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The Pan African Music Magazine
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La Guinée, Walaye ! Quand le fantôme d’un orchestre d’antan refait miraculeusement surface

Le label Ouch! Records publie l’enregistrement de l’orchestre de Gama Berema (Guinée), dernier témoignage d’une époque qui s’en est allée.

« Chers frères, chères sœurs, notre beau pays la Guinée est une famille, comprenons-nous, aimons-nous, tenons-nous main dans la main pour le progrès de notre pays… » C’est par un discours typique de l’ère Sékou Touré que débute La Guinée Walaye, une session enregistrée pourtant quinze ans après la mort du lider maximo version afro, ce père de l’indépendance qui fit de la culture nationale l’un des fers de lance de sa politique. Le 18 décembre 1999, il flotte comme un air de nostalgie des années 1970, quand les grands orchestres fédéraux donnaient le tempo du changement d’ambiance. D’ailleurs, le groupe Gama Berema monté par Kwi Bamba, vétéran saxophoniste, renvoie aux grandes heures du Nimba Jazz de N’Zérékoré, un combo créé en 1960, dont la mission visait à promouvoir la musique traditionnelle guinéenne avec une instrumentation moderne. Un disque Syliphone Gön Bia Bia, daté de 1980, en porte trace : sur le thème-titre, le saxophoniste souffle les braises sur son ténor. « Les mystères de la forêt peuvent être percés en musique », conclue le court texte de pochette qui figure au dos de ce LP qui s’échange désormais à plus de cent euros. Et c’est vrai que toute l’originalité du Nimba Jazz, par rapport notamment au plus reconnu Bembeya, consistait dans l’utilisation des rythmes et des chants si particuliers des ethnies animistes de la région de Guinée Forestière, peuplée principalement par les Guerzé (ou Kpellé). 


Loin du répertoire mandingue, les chants en guerzé ou en kono comme les rythmiques saccadées habitent tout autant le disque du Gama Berema, cet orchestre dont le nom est emprunté au chef lieu de sous-préfecture dans la province de Lola, à la frontière ivoirienne.
La Guinée Walaye rappelle que la tradition ainsi électrifiée et boostée par une section de cuivres au taquet se jouait partout dans le pays. À plus de 1000 kilomètres de la capitale, la rythmique y est tout à fait singulière, basée sur de courtes boucles enchevêtrées. C’est elle qui donne le tempo de cette session boostée au vin de raphia, « à grands renforts de bidons de 10 litres », se souvient celui par qui tout ceci a pu être préservé. Actuel directeur artistique de Cristal Records, Fred Migeon venait de quitter le Sénégal : il y avait été chef de projet dans le développement rural, pour une ONG, tout en pratiquant en amateur éclairé sa passion, la musique, notamment pour le festival de jazz de Saint-Louis dont il fut l’un des actifs bénévoles. Arrivé en 1997, il restera quatre ans en Guinée, pour notamment travailler sur l’aménagement des rizières dans cette région forestière. Le temps encore pour lui de rencontrer nombre d’anciens musiciens fonctionnaires dans des bars de brousse, comme les clandos de Conakry. « Ils m’ont raconté leurs tournées dans les pays frères, à Cuba comme en Algérie. Pour eux, c’était vraiment la belle époque. » 


C’est ainsi qu’il va croiser la route de Kwi Bamba en 1997 qui ne tarde pas à le solliciter pour enregistrer le Nimba Jazz, reformé avec des petits jeunes. « 
Il était l’unique membre encore en activité du groupe original. Kwi Bamba devait avoir une soixantaine d’années, même s’il cherchait à faire plus jeune en se teignant les cheveux ! C’était un personnage. Il avait conservé des amplis russes, quelques micros d’époque, et surtout son instrument car il était aussi membre de la fanfare militaire de N’Zérékoré. Il n’était sans doute plus payé, mais ça lui permettait de maintenir son niveau de jeu. » Pour le reste, c’était la débrouille : « Kwi se taillait les anches de sax dans le bambou, son batteur utilisait des bouts de bois comme baguettes… ». Du coup, le Français met parfois la main à la poche pour les aider à s’équiper et surtout leur file un coup de main pour répéter. « Comme j’avais un groupe électrogène à la maison, l’orchestre répétait chez moi. » Grâce à lui, le Nimba Jazz participera même en 1999 à la première Biennale de percussions de Conakry, un moment historique où le drummer de Coltrane, Elvin Jones, tapa le bœuf avec le ballet national guinéen… « Il fut littéralement paumé ! », se remémore amusé Fred Migeon. Quant au Nimba jazz, il essaiera de les enregistrer. Las, la session ne le convainc pas. 
 


