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L'épopée de Soundiata, trésor musical de l'empire du Mali

Retour sur un disque extraordinaire, qui chante Soundiata Keita, le fondateur de l’empire du Mali au XIIIe siècle. Les griots en ont transmis l’histoire, et les orchestres comme le Rail Band aussi.

Imaginez-vous une histoire que l’on raconterait, et même que l’on chanterait depuis huit siècles ! Une épopée qui, hier comme aujourd’hui, continue à procurer bonheur et fierté à ceux qui en sont les héritiers. Un récit qui n’a pas vieilli, tant il inspire aujourd’hui encore les musiciens. Et bien cessez d’imaginer, et écoutez : voici l’épopée de Soundiata !

Soundiata Keita a bien le droit d’être chanté, car c’est lui qui façonna l’un des plus grands empires qu’ait connus l’Afrique, celui du Mali. Au XIIIe siècle, à la fin de son règne, celui-ci recouvrait non seulement une grande partie du Mali et de la Guinée Conakry actuels, mais aussi de larges portions du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, du Burkina, du Niger, et de la Mauritanie. Depuis lors, Dieu sait si l’empereur du Mali a été chanté, loué, et son règne glorifié par les griots qui, depuis cette époque, racontent son histoire.


Quand Salif Keita chantait Soundiata

Le célèbre Rail Band du Mali n’y a d’ailleurs pas échappé. L’un des orchestres phares du Mali indépendant a légué sur disque deux fragments de cette épopée-fleuve. Deux épisodes d’un feuilleton qui en comporte bien d’autres.

La première, enregistrée en 1970, à l’époque où Salif Keita était encore le chanteur vedette de l’orchestre, évoque la victoire finale de Soundiata sur le roi de Soso, Soumaoro Kanté, lequel avait réussi à soumettre le royaume du Mali. Salif Keita, lui-même descendant de Soundiata, chante les exploits de son aïeul comme le ferait un griot.


Un autre épisode de l’épopée, chanté par le Guinéen Mory Kanté

La seconde est enregistrée cinq ans plus tard, en 1975, après le départ de Salif Keita pour Les Ambassadeurs du Motel, l’orchestre rival. Au Rail band, il reste bien sûr Djelimady Tounkara, dont la guitare ouvre magnifiquement ce morceau long de presque 28 minutes, qui ressemble à un long voyage à cheval dans la savane arborée, ponctué par les arabesques de Tidiane Koné au saxophone. Au chant, le griot guinéen Mory Kanté a remplacé Salif Keita, autrement dit : un descendant de Soumaoro (Kanté) a remplacé un héritier de Soundiata (Keita).

Mory Kanté décide de raconter une autre partie de l’histoire, celle de l’exil d’un tout jeune homme qui n’est pas encore le souverain du Mali, mais que les augures prédestinent à un long règne.

Naré Maghan Kon Fatta, son père, avait deux épouses. Sassouma Berete, et Sogolon. Soundiata, le fils de la seconde, est infirme, et ses deux jambes ne peuvent le porter. Il est l’objet quotidien des moqueries de la première épouse, qui humilie ce fils que la prophétie d’un chasseur avait pourtant désigné comme le futur roi du Mali. « Regardez-le qui se traîne par terre, incapable de faire un bon chasseur, pas même capable d’aller cueillir des feuilles de baobab pour que sa mère puisse cuisiner : comment deviendrait-il le roi du Mali ? »

Mais un miracle se produit : Soundiata se dresse un jour sur ses deux jambes, et marche ! Mais à la mort du roi, c’est le demi-frère de Soundiata qui monte sur le trône et chasse notre héros qui, maintenant qu’il est debout, pourrait bien lui faire de l’ombre. C’est le début de l’exil. C’est ce moment que chante justement Mory Kanté ici. L’époque sombre où le trône du Mandé (Mali) est mis en péril par Soumahoro Kanté, le forgeron capable de mille métamorphoses, capable même de se muer en vent. À la tête du royaume de Soso, Soumaoro menace le Mandé.

