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The Pan African Music Magazine
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Diron Animal : du ghetto angolais au gotha de l'afro‑pop

Échappé du ghetto de Luanda à 17 ans et échappé temporairement du trio « kudurock » Throes + The Shine, l’Angolais Diron Animal se la joue solo le temps d’un disque, le bien-nommé Alone, sorti avec fierté sur l’excellent label anglais Soundway Records. Espoir, créativité et attitude positive côtoient les thèmes du réchauffement climatique et le goût pour le dancefloor. Interview à Lisbonne avant le concert de lancement de l’album.

PAM : « Le ghetto ne veut pas me quitter. » Du ghetto, qu’est-ce qu’il reste en toi ?

Diron Animal : Le ghetto ne me quittera jamais car c’est ma plus grande source d’inspiration et c’est là que j’ai appris à me débrouiller. Je me sens européen avant tout, mais je suis évidemment un Africain. Je suis né et j’ai grandi dans le ghetto de Cazenga à Luanda (Angola), et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 17 ans, avant de déménager pour Porto, au Portugal. Enfant, on avait beaucoup de temps libre parce qu’on avait école le matin seulement, de 7h à 10h. J’y ai donc appris à inventer des stratégies de survie et de créativité. Mes parents n’avaient pas d’argent pour m’acheter des jouets, et vers l’âge de 6 ans, 8 ans, mes amis et moi avons commencé à fabriquer nos propres objets. Par exemple, on utilisait les boîtes métalliques de lait et le caoutchouc des tongs pour faire des petites voitures. On trouvait tout ça dans les décharges, et on ne se rendait pas compte du danger que ça représentait. On faisait aussi notre propre télévision avec du carton et dans le trou de l’écran, on faisait un spectacle avec des personnages découpés. Puis vers l’âge de 14 ans, on faisait des trottinettes de bois. On était obligés de développer des compétences de création puisqu’on avait rien.

« Le ghetto ne me quittera jamais car c’est ma plus grande source d’inspiration et c’est là que j’ai appris à me débrouiller. »

Tu as gardé un lien avec les instruments et musiques traditionnelles angolaises ?

Oui. J’ai commencé à jouer des percussions dans le ghetto, sur des canettes de bière en métal. Puis j’ai fabriqué mon propre batuque [NdA: percussion angolaise], dont j’ai appris la technique avec les gens de la capoeira. C’est très simple : on achetait la peau de chèvre à une famille qui venait d’en tuer une pour leur consommation et on travaillait le bois.

L’album s’appelle Alone (« seul ») et tu as tout produit par toi-même: tu es habitué à faire les choses tout seul depuis tout petit. C’était facile de produire ce disque ?

Complètement. J’avais toutes les ressources sous la main, et une meilleure connaissance musicale, au niveau technique.

Et comment Soundway a-t-il décidé de sortir l’album ?

Je voulais sortir le disque sur un label européen, mais ne connaissais personne. J’ai contacté différents labels sur internet, mais ça n’a rien donné. J’ai demandé à mon ami Pedro Coquenão aka Batida  s’il avait le contact de Soundway, son label, et puisqu’il aimait bien mon disque, il l’a envoyé au D.A., qui m’a immédiatement envoyé un message pour me demander s’il pouvait sortir l’album au plus vite ! Il m’a dit que c’était la meilleure chose qu’il avait entendue de l’année…

À l’écoute des paroles des chansons de l’album, on a l’impression que tu cherches à dénoncer certains problèmes en Angola ou dans le monde – liés à l’argent, au travail, aux relations humaines – tout en gardant une légèreté pour réussir à faire danser les gens.

Il ne faut pas prendre mes paroles à la lettre ou au premier degré. J’utilise beaucoup l’ironie ou l’humour, et j’espère qu’au final les gens vont danser. Quand je chante qu’il n’y a que des problèmes dans la vie [« tudo na vida é problema »], c’est de l’ironie, car tout n’est pas forcément problématique, même si les gens se plaignent souvent. Dans « Kema », il y a cette phrase, « Ça brûle, il faut jeter de l’eau » [« tá a queimar, temos de pôr água »], qui fait référence aux pays qui sont victimes de feux de forêts chaque été. C’est une chanson qui aborde le changement et réchauffement climatique mais je n’ai pas pu être aussi explicite que dans mon autre groupe [Throes + The Shine] parce que je voulais chanter, et pas rapper. Mais le message reste le même, en moins évident.

Tu chantes que « le monde est en train de disparaître » (« O mundo está a acabar ») dans la dernière chanson de l’album, « Help ». Est-ce que c’est une chanson politique, d’engagement, de révolte ?

