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The Pan African Music Magazine
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Habib Faye s’est retiré en laissant un grand vide, et beaucoup d’héritiers

Décédé le 25 avril à Paris, le bassiste et génial musicien Habib Faye était enterré samedi à Dakar. Amadou Bator Dieng retrace son parcours et lui rend ici hommage. Correspondance.

Extrait d’une discussion sur Facebook Messenger entre Habib Faye et Amadou Dieng notre correspondant à Dakar :

Amadou
Grand, qui a réalisé la version de la chanson « Axirussaman » jouée à Buenos Aires lors de la tournée « Amnesty Human Rights Now! » en 1988 ?

Habib
C’est moi.

Amadou
Waaw ! C’est de la bombe. Elle est terrible. C’est fini, tu ne peux plus faire mieux.

Habib
T’es sur ? C’est vrai, c’est un super son.

Amadou
Ouii, Brandford Marsalis, Loy Ehlrich, Assane Thiam, tout est parfait. Je te défie de faire plus fort. Tu ne pourras pas lol.

Habib
Mais siiii. Défi relevé…


Malheureusement Habib est décédé mercredi dernier à Paris. Il ne relèvera pas le défi. Cet amour de morceau, concocté pour Youssou Ndour, raconte à lui seul la carrière de Habib Faye. Son apport à la musique sénégalaise, son attachement aux sonorités traditionnelles et son amour pour le jazz, tout y est.

La nouvelle de son décès, telle est un tremblement de terre, foudroie toute la scène musicale africaine et au-delà, tant elle est inattendue.

Instrumentiste au long cours, Habib Faye a été à la fois un guitariste, claviériste et surtout bassiste de génie. Avec sa disparition, le Sénégal perd son bassiste le plus célèbre et le plus prolifique. Très tôt repéré par Youssou Ndour (Habib n’a que 19 ans en 1984, quand la star le prend comme bassiste attitré), il est un des piliers de la révolution musicale produite par son groupe, le Super Étoile de Dakar, qui influencera toute la musique du pays. C’est à lui qu’il confie par la suite la direction artistique de l’orchestre. 


« J’ai beaucoup fait pour Youssou, mais je lui dois tout aussi. »

C’est ainsi, devenu directeur musical, qu’Habib Faye concoctera l’essentiel des tubes qui feront la légende de Youssou Ndour. On comprend pourquoi ce dernier a tant pleuré en apprenant la disparition de son « petit frère et (à lui tout seul) le programme du Super Étoile  ». Pour le chanteur  le Super Étoile n’est déjà plus ce qu’il était parce que Habib, son maître à penser, n’est plus. Youssou sait de quoi il parle : dès ses débuts avec lui, grâce à une musicalité hors-norme, Habib a toujours su tirer le meilleur de la voix exceptionnelle de l’enfant de la Médina. La mort vient de séparer l’extraordinaire binôme.

La belle carrière de Habib Faye commence à la SICAP rue 10, le domicile familial. Et il a de qui tenir. Son frère, Adama, claviériste de génie, avait également, avant lui, contribué à révolutionner la musique sénégalaise, en particulier avec le Super Diamono. Le fait est qu’Habib est issu d’une fratrie de musiciens exceptionnels. Deux autres de ses frères (Lamine et Vieux Mac) sont des guitaristes réputés. C’est Vieux Mac qui initie le petit Habib à la guitare. Il en assimile assez rapidement les rudiments. Le garçon est doué et touche à tous les instruments. Avec Michael Soumah, célèbre animateur radio, il monte le groupe Watosita. Il finira par s’installer à la basse. Admiratif de Jaco Pastorius à qui il rendra hommage en 2004 dans un album, Habib devient un inconditionnel du jazz et absorbe tous les courants. Du be-bop au hard-bop, en passant par la fusion et autres, l’adolescent commence à se faire une sacrée réputation. On connaît la suite…

En 2012, Habib Faye se décide enfin à s’occuper davantage de sa carrière solo et publie ce qu’il considére comme son véritable premier album, H2O. Les mordus attendaient depuis longtemps qu’il prenne sa carrière en main et prenne toute sa place sur la scène jazz,  à l’image des Richard Bona ou Étienne Mbappé.