En guise d’alliance, l’empereur du Mali lui envoie sa sœur Nana Triban en mariage, accompagnée par le griot et porte-parole du roi. Ils arrivent chez Soumaoro, absent, et découvrent sa macabre chambre secrète, où sont placardées les peaux de ses victimes. Le griot y découvre un balafon, le balafon magique du roi de Soso. Et se met à en jouer. Soumaoro apparaît. La suite, chantée par Mory Kanté :

« Pris de peur, Balla Fasséké déposa les maillets du balafon. Ses yeux changèrent de couleur à la vue de Soumaoro Kanté.
Ahhhhh Soumaoro Kanté, Soumaoro Kanté,
Il commença à chanter les louanges de Soumaoro Kanté en ces termes :
Toi Soumaoro Kanté,
Toi dont le refus ne peut souffrir aucune contestation
Si tu acceptes quelque chose, personne ne peut te désobéir
Émerveillé par les louanges, Soumaoro Kanté dit : “Ah grand griot !
Entendre autrui chanter ses louanges a plus de valeur que chanter soi-même ses louanges. Quel est ton nom ?”
Balla Fasseke répondit : “Je m’appelle Gnankouman Doua”
Soumaoro Kanté remua la tête et dit : “Ce n’est pas un nom. Désormais, tu t’appelleras Kouyaté”.
C’est ainsi qu’est né le nom Kouyaté.
Il ajouta : “Prends le balafon. Je te l’offre. Prends-le et joue-le (Balla Fasséké !)∗”

C’est depuis ce jour que les Kouyaté forment la première des grandes lignées de griots du Mandé. Souamoro, après s’être attaché le griot Balla Fasséké Kouyaté, envahit tout de même le Mali, et le soumit à sa loi, celle de la terreur. La chanson continue :

 “La population du Mandé se concerta et décida de retrouver Soundjata pour qu’il les aide à recouvrer son indépendance.
Après concertation, des envoyés partirent à sa recherche.
Nous allons nous arrêter là pour le moment.”


L’époque glorieuse du Mali

Oui, car l’histoire est longue et elle ne peut, à moins d’avoir la nuit entière, qu’être racontée par morceaux. C’est ce que, depuis le XIIIe siècle, les griots s’évertuent à faire, rappelant le temps du Mali Ba, du Grand Mali. L’époque glorieuse où Soundiata prenait sa revanche, tuait Soumaoro, et étendait les frontières de l’empire, ramenant la paix et la justice aux populations. C’est aussi lui qui proclama la première constitution, la Charte du Mandé, déclaration des droits de l’homme avant l’heure.

C’est alors aussi que furent fixés les castes (forgerons, griots, cordonniers, etc.) et les noms de famille qui leur sont associés. Des repères encore importants en Guinée et au Mali aujourd’hui (d’ailleurs, le premier président du Mali indépendant fut un Keita).

Quant à l’héritage, il est fait des valeurs de la charte du Mandé. Il est aussi musical, puisque depuis le XIIIe siècle, on continue de chanter le fils de la femme buffle-panthère, le lion du Mandé : Soundiata. De Boubakar Traoré, à Tiken Jah Fakoly en passant par Keletigui Diabaté de Guinée et même le Zaïrois Pépé Kallé, tous ont rendu hommage au héros.

On vous recommande de lire » Le maître de la Parole » de Camara Laye, ou encore « Soundjata ou l’épopée mandingue » de D.T. Niane pour revivre le récit complet de la vie de Soundiata. Et bien sûr, de réécouter Soundiata par Mory Kanté, par Salif keita, et le Rail Band du Mali.

Les deux morceaux ont été réédités sur le disque Rail Band, Belle époque — Soundiata (Syllart) en écoute sur Spotify et Deezer.


Merci à Souleymane « Klé » Kouyaté pour la traduction des paroles.

∗ Dans cette version, c’est Gnankouman Doua, le griot du père de Soundiata que son frère, une fois monté sur le trône, envoie comme émissaire au royaume de Soso. Et Souamoro le rebaptise Balla Fasséké Kouyaté. Dans d’autres versions, Balla Fasséké est le fils de Gnankouman Doua, et le griot personnel de Soundiata.

Article publié une première fois en janvier 2017.

Lire ensuite : Bakari Jan et la geste de Ségou

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