Je ne sais pas, peut-être. C’est encore une fois de l’ironie, je dirais. C’est évident que le monde ne tourne pas très rond, c’est vrai, mais est-ce qu’il est réellement en train de disparaître ? Je n’en sais rien, je pose la question, avec légèreté.

Dans la chanson « LM », tu chantes « Si je bois, c’est mon problème, si je fume, c’est mon problème, si je sors, c’est mon problème ! ». Tu t’adresses à qui ?

Écoute, je ne bois pas, je ne fume pas, mais je sors de temps en temps, c’est vrai. C’est une chanson qui s’adresse à tes voisins insupportables qui n’arrêtent pas de s’occuper des affaires des autres. « Laissez-moi tranquille, c’est mon problème! » Évidemment, les ados qui vont écouter cette chanson vont peut-être l’interpréter différemment et vont se permettre une certaine liberté par rapport aux règles de leurs parents. Cela dit, certains deviennent parents alors qu’ils ne savent pas assumer ce rôle, et si leurs enfants leur répondent ce genre de choses, ils le méritent !

Ces paroles racontent donc ton quotidien ?

Oui, et depuis le début. Je vais te raconter une anecdote. J’étais dans le duo The Shine en arrivant à Porto. On jouait dans des discothèques et on avait déjà fait quelques festivals. En 2009 on a lancé notre deuxième single, « Ta Doce », basé sur le sample de « Pon De Floor » de Major Lazer. Et c’était deux ans avant que Beyoncé l’utilise pour « Run The World » ! Pour revenir aux paroles, c’est avec cette chanson qu’on a contribué à lancer à Porto l’expression angolaise « tá doce » qui signifie « c’est frais », « c’est cool ». Et aussi le mot « mambo », qui veut dire « truc ». Le refrain de notre chanson a popularisé ces expressions : « tá doce! o mambo tá doce! » (« c’est cool ! ce truc est cool ! »). Maintenant, en Angola on dit « tá a bater ».

« Je ne suis pas très lié à la politique, mais je reconnais que parfois dans la vie, les choses ne changent pas, ou très peu… Par exemple, il n’y a toujours pas de vraie justice en Angola. »

Vu depuis Lisbonne – une ville très africaine avec une présence très forte des communautés angolaise, cap-verdienne, mozambicaine – le Nord et Porto sont des endroits plus compliqués pour les Africains ou afro-descendants, où la culture africaine est moins visible et comprise, et le racisme plus présent. Tu as déjà été victime de racisme à Porto ?

Oui, je suis très régulièrement victime de racisme. Mais aucun de ces actes de racisme ne m’a choqué. L’exemple typique, c’est un vieux que je croise sur un trottoir étroit et qui me dit « Dégage de mon passage, putain. Rentre dans ton pays ! » Je suis aussi chez moi à Porto, je n’ai pas de problème avec ça. Je trouve ça triste, évidemment, et parfois les raisons sont profondes – si la famille de cette personne a vécu des moments traumatiques à l’époque de l’esclavage ou de la colonisation, ou lors du retour au Portugal avec la décolonisation. Et puis il y a tellement de familles qui n’ont jamais connu de personnes africaines dans leur cercle. Ceux-là, leur esprit est déjà verrouillé. Mais les choses changent avec les nouvelles générations, et les couples mixtes. Moi-même je suis marié avec une Portugaise blanche et nous avons un enfant. Je reconnais que je suis quelqu’un qui relativise beaucoup, et qui prends beaucoup de distance. « Il faut avancer », c’est ma devise.

Est-ce que tu penses que l’Angola avance, depuis la sortie récente du président José Eduardo dos Santos, resté en poste depuis l’indépendance pendant 39 ans ?

Je ne suis pas très lié à la politique, mais je reconnais que parfois dans la vie, les choses ne changent pas, ou très peu… Par exemple, il n’y a toujours pas de vraie justice en Angola.

C’est de l’optimisme déçu ou du réalisme ?

Dans le passé j’ai été plus proche des milieux militants ou activistes, notamment via certains amis, ou mon frère. Mais c’est difficile d’avoir une vie normale en Angola quand tu es activiste. Et ce qui me donne de la peine, c’est que l’Europe se tait face à cette situation. Le Portugal devrait prendre la parole ! Mais ce n’est que mon opinion, et je préfère parler de ma musique et de ma production.

Diron Animal présentera « Alone » sur scène dans le cadre du festival Trans Musicales à Rennes le 10 décembre, Ubu, 00h15

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