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The Pan African Music Magazine
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Les rares talents d'Hilaire Penda

Trois artistes : Cyril Atef, Julia Sarr et Moh Kouyaté rendent ici hommage au bassiste camerounais, décédé en novembre dernier, fondateur du festival Rares Talents qui commence le 30 mars à Montreuil, en région parisienne.

C’est évidemment à Hilaire Penda qu’est dédiée la huitième édition du Festival Rares Talents. Le bassiste décédé le 5 novembre 2018 en fut l’inspiré fondateur, tout comme il fut l’initiateur des warm up, ces soirées qui promettaient d’autres lendemains… Derrière ses projets ancrés à Montreuil et ouverts à l’Afrique dans toute sa diversité, le Camerounais déployait une certaine idée de la musique, comme un vecteur de partages et d’échanges, comme le facteur d’une connaissance de l’autre. Ici, commence ailleurs, et inversement. Car pour être un musicien qui rayonna dans bien des styles, Hilaire Penda fut aussi un découvreur de talents comme rarement, un médiateur qui aura mis toute son énergie au service d’artistes en devenir, et un ardent défenseur des cultures d’Afrique, qu’il souhaitait valoriser dans un Centre spécifique. C’est à tous ses talents que Cyril Atef, Julia Sarr et Moh Kouyaté rendent ici hommage avec leurs mots, avant d’honorer la mémoire de ce « grand frère » sur les scènes du festival Rares Talents. 
 

Cyril Atef, batteur

« J’ai rencontré Hilaire au début des années 1990, au moment où je jouais avec Princess Erika. Il venait aux répets en studio, nous avions un autre bassiste camerounais, Noël Ekwabi. Hiraire, c’était sa grande époque : il venait d’enregistrer le superbe album de Salif Keita, Ko-Yan. Il était en place. Et puis après on a fait un disque ensemble, en 1995, pour un artiste guadeloupéen. Après, il est parti à Londres, où il a vécu pendant huit ans et fait une très belle carrière : il s’est fait un nom dans la pop, puisqu’il a joué avec Bryan Ferry, avec Dave Stewart le guitariste d’Eurythmics, fait Wembley avec Squeeze, tout en fréquentant les lieux branchés drum’n’bass. C’est à son retour que je l’ai vraiment mieux connu. Il a eu l’idée d’organiser des jams inclusives, en poussant les jeunes artistes, un peu comme ce qu’il avait vécu outre-Manche. C’était les Warm-Up à l’Alimentation générale, une fois par mois.

En 2008/2009, j’ai créé un groupe qui s’appelait A Freak In Space, avec Hilaire et Eric Löhrer à la guitare. Et nos premiers concerts, c’était là, au théâtre Berthelot de Montreuil, organisé par l’association Rares Talents. Hilaire poussait les actions culturelles dans sa ville, mais plus généralement en Seine-Saint-Denis, il créait des projets, il favorisait les rencontres entre les générations. Ce n’est pas pour rien qu’il va y avoir une place à son nom à Montreuil, chose rare en France pour un Africain : c’était quelqu’un de très apprécié, parce qu’il faisait des choses, il militait vraiment.

Hilaire, c’était un connexionneur, comme RKK (Rémy Kolpakopoul, figure de radio Nova, NDLR) : il aimait connecter les gens, les musiciens. Fatoumata Diawara, comme beaucoup d’autres artistes, a commencé aux Warm Up. En juin 2018, on a d’ailleurs tous fêté les dix ans des Rares Talents dans une soirée géniale. Il ne jouait déjà plus, mais il cachait ses soucis : Hilaire était quelqu’un aussi de très pudique.

Hilaire était un de ces grands bassistes camerounais, un groove imparable ; Il a permis de faire bouger les choses, sans se soucier des styles. Mais il était plus qu’un musicien, un infatigable défenseur du continent : il a porté jusqu’au bout son projet de centre des cultures africaines, qui n’existe malheureusement toujours pas. J’espère que d’autres, plus jeunes, vont s’y atteler : il y a un Institut du monde arabe, une Maison de la culture du Japon, alors pourquoi pas de centre culturel dédié à l’Afrique ?! C’était un objectif auquel tenait Hilaire, malgré toutes les difficultés qu’il a rencontrées. Mais il était têtu, il ne lâchait rien. »

Cyril Atef aka Papatef, en concert le 30 mars à la Marbrerie (Montreuil). 
 

Julia Sarr, chanteuse

« Quand j’ai rencontré Hilaire Penda au début des années 90, il était déjà un bassiste très demandé, j’étais une choriste plus ou moins débutante. Nous avions accompagné Tony Allen pour un concert à la Grande Halle de La Villette. Ensuite on s’est toujours donné des nouvelles, souvent croisés sur des projets en studio. Dans sa musique j’ai toujours aimé le son feutré et rond de sa basse, avec un groove serein et puissant à la fois. Hilaire était aussi un homme de valeur. Ce qui m’a également touché chez lui, c’était sa force de caractère, son intégrité sans complaisance. J’ai beaucoup admiré son ambition de donner une vraie place aux cultures d’Afrique. On espère continuer ce qu’il a déjà mis en place.

