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The Pan African Music Magazine
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Nakara Percussions, le rythme digital

À l’occasion de la réédition de cet unique et emblématique album du combo français Nakara Percussions, nous sommes entrés en contact avec l’un de ses piliers, Gérard Kurkdjian. Il nous raconte la genèse d’un disque en passe de devenir mythique.

Dénicher de petits trésors musicaux et les mettre à la disposition de mélomanes qui ont faim d’authenticité est une activité aujourd’hui devenue aussi courante qu’excitante. Ce qui rend la chose d’autant plus sincère et humaine, c’est de convertir cette volonté en promesse, en la mettant à exécution de la plus « roots » des manières, avec culot et spontanéité. Du côté de la capitale française, c’est le jeune label Komos Jazz qui a décidé de transformer ses fouilles en rééditions par l’intermédiaire du distributeur Silène Records, également partenaire de Buda Musique et Nyami Nyami.

Pour sa seconde sortie, Komos Jazz s’intéresse à Nakara Percussions, groupe essentiellement live fondé en 1983 par deux musiciens du sud de la France, autour de leur passion pour les rythmes et les textures des musiques du monde. Stéphane Olivier et Gérard Kurkdjian font donc partie de ces artistes qui bénéficient aujourd’hui de la rare occasion d’apprécier de leur vivant cet instant nostalgie procuré par un repressage inattendu. Victime d’un heureux hasard qui n’arrive pas tous les jours, Gérard Kurkdjian nous raconte avec enthousiasme que surgir du passé ne tient qu’à un fil : « Hugo Mendez, l’un des piliers du label, était dans une brocante, il est tombé par hasard sur le disque. Il l’a acheté, l’a écouté et m’a appelé pour me demander si nous serions prêts à le rééditer. On m’avait dit qu’avant ça, des gens l’avaient mis sur internet et des DJs s’en servaient pour mixer. Comme nous n’avions plus de prise sur cet album, c’était difficile de tracer les choses. Évidemment, quand Silène Records a proposé à Stéphane Olivier et à moi de le rééditer, nous étions super contents ! »


Une époque où tout était permis

Dans un style polyrythmique qui leur était propre, les musiciens ont enfoncé sans hésiter la porte déjà grande ouverte de la créativité propre à leur époque, enregistrant alors avec spontanéité des morceaux où les rythmes asiatiques pouvaient donner la réplique à d’autres instruments africains : « les années 60 jusqu’au début des années 80 étaient des époques extrêmement créatives. Le formatage musical était beaucoup moins important qu’aujourd’hui et de ce fait, les musiciens prenaient des initiatives, soit seuls, soit avec l’aide de labels qui étaient sans doute plus audacieux qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas la pression de la vente ou des réseaux sociaux. Toutes ces idées avaient malheureusement leurs limites, car les labels étaient petits et les disques étaient souvent tirés à peu d’exemplaires. »

Gérard Kurkdjian et Stéphane Olivier


Nakara Percussions s’engouffrait alors à son niveau dans ce volcan artistique bouillonnant, avant de se faire écraser par le rouleau compresseur de l’industrie de la musique : « le public était très varié, il y avait la scène rock, jazz, le début de la scène fusion et celle des musiques “ethniques” et latines. Tout ça s’est progressivement éteint, comme notre groupe. Nous l’avons créé au début des années 80, dans le sillage de cette effervescence musicale, et l’avons arrêté avant de passer à la décennie suivante, au moment où d’autres paramètres de distribution ont pris le pas. Je trouve ça super de réhabiliter des expériences comme la nôtre. »

Cette extinction aussi naturelle que prématurée est donc une raison supplémentaire pour les deux percussionnistes de saluer l’initiative de Komos Jazz. Un nouveau pressage d’autant plus intéressant que les percussions pures étaient à l’époque peu répandues dans le paysage musical français. En effet, si les compères jouaient chacun dans plusieurs groupes de jazz, rares étaient les groupes qui auraient imaginé tourner de clubs en festivals en tapant sur des peaux : « il n’y avait pas trop de scène pour ce type de musique. Il y a un groupe qui nous a inspiré en particulier, c’est Zaka Percussion qui a été fondé par Guem à la fin des années 70. Il donnait des cours au Centre Culturel Américain de Paris et il a formé ce groupe dans lequel jouait Jean-Luc Cedaha, un très bon ami qui nous a ensuite rejoints dans Nakara Percussions. À cette période, on découvrait tous le monde des percussions, mais je n’ai pas l’impression qu’il y avait beaucoup de groupes de ce genre. À vrai dire, je serai incapable d’en citer d’autres ! »


Une collection délirante d’instruments

De son côté, Gérard se délectait des albums de John Coltrane, Miles Davis ou Weather Report, entre deux voyages en Inde pour étudier les tablas. Pendant ce temps, Stéphane se spécialisait plutôt dans les percussions latines et c’est dans cette bulle fertile qu’ils se sont nourris l’un l’autre, agrandissant leur collection d’instruments au fil de leurs voyages ou de leurs découvertes. Avant même d’écouter l’album, il n’y a qu’à jeter un œil à cette nouvelle pochette pour imaginer un instant l’étendue et la richesse des instruments utilisés, de façon totalement libre et personnelle : « sur la pochette, ce sont bien nos instruments, et on ne les voit pas tous ! Nous avions une camionnette et on embarquait tout pour nos concerts. Il y avait des instruments d’Afrique, d’Inde, d’Asie, toutes sortes de hochets, le surdo et la cuica du Brésil, des darboukas arabes, des congas, des tablas indiens, des timbales, c’était extrêmement varié. Aussi, nous nous étions adjoints de l’aide du batteur Christian Berthier, pour avoir une espèce d’assise rythmique et donner une profondeur régulière. C’était important d’avoir un batteur, car Stéphane et moi ne jouions que des percussions digitales, il nous fallait un roi des baguettes. »