« 
Par contre, Kwi m’a proposé d’enregistrer un groupe, des jeunes et quelques anciens réunis autour de lui, du village Gama Berema. Il souhaitait réaliser une cassette pour assurer leur promotion… » Pour ce faire, le groupe avait dégoté une maison en cours de construction comme studio : la solution s’avèrera vite inadaptée à la situation. Impossible d’y faire tenir le combo au complet, qui plus est avec des énormes enceintes, directement héritées de l’Union Soviétique. « Et le son avec le toit en tôle était encore plus pourri. Du coup, nous avons tout installé dehors, en place publique. » Des micros qui sifflent, un groupe électrogène qui ronronne, le son s’inscrit dans le jus de l’époque. Certes, mais malgré toutes ces péripéties, la session s’enregistre à l’aide d’un simple minidisc en une soirée bien arrosée. Un vrai miracle dont témoignera une cassette (aujourd’hui rééditée au format LP), qui à l’époque se retrouva vite fait, mal fait, sur le marché noir. « Deux mois après, je l’ai achetée à Conakry : il y avait une vague photo, pas de tracklisting… J’avais donné l’enregistrement aux musiciens ! », sourit Fred Migeon, pour qui la musique doit tourner, avant toute chose. 
  


Vingt ans plus tard, cet enregistrement de terrain sort donc enfin officiellement, et la confrérie des diggers amateurs d’Afrique bruisse. « 
David Georgelet, le batteur d’Akalé Wubé dont la femme est percussionniste et connaît bien la musique guinéenne, me répétait régulièrement de le sortir ! » Le vœu sera exaucé lorsque Fred Migeon en parle au saxophoniste Lionel Martin avec qui il avait déjà travaillé sur plusieurs projets. Investi dans le quintet éthio-crunch uKanDanZ, ce dernier vient alors de publier sur son label Ouch ! plusieurs albums de musique africaine, dont un double LP sur l’âge d’or à Zanzibar. « Lionel a tout de suite été super enthousiaste. Il m’a même dit qu’en écoutant jouer Kwi Bamba il avait compris bien des choses en musique ! », se félicite Fred Migeon, tout comme il rend grâce au très beau travail de mastering, « pour rattraper le son, qui était quand même limite ». Lui-même aura travaillé à cette « première » édition, « avec un Guinéen qui m’a aidé à traduire les paroles, documenter le répertoire et identifier les morceaux ». Résultat, un bel objet jusque dans sa couverture, une photo prise à Conakry dans les mêmes années par Marc Ambrogiani, futur directeur des Nuits Métis et manager du virtuose de la kora guinéenne Ba Cissoko.

« Ça fait presque vingt ans. C’est déjà historique, d’autant que cette musique n’existait déjà quasiment plus à l’époque ! », se félicite celui qui n’est jamais revenu dans cette région de Guinée, qui fut durement frappée par le virus Ebola, mais aussi par conflit exporté du Libéria voisin. La belle histoire aurait pu s’arrêter là. Sauf qu’il pourrait bien y avoir une suite, puisque Fred Migeon envisage désormais de ressortir une cassette qu’il avait publiée avec un ami guinéen, alors vendeur de cassettes au marché de N’Zérékoré. Il a conservé ces témoignages précieux enregistrés en brousse, ou dans l’intimité d’une case, sur son bon vieux MD. « Nous avions réalisé un ensemble d’enregistrements de musique traditionnelle dans de nombreux villages de Guinée forestière afin de sortir la première cassette officielle du genre sur le marché. Nous avions sélectionné deux morceaux par instrument : le kelen, le tronc d’arbre évidé, des polyphonies, des groupes de Toulou, cinq trompes, chacune jouant une note, avec un chanteur qui slamme en quelque sorte par-dessus, des cornes aussi sur lesquelles les femmes tapent pour s’accompagner comme une clave…. Il s’agit de musiques très répétitives, très anciennes et préservées à l’image de cette région animiste. C’est en quelque sorte l’archéologie de la musique de Kwi Bamba ! »

Kwi Bamba & L’orchestre de Gama Berema, La Guinée Walaye (Ouch! Records) – disponible sur Bandcamp.

Lire ensuite : Ukandanz présente ‘Guesse’, extrait de son nouveau disque Yeketelale

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