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The Pan African Music Magazine
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Kiddy Smile, tout simplement réjouissant

Le kid de Rambouillet (Yvelines) sort One Trick Pony, un premier album house, sexy et décomplexé. Rencontre.

Photographies de Nicos Bustos

Kiddy Smile n’a pas attendu l’invitation de l’Élysée le 21 juin dernier pour insuffler une bouffée d’air baroque sur notre société. Déjà, en 2016, la vidéo de « Let a Bitch Now« , hymne électro flamboyant à la fois sensuel, féroce et entêtant, faisait bouger les lignes d’une industrie musicale française ultraformatée.

Sur One Trick Pony, son premier album, « on trouve des larmes chaudes sur du dancefloor. Un garçon qui se cherche dans un monde hostile et qui essaye de trouver la lumière et la joie ». Résultat : une house d’inspiration 90’s, des basslines sexy qui, sur certains titres, rappellent les productions de Todd Terry et une voix soul qui, à la différence de son premier EP, Enough of You, est devenue reine.

Qu’il aborde des thèmes graves — l’acceptation de soi dans « Be Honest », au refrain soul gorgé de choristes, ou plus légers — l’obsession phallique dans « Dickmatized » et sa booty bass capiteuse, faire danser les gens reste le premier cheval de bataille de ce trentenaire aux physique de géant et aux multiples talents (ex-danseur, chanteur, dj, performeur et producteur).

Pour PAM, ce lecteur d’Aimé Césaire, Frantz Fanon ou Kimberlé Crenshaw évoque la difficulté, en France, d’être homosexuel et afrodescendant, et les figures qui l’on aidé à se construire.


L’expression
One Trick Pony
désigne une personne douée dans un seul et unique domaine alors que tu es justement tout le contraire : chanteur, dj, performeur, producteur, tu as également été danseur, styliste… un véritable « couteau suisse » selon ton expression. Pourquoi est-ce ce morceau qui donne son titre à l’album ?

C’est une chanson importante pour moi, car quand j’ai commencé à faire de la musique, certaines personnes se sont moquées de moi, elles trouvaient que j’étais trop éparpillé, que je faisais beaucoup de choses sans jamais rien approfondir. Eux aussi faisaient de la musique à l’époque et ils n’ont toujours pas fait d’album. Du coup, c’est une manière de leur dédicacer le mien.


Le morceau d’ouverture, « 
House Of God », est taillé pour les dancefloors ce qui ne l’empêche pas d’aborder le racisme, l’homophobie, le sexisme ou encore le patriarcat. Quel est ton rapport à la religion ?

La religion a tellement été un instrument de division et d’oppression pour les gens comme moi, qu’il était important de pouvoir rappeler que son message premier c’est l’amour et qu’on peut tous se rassembler. D’autant que je fais de la house et, depuis sa naissance dans la communauté noire et gay du Chicago des années 80, le but de cette musique est de rassembler.


Dans le clip de « 
Be honest », hymne à l’acceptation de soi, on te voit en enfant de chœur rejeté par l’église en raison de ton homosexualité. Est-ce que c’est quelque chose que tu as vécu ?

Non, ce n’est pas mon histoire. Petit, j’allais tous les dimanches à l’église avec ma mère et comme je ne me sentais pas très bien chez moi en raison de la relation compliquée que j’avais avec mon père, c’était toujours un plaisir d’y aller, de pouvoir m’évader. Et puis au bout d’un moment, j’ai réalisé qu’il y avait un conflit entre ce que j’étais et l’Église et je me suis éloigné.

Cette vidéo m’a été inspirée par une église située à Los Angeles qu’un ami m’a fait découvrir il y a 4 ou 5 ans. Elle était gérée par deux pasteurs mariés l’un à l’autre. Je ne dirais pas que c’était une église LGBT, mais tout le monde y était le bienvenu, l’environnement était hyper queer. Et du coup je me suis dit que c’était dommage, que si j’avais connu un tel endroit, je ne me serais peut-être pas autant détourné de la religion.


Tu es d’origine camerounaise, un pays où l’homosexualité est toujours considérée comme un délit passible de prison. Quel rapport entretiens — tu avec le pays de tes parents ?

Je n’ai pas beaucoup d’attaches avec le pays, cela fait 10 ans que je n’y suis pas allé. En revanche, ce que je peux dire c’est qu’il y a quelque chose de très pénalisant dans le fait d’être lesbienne ou gay ou trans ou bi quand on vit en France et qu’on est afrodescendant.

Aux États-Unis c’est encore différent, ils ont été coupés de leur culture, de leurs racines. Nous, on a le poids de nos racines et elles sont juste là, juste à côté. Tu sais que tes parents ont fait un sacrifice pour venir en France et t’élever dans de meilleures conditions. Pour eux, être LBGT ce n’est pas une upgrade, ce n’est pas du tout ce qu’ils avaient prévu et tu sais que tu vas les décevoir.

