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The Pan African Music Magazine
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Lumumba, héros national

#CongoFreedom (épisode 3) par Vladimir Cagnolari

Le 30 juin 1960, tout le Congo, et en particulier sa capitale – Léopoldville, danse le cha-cha de l’indépendance. Mais les nuages ne vont pas tarder à s’amonceler dans le ciel congolais. Le premier ministre, Patrice Lumumba, en fera les frais. Son nom reste depuis gravé dans les mémoires, et dans les chansons qui racontent sa douloureuse histoire.

Écouter la playlist sur Spotify et Deezer

Quatre jours après la proclamation de l’indépendance, les soldats congolais se rebiffent : ils veulent les mêmes avantages que leurs officiers blancs, belges, qui vivent dans le luxe quand eux s’estiment traités comme des esclaves. Et oui, car les Belges sont encore là. Le général Janssens qui dirige la Force Publique (chargée du maintien de l’ordre), les sermonne et écrit sur un grand tableau : pour la Force Publique, « Avant l’indépendance = Après l’indépendance »

Les soldats se mutinent de plus belle. Dans l’intérieur, ils séquestrent des officiers, s’en prennent à des civils belges. C’est la panique, et en quelques semaines 30.000 belges quittent le pays. L’armée congolaise n’est plus contrôlée, les cadres Belges de l’administration ont fui, et par dessus le marché, la Belgique envoie les paras.

Pour couronner le tout, moins de dix jours après l’indépendance, la province du Katanga, le coffre-fort minier du Congo, proclame son indépendance. Elle reçoit évidemment l’appui de la Belgique, qui y a gardé ses intérêts (et a largement encouragé cette sécession). 

Lumumba et le président Kasavubu en appellent à l’ONU, qui se contente de demander aux Belges de retirer leurs troupes. Sans effet. Alors les deux têtes de l’exécutif en appellent à Moscou… Les Occidentaux y trouveront le prétexte pour sceller le sort de Lumumba. Car l’Afrique qui se libère est déjà devenue un terrain de jeux où s’affrontent l’Est et l’Ouest. Moscou menace, l’ONU envoie enfin des casques bleus pour éteindre l’incendie. Là-dessus, la province du Kasai elle aussi fait sécession. Misère… Kasavubu, le président, révoque le premier ministre Lumumba, qui est confirmé par le parlement. Comme dirait l’écrivain Amadou Kourouma, « c’est un bordel de bordel : un bordel au carré ! » Mobutu, devenu colonel, décide de neutraliser les deux personnages, avec l’aimable participation de la CIA. Il forme un gouvernement de transition, et encercle la résidence de Lumumba, gardée par des casques bleus. Lumumba tente de s’échapper, mais il est rattrapé le 1 er décembre, 5 mois après son fameux discours. Lumumba est donc arrêté, sa photo, en bras de chemise, décoiffé et l’œil hagard a fait le tour du monde (voir archive INA).

On le transfère un mois plus tard à Elisabethville, la capitale katangaise. Là, avec de de ses fidèles compagnons, il est exécuté par les troupes katangaises sous la supervision d’officiers belges. Son corps est ensuite déterré et dissous dans de l’acide sulfurique. Histoire d’empêcher qu’on lui voue un culte. Le Congo va à veau l’eau, et Patrice Emery Lumumba, premier ministre démocratiquement élu, n’est plus. Liwa Ya Emery, la mort d’Emery, c’est la chanson que compose peu après Franco Luambo Makiadi, avec l’OK Jazz.

En guise de testament politique, avant qu’il ne soit exécuté, Lumumba avait écrit une dernière lettre à sa femme :

« Ma compagne chérie,

Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.

Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance.

Que pourrai je dire d’autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable.

L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.

Vive le Congo ! Vive l’Afrique !

Patrice Lumumba »

Lumumba est mort, le Congo est K.O. Mobutu, qui avant de le trahir, fut son ami et même son protégé, devient général et chef d’état major de l’armée congolaise. Il est chanté parmi les personnalités du nouveau gouvernement (Playlist: Gouvernement Ya Congo). Car oui, au Congo, on trouve toujours quelqu’un pour chanter les dirigeants.

Au Congo, six mois après, le cha-cha de l’indépendance a laissé place à la pire des gueules de bois. Mobutu avec l’aide des américains parvient à réduire la sécession katangaise, la rébellion menée par les partisans de Lumumba, et finira par prendre absolument le pouvoir, pour l’exercer de manière… absolue. Cinq ans après l’indépendance, il est le maître du pays, et fait réhabiliter Patrice Lumumba, dont il fait un héros national. C’est fou cette tendance qu’ont certains dirigeants à déclarer leur flamme post-mortem aux êtres chers qu’ils ont si bien trahis. Il demande même à Franco, le colosse aux doigts de fée, de dresser un monument musical à “Lumumba, Héros National”. C’est le titre de la chanson qu’il compose, cinq ans après avoir pleuré la mort du martyr.

« Alors Mobutu,  suis le chemin que tu as convenu avec Lumumba
Lorsque Mobutu s’exprime, c’est comme si Lumumba était ressuscité
Oh Mobutu, Lumumba est mort pour l’indépendance économique du pays.
»

Lumumba rhabillé aux couleurs du MPR, le mouvement populaire pour la Révolution de Mobutu : on ne pouvait pas mieux faire !!! C’est d’ailleurs sur cette scène que se termine la pièce de Césaire, Une Saison au Congo. Mobutu, dans la pièce, s’appelle Mokutu. Mokutu donc, inaugure le boulevard Lumumba et, après avoir fait l’éloge de celui qu’il appelle Patrice, se recueille. La foule crie le nom de « Lumumba !!! Gloire immortelle à Lumumba. »

Mokutu s’adresse à l’un de ses ministres : « Assez, j’en ai marre de ces braillards! Il faut que ce peuple sache qu’il y a des limites que je ne tolérerai pas qu’il dépasse. Faites charger! » Au chef de sa garde qui accourt : « Allons ! Nettoyez moi-çà! En vitesse ! Histoire de signifier à ces nigauds que notre poudre est sèche et que le spectacle est terminé. Feu ! »

Lumumba demeure une figure majeure de l’anti-colonialisme, et son nom a été chanté aussi bien à Cuba (Carlos Puebla, qui avait chanté le Che) qu’au Nigeria (E.C. Arinze) ou au Mali (Maravillas du Mali).

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