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‘Boca de Lobo’ : plongée dans la gueule du loup d’un Brésil malade avec le nouveau clip de Criolo

Observateur lucide et sage de la décomposition sociale et politique de son pays, le rappeur brésilien Criolo signe son retour au rap conscient avec la vidéo de la chanson Boca de Lobo, dénonciation réaliste du chaos brésilien et appel à la mobilisation collective.

«Agora, entre meu ser e o ser alheio, a linha de fronteira se rompeu» : «Désormais, la frontière entre mon être et l’autre s’est rompue» C’est avec cet extrait d’un poème écrit et récité par l’immense Wally Salomão que Criolo commence sa diatribe contre le régime dont l’abus de pouvoir a contaminé une grande partie de la société. En effet, personne n’est épargné et tout le monde peut retrouver la tête première dans la boca de lobo – à la fois la «gueule du loup», ce piège d’une société pervertie, mais aussi la «bouche d’égout», l’autre signification donnée à cette expression dans la langue brésilienne. Et ils sont nombreux, ces derniers temps, les manifestants et activistes de défense des droits et minorités à s’être retrouvés la gueule ensanglantée contre une de ces bouches d’égout qui pavent les avenues de São Paulo, lors d’une des manifestations violemment réprimées par la police de l’État.

Ce weekend, samedi 6 et dimanche 7 octobre, les 150 millions d’électeurs brésiliens décideront de leur propre sort en glissant un simple bulletin dans les urnes : replonger vers un passé dictatorial cruel et violent ou affronter tant bien que mal les imperfections d’une démocratie moderne.

En quelques décennies, le Brésil s’est sorti d’une dictature militaire chrétienne (1964-1985) pour tenter de s’épanouir sous une démocratie d’inspiration socialiste qui n’a malheureusement pas su éviter la corruption (Lula da Silva puis Dilma Rousseff, 2002-2016), avant de sombrer à nouveau, brutalement, dans les coups bas d’un État néolibéral-autoritaire assumé (Michel Temer, 2016-2018). Cette transition a insidieusement préparé le terrain à la possibilité du retour d’une dictature néolibérale-fasciste, appelée de ses voeux par Jair Bolsonaro, ancien colonel nostalgique de la junte des militaires et candidat à la présidentielle en tête des sondages ces dernières semaines, après une tentative d’assassinat ratée sur sa personne. Un de ses slogans ? «Dieu, la Patrie et la Famille.»

«L’industrie du malheur fait les affaires du gouvernement
Il vend plus de médicaments, il vend plus de consortiums
Il vendrait jusqu’à sa propre mère, si c’était une bonne affaire.
Montesquieu souffre, ils l’ont revendu en lots.
(…)
Tiens, voici la machine à tuer les pauvres:
Au Brésil, si tu as une opinion, tu meurs.»
– Criolo, Boca de Lobo [traduction libre par l’auteur, NdA]
«É que a industria da desgraça pro governo é um bom negócio
Vende mais remédio, vende mais consórcio
Vende até a mãe, dependendo do negócio
Montesquieu padece, lotearam a sua fé
(…)
Olhe, essa é a máquina de matar pobre
No Brasil, quem tem opinião, morre»

Criolo, comme à son habitude, ne prend pas position dans ce jeu partisan qu’il sait vicié d’avance mais, fidèle à son rôle de rappeur-éducateur conscient, il cherche à éveiller les consciences et oblige son public à tenir le regard ferme face à une réalité qu’on croirait sortie d’un jeu vidéo apocalyptique. Pourtant, il s’agit bel et bien du Brésil d’aujourd’hui, celui de 2018.

«Nous n’oublions pas les mauvaises choses que les dirigeants nous ont faites. Nous n’oublierons rien, mais nous devons comprendre la situation sans nous replier sur la colère ou la haine», confie Criolo, à propos de ce single. Avant d’ajouter, «nous sommes en train de vivre des moments très forts, qui sans doute resteront dans l’histoire. Mais souhaitons que l’issue soit du côté positif, celui de l’espoir, de l’amour et de la joie, celui de la réconciliation et des retrouvailles avec ce qui nous apporte équilibre et sérénité.»

Filmé dans le centre de São Paulo, avec la participation d’activistes des mouvements sociaux – squats, associations de défense des minorités – le clip montre un Brésil resté trop longtemps au bord de l’implosion, si ce n’est de l’explosion, et dont la soupape sociale ne fonctionne plus. Malmenée ces dernières années par la corruption tous azimuts, à la fois au sein du pouvoir mais aussi dans la rue, au travail et dans l’intimité de la famille, cette soupape a fini par se briser, laissant éclater une violence tous azimuts: police militarisée dans les manifestations, pillages dans les magasins, interventions policières meurtrières dans les favelas, «nettoyage» violent des quartiers de prédilection des polytoxicomanes (notamment «Cracolândia» à São Paulo), incendie total du Musée National que l’État a trop longtemps négligé…

Quant au «plan de santé des pauvres ? Ne pas tomber malade !», rappe avec pertinence et détermination cet ancien éducateur social qui a grandi dans les favelas de São Paulo. Et qui n’a pas oublié qu’un flow bien posé vaut parfois tous les discours politiques du monde :

«1 pour la rancœur
2 pour l’argent
3 pour l’argent
4 pour l’argent
5 pour la haine
6 pour le désespoir
7 pour te fracasser la tête dans une bouche d’égout
Pendant que l’élite applaudit ses héros.»
– Criolo, Boca de Lobo [traduction libre par l’auteur, NdA]
“1 por rancor,
2 por dinheiro
3 por dinheiro,
4 por dinheiro
5 por ódio,
6 por desespero
7 pra quebrar a tua cabeça num bueiro
Enquanto isso a elite aplaude seus heróis”

Lire ensuite : Criolo, l’enfant conscient de la Zona Sul

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