En 2015 j’ai eu l’immense privilège d’avoir été choisie par Hilaire pour être la marraine de la quatrième édition du festival des Rares Talents. J’étais vraiment heureuse de la confiance qu’il me donnait : ça nous a permis de beaucoup échanger sur l’importance d’avancer dans les projets artistiques, sur le parcours pas simple des artistes indépendants et sur les structures qui peuvent aider à émerger. Ce à quoi s’attache Rares Talents, ce beau festival initié et imaginé par Hilaire. Il l’a développé avec expertise, cœur et détermination. C’est en quelque sorte l’héritage exigeant qu’il nous a laissé, qu’on se doit de perpétuer, pour toujours plus de visibilité à offrir à des artistes d’horizons culturels différents. D’ailleurs, si le festival a pleinement été incarné par Hilaire dans sa fibre et dans la direction artistique, il a toujours eu à ses côtés une équipe de production, diffusion, communication… Tous ceux-là sont toujours motivés pour persévérer, relever le défi de continuer son œuvre et honorer sa mémoire. »

Julia Sarr, en concert le 6 avril au Théâtre Berthelot (Montreuil). 
 

Moh Kouyaté, chanteur et guitariste

« C’est lors d’une jam dans un bar de quartier du 18èmequ’on s’est rencontrés. C’était peu de temps après mon arrivée à Paris, en 2008. Il a suffi d’un morceau pour qu’Hilaire remarque mon jeu de guitare qu’il trouvait différent, qu’il a tout de suite repéré comme étant issu du Mandingue. Moi, je venais de découvrir un grand bassiste, un jeu formidable sans savoir du tout qui était Hilaire. Nous avons juste jammé ! Hilaire et moi, chacun de notre côté, avons gardé le souvenir de nos jeux respectifs et de cette rencontre.

A l’époque je n’avais encore rien sorti, mais je débutais ma collaboration avec Fatoumata Diawara qui n’avait pas encore publié son album et se cherchait elle aussi. Elle jouait avec différents musiciens dont Hilaire. Un jour Fatou m’appelle pour répéter pour un concert à venir et, surprise, Hilaire était là ! La réaction d’Hilaire fut de dire à Fatou : « C’est lui le gars dont je te parle depuis ! » Hilaire était convaincu que je devais être le guitariste du projet de Fatou, sans savoir que je la connaissais. Ce jour-là, il était déjà dans son rôle d’aîné, de conseiller, de passeur. Nous nous rencontrons humainement et nous ne nous quitterons plus beaucoup.

L’album Fatou est le premier projet sur lequel nous nous retrouvons : sur scène comme en studio. Parallèlement, je commençais le travail sur mon EP Cilo, Hilaire m’a accompagné tout au long de ce projet. Il avait un jeu unique, toujours au service de la musique. Le son de sa basse, c’est comme la voix d’un chanteur d’exception, on le reconnait tout de suite. Sa rondeur, son groove, son “juste ce qu’il faut” pour valoriser la musique qu’il accompagne.

Nous avons collaboré également sur mon album Loundo, Hilaire était encore une fois très présent. Nous avons démarré la tournée ensemble.

C’est à cette période qu’Hilaire souhaitait concrétiser son envie de se consacrer à ses Warm Up, son festival, à la découverte des talents, à son rôle de révélateur et de transmetteur. Nous arrêterons notre collaboration, mais ne serons jamais bien loin l’un de l’autre : je continuerai à être présent sur les Rares Talents au travers des Warm Up ou du festival.

Hilaire avait de grandes valeurs humaines. Nous discutions de tout : de l’Afrique, de la musique, de la politique, de nos enfants, de la vie… Il était un ami, un frère, un mentor. Il m’a toujours dit d’avoir confiance en moi et en mon jeu. Il m’a encouragé et indiqué de ne jamais perdre de vue mon amour de la musique. Il me répétait souvent “Moh! il faut jouer, même dans le bouiboui du coin. Ton métier, c’est la musique ! N’aies jamais honte de jouer !”

Quant au festival Rares talents, il est la représentation d’Hilaire, de sa vision pour la musique et surtout pour la rencontre et le partage musical. La diversité proposée est à son image. Pas de grandes têtes d’affiche, des talents heureux d’être là et de partager. La force de rassemblement d’Hilaire est immense et doit perdurer après lui avec le festival. Il a su laisser cette empreinte. Ce festival doit poursuivre dans cet état d’esprit. C’est à nous, les musiciens qu’Hilaire a accompagnés, valorisés et encouragés, de prendre la relève ensemble avec la volonté de mettre en valeur les rencontres musicales et les jeunes talents. Ce pourrait être par exemple sous la forme d’un comité artistique avec des membres tournants, ce comité ayant pour rôle de proposer à l’association qu’il a créée une programmation musicale dont la marque sera le partage, les rencontres et les découvertes. »

Moh ! Kouyaté, le 2 avril au Théâtre Berthelot (Montreuil), suivi de Vincent Ségal & Ballaké Sissoko.

Festival Rares Talents, du 30 mars au 7 avril à Montreuil.

Lire ensuite : Mulatu Astatke, le parrain de « l’éthio-jazz »
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