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The Pan African Music Magazine
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Fatoumata Diawara revient avec un nouvel album, et beaucoup de choses à dire

À 36 ans, la chanteuse malienne s’apprête — le 25 mai — à sortir son second disque, Fenfo : « j’ai quelque chose à dire ». Ca tombe bien, on a des questions à lui poser.


Ton dernier album remonte à 7 ans. Sept ans, c’est long…

J’avoue que c’est très long, mais qu’est-ce que j’ai vécu comme belles choses en tant que chanteuse, ou comme comédienne : que des beaux projets ! Il y a eu le film Tombouctou, l’album avec Fonseca, celui de Herbie Hancock, les collaborations avec Tony Allen, Damon Albarn, le duo avec Bobby Womack, et enfin Lamomali avec Mathieu Chedid… ces sept ans, je ne les ai pas vus passer !!


C’était un choix délibéré de multiplier les expériences plutôt que de revenir en studio pour ton compte ?

Oui, c’était fait exprès ! Je voulais respirer après l’accouchement de l’album Fatou (World Circuit, 2011). Dans ce nouvel album, Fenfo, j’ai un rapport plus serein à ma voix. Fatou c’était un accouchement, c’était mon introduction au monde avec toute mon histoire, tout un passé qui me suivait et me suit bien sûr toujours, mais avec le temps, j’ai appris à vivre avec. Donc voilà, c’était important de prendre le temps. Sotigui Kouyaté (ndlr : griot, et immense comédien) m’avait dit : « Fatou, le jour où tu n’auras plus la soif d’apprendre, la vie n’aura plus de sens. » Je suis toujours ce conseil, et en collaborant avec d’autres artistes, j’apprends beaucoup… Pour moi, c’est une école.

« Le jour où tu n’auras plus la soif d’apprendre, la vie n’aura plus de sens. »
Sotigui Kouyaté à Fatoumata Diawara


Pendant ces sept années, tu as tout de même écrit et enregistré des titres, notamment « Malikô« , pour la paix au Mali.

Pour « Malikô », en 2013, j’avais rassemblé tous les artistes maliens pour préserver la paix et aussi sauver notre héritage africain, car nous avons perdu beaucoup de choses. Or ce qui permet à l’Afrique de rester debout ce sont les rythmes, les mélodies que nos ancêtres nous ont légués… ces percussions, ces guitares blues qui viennent du désert…parfois tu as faim, tu as des problèmes avec la famille, ou bien les enfants ont des problèmes à l’école. Mais quand un enfant qui a des problèmes écoute de la musique, il est content, il est bien, les mots et les choses sont à leur juste place. Moi quand j’ai écrit cette chanson, c’était pour défendre la musique même, car elle nous permet de survivre.

Et puis récemment, j’ai fait une chanson sur ce qui s’est passé en Libye, « Djonya«  (litt. « l’esclavage »). Mon label me laisse faire des chansons qui réagissent à l’actualité du continent. Dans « Djonya », je demandais que l’humain puisse arrêter de se croire supérieur à son semblable, et enfin comprendre qu’on a tous le même sang : rouge. Comment expliquer que ce genre de mentalité existe encore… en 2018 ! Il est temps qu’on arrête de se piétiner et qu’on arrête l’esclavage.

© Aida Muluneh


Qu’est ce que Lamomali a changé pour toi ?

Avec mon album Fatou, j’ai beaucoup tourné dans les pays anglophones, les States, l’Inde même… bref dans le monde, mais moins en France. Avec Lamomali, les Français me découvrent. Ca a été la rencontre avec un nouveau public, et la rencontre avec Mathieu qui est devenu comme mon mentor. Humainement, je le respecte beaucoup, comme Damon Albarn. Et cette qualité humaine, c’est important pour moi. En fait je l’ai rencontré quand ils avaient déjà beaucoup avancé sur l’album. C’était aux Césars, j’avais interprété la chanson « Timbuktu Fasso« , et lui, il avait joué ce soit là avec Ibrahim Maalouf. Et après il m’a appelé, il m’a dit : « ravi d’avoir rencontré ta voix, elle me parle, elle me touche, je suis en train de finaliser un projet avec Toumani et son fils. Si ça t’intéresse, je voudrais leur proposer que tu sois la voix féminine ». Donc je suis passé chez M et en une après-midi, j’ai fait des voix pour quatre ou cinq titres, et ce sont ces voix, telles quelles, qu’il a utilisées pour faire l’album.

« Je suis sur scène, prête à lever le poing pour dire que la jeunesse africaine est prête à s’en sortir, qu’il y a une nouvelle Afrique qui arrive.  »


La production de ce nouvel album, Fenfo, est très différente de celle de ton premier disque…


