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The Pan African Music Magazine
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« Essingan » : histoire d’un tube, en souvenir du guitariste Zanzibar

Le vieux lion Binda Ngazolo, en souvenir de l’immense guitariste des Têtes Brûlées disparu il y a plus de trente ans, nous raconte l’histoire du tube qui les fit connaître au monde entier.

Voila plus de trente ans déjà que le guitariste Zanzibar est allé rejoindre les ancêtres. Et moi, je repense au début de ces années 80. Une période pleine de rêves partis en fumée… comme le dit la chanson de Jean-Marie Ahanda « Ça fait mal ».

Théodore Epeme alias Zanzibar et moi-même étions tous les deux résidents chez Jean-Marie Ahanda. Il avait créé chez lui à Yaoundé (quartier Essos), notre centre culturel essentiel à nous. Du matin au soir et vice versa, nous étions en immersion à l’école à distance du Maître Mvett Ata Obout. Nous en sortions pour plonger dans l’univers Minkana (contes dits et chantés, ou chantefables) tiré du répertoire traditionnel Beti (une branche du peuple Fang qui occupe la partie centre-sud du Cameroun). Notamment, une de ces aventures de Kulu la tortue, parmi lesquelles figure le chant d’Along le petit escargot d’eau douce. C’est ce chant qui — mis à la sauce Zanzibar — deviendra la célèbre version de « Essingan ».


 Mais l’immense succès du titre a inévitablement entraîné une polémique sur la paternité de l’œuvre, puisque lui préexistait « Te Télé », la version pour le moins grivoise de feu Mbarga Soukouss. Le reportage ci-dessous s’en fait d’ailleurs l’écho, en donnant la parole à quelques-uns des protagonistes de l’époque. 


Quoi qu’il en soit, le titre « Essingan » des Têtes Brûlées paraît en 1985 après une vague massive d’enregistrements lancés par le label Foty-Lanceleaux, qui avait entrepris « d’enrôler tout ce que le bikutsi avait de réservistes sans contrat », comme le dit Jean-Marie Ahanda, le fondateur des Têtes Brûlées. 


Une révolution du bikutsi

Mais en amont, J.M. Ahanda s’était engagé dans un travail de fond qui consistait à épurer les manières habituelles d’aborder le bikutsi. Il faut dire qu’aux origines, c’est un rythme de réjouissance porté par le chant et les battements de mains et pratiqué essentiellement par les femmes. À l’heure de l’urbanisation et de l’électricité, Messi Martin et le groupe Los Camaroes vont reproduire sur la guitare électrique les sonorités du balafon en glissant entre les cordes le papier aluminium récupéré d’un paquet de cigarettes. Le terme générique bikutsi est ainsi né. Il intègre la version urbaine de tous les rythmes beti. Nous sommes à la fin des années 60.

La disponibilité et l’ouverture d’esprit de Zanzibar facilitaient cette nouvelle cuisine du bikutsi à laquelle, dans l’antre de J.M. Ahanda, chacun ajoutait du sien : Lionel Manga en apport des disques de rock’n’roll, autant que Vincent Doumbe en cinéaste impliqué, sans oublier tous les autres visiteurs anonymes.

L’apport de Zanzibar dans ce processus est d’avoir développé un discours qui jusque là restait souvent limité chez les joueurs de balafon, ceci d’autant plus qu’en musique, les Beti n’accordaient pas beaucoup d’importance aux performances individuelles, qui étaient le fait des danseurs avant tout.

Zanzibar lui, était un véritable guitar hero, dans la pure tradition rock’n’roll, à mille lieues des autres guitaristes du genre qui pour la plupart s’efforçaient de demeurer dans les limites qu’avaient fixées les groupes Los Camaroes ou les Titans de Sangmelima.

Si « Essingan » est aujourd’hui considéré comme un classique, c’est parce que, jusqu’aux Têtes Brûlées, le bikutsi ne concernait que les Beti. Avec eux, le mouvement a débordé ce cadre, pour devenir national puis international avec un côté rock, tout en gardant une formulation traditionnelle à la « guitare-balafon ».

De tout cela, plus nos expériences communes, nos tentatives de dépasser les sentiers mille fois parcourus, il s’est développé un langage qui allait finir en dialogue musical entre le bassiste Mangouma Soul (plus tard remplacé par Atebass) et Zanzibar.  

Ce dernier avait vite compris les multiples possibilités d’expressions qu’il démontrait soudain. Il est donc né entre eux une émulation que l’on observe également chez les danseurs de bikutsi lorsque la cadence pousse au défi. 


En route pour le monde

Le résultat de toutes ces expérimentations va ressortir ce jour-là, quand les Têtes Brûlées vont faire irruption sur les plateaux de l’émission Télé-Podium présentée par Elvis Kemayo à la télévision camerounaise tout juste naissante. Le pays est sous le charme ! Jamais, de mémoire de Camerounais, on n’avait vu une proposition musicale aussi originale et spectaculaire.

L’effectif était alors composé d’Epeme Théodore « Zanzibar » à la guitare solo, Mvondo Ateba « Atebass », Michael Ango « Apache » à la guitare rythmique, et « Nylon » à la batterie. Les arrangements étaient de Zanzibar et Jean-Marie Ahanda qui était non seulement l’initiateur du projet, le porteur du concept et l’auteur des coiffures et des peintures corporelles emblématiques des Têtes Brûlées. D’ailleurs, la presse musicale internationale les voit aussitôt comme une manière de punks à l’africaine.

Elle les découvre un beau jour de 1987. C’est la remise des prix du Concours Découvertes RFI (dont je suis l’un des lauréats avec ma chanson humoristique « Encore un verre »). « C’est l’année de tous les espoirs », titre alors le quotidien Cameroon Tribune. Les Têtes Brûlées sont de la fête. Ils vont enchanter le Cameroun et le monde entier avec leur bikutsi absolument novateur, dont le titre phare n’est autre que le fameux « Essingan » (cf à 14 min 07 sec. de la vidéo ci-dessous)

La carrière internationale du groupe était ainsi lancée projetant Les Têtes Brûlées dans le monde entier, comme jamais un autre groupe camerounais avant lui. 


Mais que raconte au juste la chanson « Essingan » ?

Essingan est un arbre de la région forestière du sud Cameroun. Dans l’univers culturel Fang-Beti (les Beti sont une des branches du grand groupe linguistique Fang), il était considéré autrefois comme « le roi de la forêt ».

C’est donc aussi la métaphore de l’homme puissant à qui une partie des paroles témoignent de la gratitude pour sa supposée générosité.

Mais chez les Beti, l’humour aide à gérer les aléas de l’existence. Il y a donc aussi une satire sociale dans les paroles du morceau.

Essingan l’homme puissant est par ailleurs plein de défauts. Il est cupide, avide et gourmand au point de finir à lui tout seul les meilleurs mets de tout le pays. La chanson dit qu’il apprécie particulièrement le poulet et abhorre la viande de zébu. On entre à un moment du morceau dans le décompte de ses travers, comme autant de buts marqués. Il a mauvais caractère, il crée tout plein de conflits. Il est menteur et manipulateur. Bref, un de ces tyranneaux auxquels les Camerounais sont confrontés au quotidien. À bon entendeur… 

Lire ensuite : Carnet de roots : rencontre avec les Bushinengués, ces cousins africains… d’Amazonie

Article publié une premiere fois en octobre 2018.

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