Stéphane Olivier


Pour à la fois remplir le camion au risque de ne plus savoir fermer les portes, et aller au-delà des limites des instruments existants, le groupe allait même jusqu’à fabriquer ses propres instruments : « une partie des instruments était fabriquée par nous. On habitait Grasse et il y avait une bambouseraie à proximité. On ne savait pas trop si elle était ou non à l’abandon, mais on allait se servir. Il y avait de magnifiques bambous naturels qui y poussaient et nous allions en couper pour en faire des instruments. »

À travers des concerts capables de réunir tous les goûts et tous les âges, Stéphane, Gérard et leurs collègues musiciens mettaient leurs mains habiles au service de ce langage universel qu’est le rythme, nommant même leur groupe d’après une pièce de leur arsenal : « j’ai trouvé le nom Nakara en référence à deux tambours, un petit et un plus gros, qui étaient utilisés dans le monde arabe. Ils étaient posés sur le dos des chameaux et les arabes les utilisaient pour charger et entraîner les troupes vers le combat. Ces tambours donnaient le rythme de la cavalcade, mais étaient aussi utilisés pour jouer dans les orchestres. Ce nakara était connu au Moyen-âge et à la Renaissance sous le nom de Nacaire. Nous possédions des petits nakaras, mais nous n’avions pas les chameaux ! »


Rythmes intemporels, perspectives nouvelles

Enregistré avec les moyens de l’époque, piste par piste et sans ordinateur, le process de création fut sans doute long, mais le fruit de ce travail est un disque étonnamment varié et coloré malgré l’absence d’instruments purement mélodiques : « Il n’y a eu qu’un seul album, autoproduit. C’est le père de Stéphane Olivier qui a financé l’enregistrement. C’était un travail familial et amical ! Comme ça se faisait à l’époque, on mettait les vinyles en dépôt-vente, à la Fnac ou dans d’autres boutiques, et on les vendait surtout en concert. Nous étions plutôt un groupe de tournée que de studio. »


On y trouve de la mélancolie afro avec « Awa mama », puis « Balimba », petit chef d’œuvre organique doté d’une énergie empruntée à la deep house avant l’heure. Avec « Kaïnte », c’est plutôt la batucada brésilienne qui résonne, avant d’embrayer sur le sauvage « Le Pont de la Rivière » et sur la transe vaudou hypnotique de « Elixir ». Avec le recul, l’humilité de Gérard laisse tout de même percer quelque fierté : « je n’avais plus le disque, juste une cassette audio, et c’est vrai que j’écoutais quelques morceaux, à intervalles relativement rares. Je l’ai réécouté sur internet et franchement, je trouve que quelques morceaux tiennent bien la route ! Certains sont assez déjantés, mais c’était un peu la folie de l’époque, on n’avait pas peur de se jeter à l’eau. »

Si nous ne découvrons qu’aujourd’hui cette pièce rare de la musique hexagonale, l’eau a depuis cette époque coulé sous les ponts. L’expérience Nakara Percussions a façonné des personnages remplis de passion à outrance et qui n’ont jamais abandonné leurs travaux et leurs explorations autour des musiques du monde : « je suis toujours en contact avec Stéphane, qui continue de travailler les percussions. Je suis devenu directeur artistique du festival Musiques Sacrées du Monde de Fès pendant 15 ans, j’en dirige maintenant un autre au Rajasthan. Puis je me suis spécialisé vers les percussions de l’Inde pour progressivement abandonner le monde des percussions africaines, brésiliennes, afro-cubaines. Je réalise aussi des créations musicales dans lesquelles je récite des textes mystiques de diverses traditions chrétiennes, juives ou musulmanes, que je mélange à de la musique baroque ou arabo-ottomane. J’ai également écrit un gros livre sur les musiques sacrées du Monde, paru en 2016 chez Albin Michel, et j’en prépare un autre sur mon autre activité, qui s’appellera Méditation musicale. C’est l’une de mes autres activités, c’est une manière très particulière d’écouter de la musique, qu’il s’agisse de jazz, de classique ou de musique traditionnelle indienne comme celle que joue Ravi Shankar ».

Gérard Kurkdjian conclut cet échange en nous donnant ses goûts du moment qui deviendront peut-être — qui sait — une base d’influences majeures pour un éventuel nouvel album : « aujourd’hui, je suis resté un fervent admirateur de John Coltrane, et je suis très amateur de la scène jazz fusion des années 70 comme Shakti, Weather Report ou Miles Davis. J’écoute aussi beaucoup de musique classique et baroque comme Bach ou Mozart. J’aime certaines musiques contemporaines comme Arvo Pärt, et de la musique fusion indienne, il y a une très belle scène avec Talvin Singh ou Karsh Kale. Bien entendu, je suis toujours attiré par l’univers des percussions, et par les chanteurs et musiciens brésiliens. »

L’album est disponible depuis le 1er mars sur le Bandcamp du label de Komos Records.

Lire ensuite : Nyami Nyami : le son inouï de l’Afrique australe

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