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The Pan African Music Magazine
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Le retour des Maravillas de Mali, vu par le producteur Daniel Cuxac (décédé le 16.12.18)

Le 21 juin dernier à Bamako, autour de Boncana Maiga, son unique vétéran en vie, renaissait le mythique orchestre Maravillas de Mali, formé en 1964 à La Havane. Souvenirs d’une époque où l’afro-cubain était roi, et ses ambassadeurs, maliens.

« Rendez-vous ce soir, chez Fatimata, nous allons danser jusqu’à l’aube, mon ami… » Ce doux refrain en version latino en aura fait danser plus d’un. C’était au temps béni des premières années de l’indépendance du Mali. Et ce titre en fut la bande-son, un hymne qui sera vite repris dans toute l’Afrique de l’Ouest. C’est à Cuba, dans les studios Areito logés au cœur de La Havane, qu’il fut enregistré par les Maravillas du Mali. Pas de doute, cet enregistrement devenu mythique fit définitivement entrer le Mali dans l’ère moderne. Il racontait une fabuleuse histoire, commencée en 1963 sous l’impulsion du président bâtisseur Modibo Keita : dix jeunes musiciens originaires de tout le Mali sont recrutés pour aller suivre une formation à La Havane. Parmi eux, Boncana Maïga, un saxophoniste et banjoïste, le seul qui s’est déjà taillé une bonne réputation à l’Ouest du Niger avec le Negro Band de Gao. Un an après leur arrivée, les Maliens intègrent le Conservatoire Alejandro Garcia où ils ont pour professeurs des maestros, dont Rafaël Lay, le boss de l’Orquesta Aragon. Ils prennent pour nom les Maravillas du Mali, référence aux Maravillas de Florida, un groupe qui affole alors la jeunesse de La Havane. Quant aux jeunes Maliens, ils conquièrent la population cubaine séduite par leur mixture afro-cubaine : après une tournée dans toute l’île, ils seront les stars musicales du Festival Panafricain, des semaines de la coopération à La Havane en 1968 et feront même danser le Che ! De l’autre côté de l’Atlantique, la rumeur enfle. « Boogaloo sera Mali », pour paraphraser l’un de leurs thèmes emblèmes.

Sauf que le 19 novembre 1968, un coup d’État assoit au pouvoir le lieutenant Moussa Traoré. Changement d’ambiance pour les amateurs d’indépendance Cha Cha, inversement de tendance pour les Merveilleux Maliens qui de retour au pays seront dissous. Rendez-vous manqué avec l’histoire ! Jusqu’à ce qu’un demi-siècle plus tard, l’album soit enfin ressorti des oubliettes de la mémoire. Mieux, une nouvelle version s’enregistre à Cuba, avec de nouveaux arrangements, une nouvelle équipe, sous la direction avisée du seul survivant de l’épique épopée, Boncana Maïga, qui entre-temps s’est illustré en Côte d’Ivoire et puis sur tout le continent, avec Africando mais aussi Alpha Blondy. Une tournée s’organise : première date à La Havane, avec Mory Kanté comme invité spécial, pour des intermèdes « maliens ». Et quelques semaines plus tard, un concert spécial, organisé par Boncana Maïga à l’hôtel de l’amitié de Bamako, devant un parterre d’invités, dont l’ambassadeur de Cuba, deux ministres du Mali, et même l’ancien président par interim, Dioncounda Traoré. Le temps d’une soirée, le 21 juin, le Mali revibre aux sons afro-cubains, les boubous de bazin dansent comme les costumes tirés à quatre épingles. Dans l’assemblée, Daniel Cuxac, un septuagénaire sénégalais qui a vécu toute cette épopée. Connu pour son chapeau et son cigare, ce producteur a été l’un des premiers promoteurs de la musique afro-cubaine au Sénégal puis à Abidjan. Avec sa société Disco Stock, il aura produit 250 disques, en aura distribué des milliers d’autres… A Cuba, il fut celui qui a initié, à ses frais, la remise des disques d’or et piloté nombre d’événements visant au rapprochement entre les deux rives atlantiques. Il produit aussi nombre d’artistes cubains « traditionnels », dont l’Orquesta internacional de Cuba, composé de 16 éminents directeurs d’orchestres… Bref, un témoin privilégié pour évoquer cette histoire panafricaine.

Un entretien réalisé en juin 2018, six mois avant sa disparition (le 16.12.18 à Dakar)
 

Daniel Cuxac ©Edouard Salier


Daniel Cuxac, cela fait 49 ans que vous êtes dans la musique, cela correspond à l’enregistrement du disque des Maravillas du Mali…

Il y a 49 ans, quand j’embrassais cette profession, j’étais à mille lieues de penser que le petit Sénégalais que je suis attendrait de tels horizons. J’aimais la musique afro-cubaine, à tel point que mon premier magasin, le premier africain, fit de l’ombre à ceux des Européens. A l’époque, j’avais une boite de nuit, où se produisait l’orchestre Baobab, et une autre à Rufisque. J’étais totalement investi dans la musique. Et puis je suis parti en Côte d’Ivoire, où j’ai ouvert Disco Stock.


Comment avez-vous découvert le disque des Maravillas du Mali ?