Elle est très différente parce que moi, je compose les chansons, je fais mes petits arrangements. Mais j’avais besoin d’un grand frère ou d’un papa, d’un ami, en tout cas d’un complice ! Et Mathieu l’a senti. Au début, je ne pouvais pas faire trop de dates avec Lamomali parce que j’avais mes propres concerts, et en même temps je travaillais aussi en studio pour enregistrer mon disque. M a vu que je n’arrêtais pas de travailler. Il me disait : « fais-moi écouter, je peux peut-être t’aider ». Je l’ai fait un peu durer, parce que je n’étais pas prête. Un jour, on est partis à Barcelone pour jouer Lamomali, et avant les balances moi je suis allée directement en studio. On avait roulé toute la nuit et il était crevé, mais il m’a suivi au lieu d’aller se reposer avant le concert. Et je n’oublierai jamais ça. Il a bossé jusqu’à l’heure du spectacle. Il m’a fait des propositions : au début le côté électronique m’a un peu perturbé, parce que l’électronique a pris une telle place dans la musique africaine aujourd’hui que j’ai toujours peur qu’on oublie nos instruments… mais M l’a fait de manière subtile, il n’a rien enlevé… il a tout gardé ce que j’avais fait, et juste apporté ce dont j’avais besoin. C’étaient les morceaux « Kokoro » et « Dini Bo ». Il a fait ça à Barcelone, juste avant le concert, en trois heures de studio, après avoir roulé toute la nuit. Et on n’a plus rien touché après ça. Et là je me suis dit : « alors, c’est avec lui qu’on fait l’album ».


Dans la chanson « Nterini » qui ouvre l’album, tu évoques l’immigration sur un mode intime. Pourquoi as-tu choisi de parler du sujet de cette manière ?

J’ai décidé de parler de ce côté de l’immigration, parce que depuis quatre ou cinq ans, on voit l’image de nos frères qui partent sur les bateaux, et pour les gens qui ne connaissant pas l’Afrique, ils vont croire que c’est toute l’Afrique qui part, qu’il n’y a plus rien en Afrique. Que c’est la misère, qu’on fuit, et qu’il n’y a plus rien là-bas. L’affaire de l’esclavage en Libye ça a été le sommet, ça m’a beaucoup vexée !! Déjà les bateaux, ça nous rabaissait, et en plus l’esclavage, ça ne faisait qu’en rajouter encore. Alors que moi je suis sur scène, prête à lever le poing pour dire que la jeunesse africaine est prête à s’en sortir, qu’il y a une nouvelle Afrique qui arrive. Je crois à ce que je dis. Va au Ghana, au Nigeria, en Angola, même au Burkina. Y’a plein de choses qui se passent là-bas. Essayons donc de balancer, qu’il y ait des nuances. Sinon, cette image, ça nous écrase. Donc je me suis dit : je vais continuer a aborder nos problèmes, mais d’une manière plus positive.

Je suis allée ans la région de l’Afar, en Éthiopie. Un lieu très sacré où l’on a découvert le premier squelette d’une de nos ancêtres (NDLLucy). Je voulais aller là-bas pour faire mon clip et dire que tous ces jeunes, avant d’aller en Méditerranée, viennent de quelque part : ils ont une histoire d’amour, une terre magnifique… Je voulais raconter l’histoire d’un jeune homme qui vivait une vie paisible avec une maison, une amoureuse… mais il voulait juste partir pour acquérir une nouvelle expérience. Quand il partait, il n’était pas un immigré, il était juste un humain. Mais en arrivant devant la Méditerranée, quand on lui a dit qu’il ne pouvait pas aller en Europe, il est devenu un « immigré ». Sinon, sur son continent, il est digne, il a une histoire, une terre. C’était important pour moi, ça. « Nterini » ça a été le premier morceau, pour parler de l’immigration, et pour qu’on comprenne que l’Afrique, ce n’est pas ces images de bateaux : on vient de quelque part, et on a beaucoup a apprendre à l’humanité.


« Fenfo », c’est le titre de l’album, et aussi le titre d’une chanson dont le leitmotiv est « ils ne m’ont pas dit »… peux-tu expliquer ?

« Fenfo », ça veut dire « j’ai quelque chose à dire ».

Dans la chanson, c’est comme si je m’étais mise dans la peau des enfants qui sont dans les zones de guerre. Ceux qui sont par exemple dans le nord du Mali, qui ne vont plus à l’école depuis 2010. Et personne n’en parle. On n’a même pas le temps de leur tendre un micro pour savoir ce que, en tant qu’enfants, ils pensent de tout ça. Ils voient à la télé les autres enfants qui font la rentrée des classes. Ils voient ça. Eux n’ont pas droit à la rentrée, aux fournitures, aux nouveaux professeurs, aux camarades de classe. Même si moi je ne vis pas là-bas, je dois être capable de parler à leur place. Chaque enfant doit avoir droit à l’éducation si on veut un monde meilleur, et c’est notre responsabilité à nous tous, quelles que soient les couleurs, les frontières, etc. Dans la chanson, l’enfant dit :

« Maman, si tu m’avais dit que le monde est presque à la fin, je ne serais pas venu.
Si tu m’avais dit que deux frères ne peuvent pas manger à la même table et sont capables de vivre une vie sans amour, je ne serais pas venu.
Si tu m’avais dit que je serais allé à l’école pour rien, que l’avenir était incertain dans un monde où les gens s’entre-tuent pour des affaires de couleur de peau, de région, d’ethnie… je ne serais pas venu.
Maman, si tout le monde s’en tient à la surface, si personne ne s’intéresse à la profondeur, qu’est-ce que je viens faire dans ce monde ? »

Et nous (les adultes), c’est quoi notre avenir ? C’est pitoyable pour ces enfants, et pour nous aussi.


Fenfo
, sortie le 25 mai (Wagram)

Fatoumata Diawara sera en concert tout l’été, et le 11 décembre au Trianon (Paris)

Lire ensuite l’interview : Oumou Sangaré, du Wassoulou aux dancefloors

© Aida Muluneh

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