Quand j’ai fait mon coming out, ma mère m’a dit : « tu es mon fils, je t’aime, je ne vais pas te jeter, mais donne-moi du temps, je suis une femme africaine ». J’ai compris chacun de ses mots. Je n’en espérais pas tant. J’étais préparé à l’éventualité qu’elle ne veuille plus me voir, de ne plus faire partie de sa vie. Voilà le genre de sacrifice que les gens comme moi sont prêts à faire. Et encore, j’ai de la chance : Oui je suis gay, oui je suis afrodescendant et chrétien. Mais j’aurais pu être musulman. Et là, c’est encore autre chose…


Le 21 juin dernier, lorsque tu mixais à l’Élysée pour la fête de la musique,
tu portais un tee-shirt sur lequel était inscrit : « Fils d’immigrés, noir et pédé ». Ce message a suscité des réactions virulentes au sein de la classe politique, en particulier dans les rangs de la droite. Qu’elle a été la réaction des afrodescendants ?

De la part de gens ignorants, les attaques ont été très violentes aussi. Après l’Élysée, quelqu’un m’a écrit : « je déclare officiellement que tu ne fais plus partie de notre communauté ». Beaucoup de choses sont en jeu ici. Mon homosexualité d’abord qui, pour certains, est une construction caucasienne qui sert à affaiblir l’homme noir. Et puis je fais ce que le blanc attend de moi : du divertissement. Je suis « un singe », qui ce serait laissé « aliéner ». À ces gens, je dis : « il n’y a pas qu’une seule façon d’être noir. Alors si je ne te représente pas, continue d’avancer ». Je ne peux pas forcer les gens à ouvrir des livres, à ouvrir leur cœur.


Dans tes clips, sur scène où tu es accompagné de
voguers mais aussi sur ton disque où tu donnes la parole à des figures parisiennes et new-yorkaises de la ballroom scene, tu n’as de cesse de rendre ce mouvement visible. Pourquoi est-ce important pour toi ?

Parce que c’est un mouvement qui a crée un espace pour les gens qui sont oppressés. Et notre communauté continue d’être oppressée. Comme on me donne la parole, j’en profite ! Je veux que le jeune petit pédé ou le petit trans du fin fond de l’Auvergne qui ressent des émois en lui et qui ne comprend pas ce qui lui arrive soit au courant qu’il y a une communauté qui peut l’accueillir, qu’il y a un endroit où il sera le bienvenu et dans lequel il n’aura pas besoin de mentir sur qui il est.


On parle de la 
ball culture comme d’une culture « refuge ». Est-ce que ç’a été le cas pour toi ?

Non, car moi j’avais déjà du me taper avec la société pour me construire, j’avais déjà fait le travail quand j’ai commencé à m’impliquer au sein de la communauté (notamment en tant que dj et organisateur de soirées, NDLR). Mais pourquoi je laisserais quelqu’un endurer tout ça tout seul comme moi, alors qu’il peut trouver un soutien ? Il y a des gens qui découvrent leur trans-identité à 40 ans, probablement parce qu’ils n’ont pas été en contact avec les bonnes personnes, probablement parce qu’ils n’ont pas trouvé d’oreilles attentives.


Dans une société française où être noir et gay c’est être confronté à une double discrimination, le racisme et l’homophobie, quelles ont été les figures qui justement t’ont aidé été à te construire et à vivre ton intersectionnalité ?

Grace Jones d’abord. Très tôt, j’ai eu conscience que la vie devait être très dure pour elle. Je l’ai aimé tout de suite. Elle était très androgyne, mais ne s’excusait pas d’être qui elle était. Et je comprenais très bien qu’elle soit agressive. Elle était obligée d’attaquer avant qu’on l’attaque.

Beaucoup plus tard, peut-être vers 18 ou 19 ans, je suis tombé sur Sylvester et je me suis intéressé à sa vie et à son combat militant. Ça m’a beaucoup touché le fait qu’il soit fils de pasteur, qu’il veuille chanter dans la chorale avec du rouge à lèvres et que son père l’ait chassé de l’église et de chez lui pour ça. Il est mort du Sida et jusqu’au dernier moment il se battait pour sa communauté. Il utilisait ce qu’il gagnait pour organiser des événements pour informer et faire de la prévention. Et puis, il s’est battu pour faire sa propre carrière. Il n’a jamais voulu être le noir homosexuel de service, celui qui servirait de faire valoir à d’autres. Il était le maître de sa propre narration. C’est pour ça qu’il a toujours refusé de faire les chœurs de qui que ce soit. Il assumait de naviguer entre la masculinité et la féminité et peu lui importait qu’on le prenne pour une « créature ». Je trouvais ça incroyable. « I Need You«  est sans doute le titre sur lequel j’ai le plus dansé !


Et Frantz Fanon, à quel âge l’as-tu lu ? Peau noire, masques blancs (1952) est paraît-il ton livre culte. Quel effet a t-il eu sur toi ?

Je l’ai lu à la fac. J’étais surpris qu’un livre comme ça existe, qu’un livre arrive si bien à décrire ce que je ressentais et mon expérience de tous les jours, 60 ans avant. Et effrayant parce que ça devrait être l’un des premiers livres qu’on donne à lire aux gens quand ils arrivent au collège. Les Femmes Savantes (de Molière, NDLR) c’est cool hein, mais ça fait pas avancer grand-chose.


Écoutez One Trick Pony (Neverbeener Records – Grand Musique Management) sur toutes les plateformes

Kiddy Smile sera en concert à la Gaîté Lyrique le 25 octobre. Il est également à l’affiche de Climax de Gaspar Noé (en salles depuis 19 septembre) et son titre Dickmatized, produit en collaboration avec le duo de DJ italiens Crookers, figure sur la bande originale du film.

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Lire ensuite : Karol Conka, l’électron libre de Curitiba

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