À la question de savoir pourquoi était-il resté autant de temps (30 ans) avec Youssou Ndour ? Il répondait alors : « Tu sais, j’ai beaucoup fait pour Youssou, mais je lui dois tout aussi. Youssou m’a toujours accordé beaucoup de liberté en me permettant de m’absenter pendant plusieurs mois parfois pour aller jouer sur des projets qui me tenaient à cœur. Donc je ne ressentais ni le besoin ni l’envie de le quitter, d’autant plus que l’aventure avec le Super Étoile était toujours excitante en terme de performances et d’expériences. »


« Notre musique, c’est le Mbalakh, ce sont les sonorités de la Casamance, du Fouta, du pays sérère, etc. Nous ne devons pas aller chercher ailleurs. »

Le bassiste a collaboré avec de nombreux artistes. En 2007, il dirige l’album Djin Djin de la star béninoise Angélique Kidjo. Un an plus tard, en 2008, le disque remporte le Grammy Award du meilleur album de musique du monde. Peu avant, en 2005, il avait participé à l’album Dounia de son compagnon de route, l’imprenable batteur d’origine sénégalo-marocaine Mokhtar Samba, un des chantres de la fusion avec le groupe Ultra-Marine dans les années 80. À l’annonce du décès de Habib, Mokhtar Samba a posté sur Facebook ce message : « Merci Habib pour ton immense musicalité. Merci pour m’avoir initié à ces trésors que sont les rythmes du Sénégal. Merci pour ta grande contribution à mon premier album Dounia. Et surtout merci pour ton amitié. Repose en paix Maestro. »

Amoureux du jazz, Habib Faye n’en était pas moins attaché aux musiques traditionnelles : « Notre musique, c’est le Mbalakh, ce sont les sonorités de la Casamance, du Fouta, du pays sérère, etc. Elle est extrêmement riche et variée. Nous ne devons pas aller chercher ailleurs. Il suffit de continuer ce travail de perfectionnement et de recherche pour en sortir toute sa substance et la proposer au monde. »

C’était son rêve. Donner aux sonorités traditionnelles toutes leur place dans la musique sénégalaise. Depuis quelques années, toutes ses recherches étaient d’ailleurs tournées vers cet objectif. Même si depuis 2017 il avait réintégré  le groupe de Youssou Ndour, Habib Faye était aussi engagé dans Cola Note Café, un alléchant projet en compagnie du subtil koriste saint-louisien Ablaye Cissokho. Ensemble, ils mariaient de façon sublime les instruments traditionnels (balafon, kora, Ngoni, flute) aux instruments modernes (basse, claviers et drums). Une musique d’une originalité déconcertante. Entre jazz, Rumba, Afro-beat et Mbalakh. Après une première tournée à travers le monde, le groupe s’apprêtait à repartir pour une seconde virée cette année. Avec, à la clef, la sortie d’un album déjà enregistré.

Ablaye Cissokho, avec émotion, a commenté la nouvelle du décès de son compère en indiquant qu’Habib était « un homme multidimensionnel, un musicien complet et un arrangeur hors pair… à qui nous devons beaucoup énormément. Que son âme repose en paix. »

La valorisation des sonorités et instruments et traditionnels, cœur de son projet inachevé, Habib le lègue à ses jeunes et talentueux frères musiciens qu’il a tant inspirés. Alune Wade, Hervé Samb, Ismaela Cissé, Cheikh Ndoye, ont tous rendu hommage dans leurs derniers albums respectifs à ces sonorités. Comme s’il avait compris que ses héritiers avaient saisi le sens de sa démarche, il s’est discrètement retiré pour passer le flambeau.

Le Maestro repose désormais au cimetière de Yoff à Dakar. Derrière lui, il laisse l’image d’un homme pudique, affable, toujours la petite blague à la bouche pour mettre à l’aise son hôte, Habib ne se la racontait pas. Malgré son statut, son humilité était épatante. La marque des grands.

Lire ensuite : Le chef Alune Wade ouvre son African Fast Food
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