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The Pan African Music Magazine
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Anthony Joseph rend visite au fantôme de Paul Robeson

Le poète et musicien originaire de Trinidad a visité l’expo que le Musée du Quai Branly, à Paris, consacre à Paul Robeson, chanteur, acteur et écrivain emblématique des luttes panafricaines.

© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde

Paul Robeson est peu connu en France et pourtant, c’est une légende aux Etats-Unis où il est la première star afro-américaine à avoir joué dans 11 films (dont les Mines du roi Salomon, Body and Soul ou Songs of Freedom).

Son père était né esclave, il avait fui les plantations pour faire la guerre de sécession et aller à l’université. Comme Anthony Joseph, Robeson a aussi beaucoup étudié avant de choisir de devenir artiste. Il a été avocat avant de commencer sa carrière de chanteur d’acteur et de militant dans les années 20, en pleine Harlem Renaissance. Robeson a fréquenté les héros d’Anthony Joseph : Langston Hughes, W.E.B. Du Bois ou CLR James, qui prouvent que la recherche de son identité est une quête perpétuelle de l’humanité.

Avant d’arriver à l’expo Robeson, Anthony Joseph, traverse les différentes salles du Quai Branly : l’Océanie, Madagascar, des percussions africaines, et autres fantômes venus de loin…


Vous connaissiez le Musée du Quai Branly ?

C’est la première fois que je viens. En tant que noir, on entre ici avec un sentiment mitigé : on dirait un caveau ou un zoo où des objets du monde entier finissent leur vie, mais on se dit aussi que c’est important de garder cette mémoire.


Robeson était un intellectuel et un artiste militant, il est né en 1898 et mort en 1976, sa trajectoire vous est familière ?

Je connais ses films, j’ai vu des documentaires sur lui. Robeson une importante figure noire, au même titre que Marcus Garvey et d’autres. En commençant mes recherches sur Edouard Glissant et d’autres,  je suis naturellement tombé sur Robeson et ses combats à Londres.


Vous vous sentez plus proche de l’homme que de l’artiste ?

J’aime sa voix de baryton, mais j’ai du mal à écouter ses disques en entier, ça manque de variations. C’est comme si sa voix essayait de dépasser quelque chose, de chanter plus fort que la tradition européenne d’opéra. Même ses gospels sont marqués par ça.


En vivant à Londres pendant 12 ans, Robeson s’est lié avec des personnalités comme
Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah, George Padmore, C.L.R. James et ou Nehru- le premier non-aligné. A l’époque, la capitale anglaise était un véritable lieu de rencontre pour les idées progressistes… 

Il se passait beaucoup de choses à Londres dans les années 30-40. C’est devenu un carrefour pour des penseurs africains et antillais. Pendant mes recherches pour écrire la biographie de Lord Kitchener (sortie cet été en Angleterre, NDLR), j’ai rencontré une chanteuse qui avait connu Robeson et Kitchener à Londres. Kitchener est l’auteur du fameux « London Is A place For Me », il fait partie de cette génération Windrush qui rêvait de Londres et découvre que la ville ne l’attend pas vraiment ! A cette époque un de mes héros, C.L.R. James (écrivain, philosophe, et militant, qui vient aussi de Trinidad) fait jouer Robeson dans une pièce sur Toussaint Louverture. Grâce à cette exposition, c’est la première fois que je vois des photos de cette pièce !


L’exposition commence par cette phrase de Robeson en 1937 : « l’artiste doit choisir entre la liberté ou l’esclavage. J’ai fait mon choix. Je n’avais pas d’autre alternative ».

Dire ça près de 100 ans après l’abolition de l’esclavage c’est fort. Mais je n’y adhère pas totalement. En tant qu’artiste, je ne pense pas que mon travail consiste à m’engager pour un combat.  Mon job c’est de rendre le monde un peu plus beau, d’enquêter sur ce que ça veut dire d’être vivant et d’être humain.

Porter un combat ce n’est pas mon truc. Je respecte la démarche de Robeson, car au début du XXe siècle, il n’avait pas d’autre choix que d’être noir et de le défendre.

C’est différent pour moi. J’ai grandi à Trinidad, une nation noire post-coloniale, sans avoir à défendre ça. Grâce à des gens comme Paul Robeson ou C.L.R. James, je peux être moi-même et pas seulement un artiste noir, même si malgré nous, on représente quelque chose qui nous dépasse. Comme le raconte Jay Z dans son dernier album, OJ Simpson dit «  je ne suis pas noir, je suis O.J. » mais la réalité est autre. Je voudrais pouvoir penser Robeson pas seulement comme un artiste et militant noir. C’est un fardeau qu’on porte tous, on vit avec.


