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The Pan African Music Magazine
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Pierre Sandwidi, le troubadour de la savane

Vingt ans après sa disparition, le label Born Bad Records rend hommage à Pierre Sandwidi, un des artistes les plus singuliers et intransigeants d’Afrique de l’Ouest.

Pendant des décennies, la musique de la Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso) est restée dans l’ombre de celle des pays voisins comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Bénin. Pourtant, en dépit de son enclavement géographique, le pays a été le foyer d’une véritable effervescence culturelle au cours des années 1970, notamment grâce à des formations comme le Volta Jazz, l’Harmonie Voltaïque ou le Super Volta ou des artistes comme Amadou Balaké, Georges Ouedraogo ou encore Abdoulaye Cissé. C’était avant que le pays, sous la houlette du Capitaine Thomas Sankara, ne soit rebaptisé Burkina Faso. Parmi les grands oubliés de l’histoire figure Pierre Sandwidi.  Surnommé « le troubadour de la savane »,  il s’est toujours distingué par son engagement social et a su s’imposer comme l’une des voix voltaïques les plus singulières de sa génération. Il est l’auteur de huit 45 tours et de deux albums 33 tours, ainsi que d’une poignée de cassettes. La compilation de Born Bad Records offre enfin une reconnaissance posthume à celui qui avait coutume de dire à sa famille que nul n’est prophète en son pays.

Pierre Sandwidi naît en 1947 à Boulsa, une localité située au centre de la Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso). C’est au début des années 1960 qu’il apprend à jouer de la guitare, influencé par le chansonnier béninois G.G. Vickey, comme la majorité des jeunes lycéens de l’époque. En 1964, son bac en poche, il est un temps infirmier à l’hôpital Yalgado Ouedraogo, une expérience qui le marquera durablement.
L’année suivante, il devient technicien à Radio Haute Volta, tout en étoffant son répertoire et son jeu de guitare. Il appartient alors au mouvement des « vedettes en herbe », au même titre que Jean-Bernard Samboué, Abdoulaye Cissé, Oger Kaboré, Joseph Salambéré ou Richard Seydou Traoré. Ces jeunes chanteurs sont connus du grand public parce que leurs chansons sont diffusées sur les ondes de la radio nationale où elles sont enregistrées en direct, sans qu’elles ne soient encore publiées sur disque. Devenu enquêteur à l’Institut de Recherches pour le Développement (IRD), il sillonne alors le pays et s’imprègne de ses différentes traditions culturelles. Il s’engage alors dans le mouvement syndical, tout en poursuivant ses activités musicales.

L’année suivante, il est recruté comme guitariste au sein du Ballet National de Haute-Volta, dirigé par Sotigui Kouyaté, conçu selon le modèle guinéen des Ballets Africains. Avec eux, il entreprend ainsi une tournée régionale qui les conduit au Niger, en Côte d’Ivoire et au Bénin, avant de visiter le Canada en 1973. De retour en Haute-Volta, il fait la rencontre de l’entrepreneur culturel Idrissa Koné lors d’un concert à Bobo-Dioulasso, la grande ville culturelle du sud du pays. Koné préside alors aux destinées du Volta Jazz, la plus grande formation des années d’indépendance (où évoluera plus tard aussi un certain Cheikh Lo). Ce dernier lui propose d’enregistrer quelques chansons pour sa marque Disques Paysans Noirs établie à Bobo-Dioulasso. Il enregistre alors Lucie, une chanson romantique qui s’inscrit dans le chant d’amour mandingue classique (diarabi), en combinant des influences afro-cubaines avec les accents de la chanson française. Encouragé par le succès de ses premiers morceaux et sûr de sa vision artistique, Pierre Sandwidi démissionne alors de l’IRD pour se consacrer entièrement à la musique.

En 1975, Pierre Sandwidi enregistre deux 45 tours dans l’enceinte de la Maison du Peuple pour le compte de la Compagnie Voltaïque du Disque. Sur la scène de l’imposante salle de concert édifiée par la coopération chinoise en 1965, un simple magnétophone Akaï fait office de console d’enregistrement. Il est alors accompagné par le Super Volta et la guitare élégante de Désiré Traoré. En 1976, il enregistre trois nouveaux 45 tours, cette fois-ci accompagné par l’Harmonie Voltaïque, que vient de quitter son leader Maurice Simporé. Tond yabramba (« Nos ancêtres ») est l’un des sommets de cette collaboration.La chanson figurait d’ailleurs sur une compilation, Bambara Mystic Soul, publiée par Analog Africa en 2011.

Dans Ouaga affaires, Sandiwi dresse une satire éloquente de l’émigration rurale vers les grandes villes du pays, à commencer par la capitale Ouagadougou. Pierre Sandwidi se fait ici fin chroniqueur des nouveaux modes de vie urbains et de consommation. En 1977, il poursuit sa série de succès avec le superbe Yamb ney capitale (Vous et votre capitale), l’une de ses plus belles chansons. Il est accompagné de nouveau par le Super Volta de la Capitale dirigé par  Désiré Traoré.

« Regarde moi bien / Je suis né ici / J’ai grandi ici / Par la grâce de Dieu / Je suis devenu fonctionnaire / J’ai pris 3 mois de congés pour venir à la capitale / Ouagadougou n’est plus possible / Moi je retourne dans mon village / Au revoir mes amis / C’est vous qui connaissez votre capitale / Je retourne dans mon village / Je ne peux plus vivre avec vous ici / Juste pour assouvir mon plaisir / On me demande 300 francs / Elle me dit qu’une nuit coûte 1 000 francs / Si je ne paye pas / Elle me convoque au commissariat de police / J’ai dû lui donner cet argent/ Pour qu’elle s’en aille / Je ne peux plus vivre ici avec vous ».

Ce 45 tours se vend à près de trois mille d’exemplaires, un record dans un des pays les plus pauvres du monde, où, si la musique est une vérité naturelle, la posséder, l’enregistrer et la publier relève d’un véritable parcours du combattant.

En 1979, Pierre Sandwidi retourne à Abidjan pour y enregistrer son premier album pour la marque Disc-Orient, avec l’aide de son compatriote Prince Edouard Ouedraogo. Cet album s’attaque une nouvelle fois, depuis l’étranger, aux problèmes de son pays, avec un réalisme impressionnant.

Au cours de la Révolution (1983-1987) dirigée par le visionnaire Thomas Sankara, la Haute-Volta devient le Burkina Faso, « le pays des hommes intègres ». Pierre Sandwidi s’investit alors activement dans l’animation culturelle de son quartier en sa qualité de militant du Comité de Défense de la Révolution (CDR). Après la chute de Sankara, il délaisse la politique,et compose alors chansons et pièces de théâtres. En 1995, il publie sa dernière œuvre, Cousin Halidou, produite en format cassette par Bazaar Music de Moussa Kaboré. Malade, il décède en 1998.

Ses obsèques ont un retentissement national, alors qu’une nouvelle génération redécouvre ses œuvres fondatrices.  Aujourd’hui encore, l’oeuvre de Pierre Sandwidi continue d’inspirer, et cette compilation contribue à la faire durer.

Lire ensuite : Sankara en chansons, in memoriam
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