ».

Et c’est bien cette spontanéité des percussions, celle des improvisations des jazzmen qui, alliées au sens de la composition de Fidel Fourneyron, font la force de ce disque novateur : Que Vola ?.


Que Vola ? en images

Une web-série baptisée Que Vola ? raconte cette aventure à travers les portraits (du studio parisien aux rues de La Havane) de cinq des dix musiciens du groupe : Ramon, Thibaud, Adonis, Fidel et Barbaro.
À retrouver sur la chaîne Youtube du label NØ Format.

Premier épisode, Ramon.

Lire ensuite : Höröya, la nouvelle connexion Brésil-Afrique

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