Avec le temps, et après tant de  livres et de disques, cette identité devient-elle un étendard moins lourd à porter ?

Aujourd’hui, la politique et la Caraïbe sont plus présents dans mon travail, mais ce n’est pas un choix délibéré. Je ne viens pas de l’école des Last Poets ou de Gil Scott Heron : le contenu politique de mon oeuvre est venu de lui-même. Mes influences viennent de mon enfance à Trinidad, des calypsos, du carnaval et de mes lectures internationales. C’est tout ça qui m’inspire. Je n’ai pas voulu faire un travail politique à priori. Je préférerai parler de poésie ou de musicalité de tel ou tel mot, plutôt que de mes combats.


Dans votre dernier album, le morceau « Dealings » parle de « décoloniser l’esprit » ?

Cela fait référence à littérature européenne qui nous est si familière, ce n’est pas une littérature qui va glorifier l’expérience de l’homme noir. Donc il faut décoloniser nos esprits de toutes ces lectures : Shakespeare, Hemingway, Steinbeck qui ont tant façonné nos esprits. Écoute Fela ou Marley : ils décolonisent les esprits !!


Depuis Trinidad, vous aviez entendu les combats portés par Robeson aux Etats-Unis, pas si loin de votre île ?

Trinidad est un endroit à part, y vivre, c’est forcément vivre dans un lieu de passage, et de voyages. Dans les années 40, il y a eu des vagues d’immigration vers New York et vers l’Angleterre, des échanges d’idées. Quand on grandit dans les années 70/80 comme moi, on est conscient des activités subversives et révolutionnaires américaines.

En 1970, il y a eu des émeutes populaires, réprimées par la police, inspirées par ce qui s’est passé aux USA. J’ai grandi là-dedans, conscient très tôt de l’implication de Trinidad et de la Caraïbe dans cette vaste histoire.


Depuis les années 1930 de Robeson, Londres est toujours un carrefour  pour ces combats ?

Il y a encore beaucoup de penseurs et d’auteurs qui écrivent sur le panafricanisme, mais leur travail deviendra-t-il révolutionnaire ? Je ne crois pas. Les temps ont changé et les batailles ne sont plus les mêmes.

Londres reste une ville qui peut surprendre. Après le meurtre de Mark Duggan (tué par la police de Tottenham en septembre 2009, ndlr), les émeutes raciales de noirs contre le système ont été rejointes par des blancs qui voulaient eux aussi affronter ce système qui ne les considère pas. C’est devenu un combat de classes. Londres est une ville très volatile, où tout peut arriver. Il suffit parfois d’une étincelle. On ne peut jamais minimiser la révolution. A chaque fois que tu crois l’écarter, elle te fait glisser…


Dans cette exposition, on découvre Robeson aux côtés de ses « frères » pendant la guerre d’Espagne, de mineurs
écossais pour chanter la ballade pour Joe Hill, leader syndicaliste injustement condamné, ou encore en Russie pour entonner le chant des partisans du ghetto de Varsovie alors que les purges staliniennes visent les juifs… les luttes humanistes sont-elles encore aussi internationales ?

Je n’avais pas réalisé qu’il était si connu en Russie, parce que j’ai grandi à une époque où l’URSS avait une image négative. Le voir en héros là-bas ça fait réfléchir : peut-être qu’on ne nous a pas raconté toute l’histoire… Robeson avait accès à des oeuvres auxquelles ses concitoyens noirs n’avaient pas accès, mais aujourd’hui, tout est accessible et on peut mobiliser vite à travers le monde. Le problème c’est : qui on combat et surtout pour quoi ? le capitalisme ? le fascisme ? la droite, le Bien ou le Mal ?  Et pire : il n’y a pas de leader. Comme le disait C.L.R. James, n’importe quel cuisinier peut diriger. 

L’exposition “Paul Robeson, un homme du Tout-monde” se tient au musée Quai Branly – Jacques Chirac à  Paris et se termine dimanche 14 octobre prochain. Un conseil, faites comme Anthony Joseph, courez voir l’expo.

Lire ensuite : l’interview d’Anthony Joseph

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