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The Pan African Music Magazine
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Blick Bassy : « Il est important que l’Afrique se reconnecte avec son histoire »

Blick Bassy rend hommage au leader indépendantiste camerounais
Ruben Um Nyobè. Le 1er décembre au 
festival Africolor

Blick Bassy s’apprête à rendre hommage, au cours d’une causerie musicale, au leader indépendantiste camerounais assassiné le 13 septembre 1958 par les troupes coloniales françaises. La « veillée » se déroulera à Paris, dans le cadre du festival Africolor qui consacre un cycle de conférences et de projections à cet homme que les autorités françaises puis camerounaises essayèrent d’enterrer sous une chape de silence. Interview à la veille des répétitions.


1958, pourquoi revenir sur cette année ? 

Blick Bass : Je reviens dessus pour plusieurs raisons, parce qu’on n’a pas assez parlé de ce personnage incroyable qu’était Um Nyobè, doté d’une intelligence, d’une capacité d’analyse, d’une vision de l’avenir non seulement du Cameroun, de l’Afrique, mais aussi de l’évolution du monde. À partir du moment où on commence à lire sur Ruben Um Nyobè, qui s’est battu pour l’indépendance du Cameroun, je pense qu’on tombe forcément amoureux du personnage. Moi j’en ai entendu parler depuis très longtemps. Et ce qui a attiré mon attention, c’est qu’aujourd’hui encore, quand on parle de ces gens qui se sont battus pour notre liberté, on les appelle les « maquisards »… avec un sens péjoratif. Au Cameroun, quand on dit que tu es un « maquisard », ça veut dire que tu es un dangereux personnage. En plus, comme la guerre se passait majoritairement dans les villages bassa, ça a donné aux Bassa une réputation de méchants, de gens toujours prêts à prendre les armes pour se défendre. Tous ces préjugés viennent du fait que la guerre se passait là-bas. D’ailleurs ma mère a vécu pendant deux ans dans la forêt avec mon grand-père, parce que, comme on torturait tous les gens censés connaître Um Nyobè, et que le village de ma mère est voisin de celui où il vivait, vers Boumnyebel, et mon père du même département (le Nyong-et-Kellé, tous les soirs ils se cachaient pour ne pas être torturés ou tués, à l’époque où l’on traquait Um Nyobè dans la région. 
 

Um Nyobè, au centre, portant des lunettes.


Je voudrais parler aussi de cette histoire pas seulement pour réhabiliter ce personnage comme l’ont fait Achile Mbembe, Hemley Boum et quelques autres… je voudrais non seulement le faire connaître – c’était un personnage hyper puissant, comme les Sankara, les Lumumba… Mais aussi rappeler qu’il est essentiel de nous rappeler de notre histoire. Parce que nous allons chercher des solutions ailleurs. Or les solutions, nous les avons. Nous les avons sous nos pieds, notre environnement nous parle, nous propose, mais malheureusement nos sociétés sont construites sur des structures étrangères : constitutions étrangères, structures politiques, économiques, éducatives étrangères… donc pour pouvoir s’émanciper et se réaliser, il est important que l’Afrique se reconnecte avec son histoire, avec sa propre structure de base à elle, et à partir du moment où elle va remonter cette structure de base, elle pourra construire dessus tout ce qu’elle voudra. Donc autant de choses qui font que, pour moi, Um Nyobè c’est juste une espèce de prétexte, pour tout simplement nous rappeler que ce mec se battait pour quelque chose d’essentiel. Quelque chose qui va pouvoir demain faire briller l’Afrique, à partir du moment où nous nous réconcilions et nous reconnectons avec ce que nous sommes réellement. 
 


Tu as composé des morceaux autour du personnage, et de cette époque : peux-tu nous en donner un exemple ? 

Oui j’ai composé quelques titres autour de ce personnage, en partant de qui il était, car j’aime bien jouer à rentrer dans la tête des gens et là je me suis dit : s’il vivait aujourd’hui en 2018, qu’est-ce qu’il penserait de la situation du Cameroun ? Dernièrement, on a assisté à une espèce de mascarade qu’on a appelée élection et qui est pour moi tout simplement un théâtre qui fait rire et pleurer en même temps, et donc je suis rentré dans la tête d’Um Nyobè en me disant : lui qui s’est battu et qui a donné sa vie pour nous, qu’est-ce que nous avons fait de cet héritage ? S’il était là, qu’est ce qu’il penserait de tout ce cinéma où nous essayons de mimer l’Occident, de faire de la politique à l’occidentale, nous essayons de faire « la démocratie » à l’occidentale ? Pourtant, nous avons nos modèles à nous ! Alors que penserait-il, que dirait-il s’il était là ? J’ai une chanson par exemple qui parle de cela. 
 


Le 1er décembre, le festival Africolor t’a donné carte blanche pour évoquer, avec des invités, Um Nyobè. Peux-tu nous dire quelques mots du programme ? 

En fait, c’est une espèce ce talking gig, une sorte de conversation autour de la musique et du conte. Pour cela j’ai invité l’incroyable Binda Ngazolo, qui va conter autour de ces questions, des histoires accompagnées par de la musique, parfois de la voix. Le fil conducteur sera justement Um Nyobè.

J’avais aussi invité un rappeur, un bâtisseur du hip-hop au Cameroun. Il s’appelle Krotal, et nous sommes en train de nous battre pour les questions de visa [apparemment, on vient de lui refuser pour la seconde fois].
 


Je pense que les consuls et la France ont une démarche contre-productive, parce que je ne comprends pas comment on peut vouloir en même temps freiner l’immigration et refuser un visa à un mec comme Krotal qui est une référence, qui est le créateur même du hip-hop au Cameroun : c’est passer un message incroyable à nos nouvelles générations en leur disant « les gars, même quand vous êtes exemplaires, même si vous êtes une référence et que vous êtes sérieux, on crache sur vous, on ne vous donne pas de visa. Donc si vous voulez partir, vous n’avez qu’à prendre le bateau parce que de toute façon, on ne vous donne pas de visa quelque soit ce que vous faites, quelque soit ce que vous êtes, quelque soit ce que vous représentez ! j’aurais tellement aimé que Krotal soit là pour discuter de ces questions… c’est quelqu’un de très brillant, de très cultivé, qui forme des jeunes, qui produit des jeunes, et refuser un visa à une personne pareille, c’est une insulte aux artistes pas seulement camerounais, mais africains et il y a un moment il faut qu’on se lève, nous les artistes, en disant non ! vous ne pouvez pas continuer à parler des droits de l’homme, à dire que les hommes sont égaux, et traiter comme de la merde certaines personnes parce qu’elles appartiennent à une région. Donc, ce sera aussi une occasion de rappeler ça et de dire qu’on en a marre de ça, qu’il faut que ça s’arrête ! C’est vrai qu’il revient d’abord à nos responsables politiques africains, de se lever et d’appliquer tout simplement la réciprocité, parce que nous sommes dans un monde où le seul moyen de se faire entendre, c’est le rapport de force.

Blick Bassy – 1958, le 1er décembre 2018 à Paris, Centre Barbara Fleury-Goutte d’Or, à l’occasion du festival Africolor.

Lire ensuite : 30e édition d’Africolor : les femmes en force
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