Nous étions un petit réseau de collectionneurs à travers le monde. Nous nous échangions nos vinyles. Raoul Diomandé en rentrant de New York, a rapporté des bandes des Maravillas que lui avait données René Lopez. L’enregistrement n’était vraiment pas bon, à croire qu’il s’agissait de prises en concert, mais la musique était extraordinaire. Pour nous, c’était un diamant brut… jusqu’au jour où Adrien Senghor, ministre au Sénégal, est revenu du Mali et m’a dit qu’il avait un disque des Maravillas, le premier édité à Cuba. Il me l’a prêté, et je ne lui ai jamais rendu. Il est toujours dans ma collection, et puis j’en ai acheté d’autres à Bamako pour les offrir à mes amis à New York.



Qu’est-ce qui vous a séduit ?

Le fait que ce soit une charanga cubaine, pure. C’est-à-dire un petit ensemble, sur le modèle apparu dans les années 1920 pour interpréter le danzon. Dans les années 1950, Enrique Jorrin, avec le chachacha, et l’orquesta Aragon avec la charanga, ont connu un énorme succès. À partir des années 1960, il faut savoir que ce type de sonorités est devenu très prisé en Afrique. Et c’est là qu’apparaissent les Maravillas, un orchestre capable de jouer la forme traditionnelle cubaine. Pour nous, c’était quelque chose d’extraordinaire.


C’était le premier groupe du genre en Afrique ?

Sur le plan qualitatif, rien ne s’est jamais fait d’aussi bien. Certes, il y a eu après Africando du même Boncana Maïga, des voix africaines accompagnées par des latinos, mais là il s’agissait d’un ensemble de Maliens, produits par Egrem, à peine renforcés de quelques cubains pour le disque. On l’écoutait partout en Afrique, de Dakar à Libreville. Pour nous, c’était des extraterrestres. Les 45— tours ont beaucoup tourné, ils ont fait les belles nuits, mais le disque que j’ai moi-même republié n’a pas trop marché : il est sorti trop tard, à la fin des années 1970. J’en avais tiré 500, et j’en ai encore dans mon stock à New York.



Peut-on voir en eux comme des grands-pères du Baobab ou du Star Band de Dakar ?

Pas du tout. Le son n’est pas le même : une vraie charanga, il n’y en a jamais eu en Afrique ! On avait bien entendu une culture afro-cubaine en Afrique, comme la rumba congolaise, qui soit dit en passant n’a rien à voir avec la rumba de Cuba. Par contre, il est vrai que les Maravillas ont été le facteur déclencheur d’un cycle afro-cubain en Afrique. Ce n’était ni le premier ni le dernier, comme la pachanga au début des années 1960 ou la salsa plus tard. Aujourd’hui, c’est le reggaeton. D’ailleurs on peut espérer qu’avec ce nouvel enregistrement des Maravillas du Mali, une nouvelle vague se produise. Cela va permettre aux Maliens de retrouver leur mémoire : ils connaissent quelques titres, Chez Fatimata ou Radio Mali, mais pas toute cette histoire. C’est pourtant la leur.


Ce soir, ils vont enfin jouer un concert au Mali, un demi-siècle plus tard. Ils n’avaient jusqu’à présent joué que quelques titres en 1967, pour l’anniversaire de l’indépendance du Mali…

C’est historique. Je suis très ému d’être là. C’est très symbolique : cet enfant d’Afrique qu’est Boncana le mérite. Il a toute la légitimité, la technique, il y a toujours cru, c’est sa religion, cette musique. Il s’agit d’un juste retour des choses, et je prie les Dieux que ce projet aboutisse. La première fois que j’ai rencontré Boncana, je voulais savoir les dessous de cette affaire. Il était déjà en Côte d’Ivoire. C’est à cette époque que j’ai décidé de ressortir le disque des Maravillas, à partir des bandes studio que possédait Boncana. J’ai d’ailleurs découvert une autre version de Andurina, différente de la première version publiée. Il y avait aussi une version de Pata Pata, enregistrée à Cuba, que Boncana a choisi de ne pas mettre sur le disque, mais qui est sorti en 45— tours. J’ai su aussi qu’ils avaient enregistré un morceau dédié au Président Modibo Keita, mais avec le coup d’État, Boncana n’a plus voulu en parler. Ils avaient aussi chanté pour Lumumba, mais ce morceau caché dédié à Modibo est, paraît-il, le meilleur, si j’en crois Boncana. Je ne cesse de lui demander depuis toutes ces années ! Il le garde jalousement, et pourtant les temps ont changé puisque même l’aéroport de Bamako est baptisé Modibo Keita !


Vous gardez tout ?

Oui, en plus des 33 000 disques de ma collection personnelle, j’ai beaucoup de choses comme cette bande de l’orchestre de la RTI avec Manu Dibango où ils interprètent en studio Rendez-vous chez Fatimata. Je ne suis pas sûr que les gens de la RTI le sachent. Ils ont mis à la casse des bandes de cette époque, les années 1970. Il y avait dedans des enregistrements extraordinaires que j’ai pu acquérir ! Le 31 décembre 1979, Boncana est intervenu dans un concert que j’organisais avec l’Orquesta Aragon, il y avait aussi un autre musicien, Dexter Johnson. J’ai aussi cette fabuleuse bande !  

Texte et propos recueillis par Jacques Denis à Bamako

Un film (actuellement en postproduction) signé Richard Minier est dédié à l’incroyable histoire de ce groupe. En voici la bande-annonce.

Lire ensuite : Pantsula : portrait d’une danse contestataire en 5 rencontres

© Richard Minier

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