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The Pan African Music Magazine
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Black‑Blanc‑Beur : quand le French boogie était branché sur la sono mondiale des années 80

Chébran – French Boogie 82/89 Vol 2 est une compilation salutaire pour se rappeler qu’il y a 40 ans, on a vraiment cru à la possibilité d’une France black-blanc-beur inspirée par les sonorités des States. Et si aujourd’hui, on redonnait au verlan sa force antisystème ? La sono mondiale peut-elle à nouveau être branchée ?

Il y a quelque chose du soleil de province dans cette compilation. Le soleil des routes nationales et des zones industrielles dans lesquelles les discothèques et boîtes de nuit – « Moonlight », « Sphinx » et autres « Manhattan » – ont élu domicile dans la France des années 1980. Ce pays des grands ensembles HLM, des villes nouvelles et des utopies sociales d’intégration pacifique, qu’on regarde aujourd’hui comme à travers un filtre suranné, jauni ou grisé, c’est selon si l’on se place du côté des optimistes ou des pessimistes.

Car on faisait mine alors, en surface et dans les discours officiels, d’accepter et de valoriser l’apport culturel des populations immigrées des anciennes colonies françaises, jusqu’à accompagner la ferveur des luttes pour les droits des immigrés à travers SOS Racisme, son slogan « Touche pas à mon pote » et « La Marche pour l’égalité et contre le racisme », d’ailleurs  rebaptisée immédiatement « Marche des Beurs » par les médias. Ultime preuve, s’il en était besoin, que la fraternité revendiquée n’était que de façade (grise et bétonnée).


Au milieu de ce grand bain d’espoir où l’on se tournait vers les États-Unis, pionniers des luttes ethniques à travers le mouvement hip-hop, le funk et le disco, où l’on imaginait que la musique pouvait consolider, voire établir, une fraternité heureuse, certains musiciens amateurs et producteurs plus ou moins établis vont tenter le métissage à la française – limite franchouillard, à l’image du terme
chébran qui introduit la compilation, un verlan qui a depuis perdu toute verve contre-culturelle. Cet état d’esprit, encouragé à la fois par l’éclosion des « radios libres », alors vraiment libres et indépendantes ; par le travail acharné de défrichage, jumelage et collage sonores des branchés de Radio Nova ; et par l’amateurisme valorisé par les MJC de quartier, est sans doute ce qui a permis l’éclosion de ces nombreuses productions sans genre prédéfini, et aux thèmes a priori légers et exempts de toute critique sociale. La « Propriété Privée » défendue par le Sénégalais Sammy Massamba n’a rien de politique puisqu’il désigne ainsi la femme qu’il convoite, ou sa compagne actuelle (« Elle est à moi ! Attention, ne touche pas ! »), chanson ouvertement sexiste qui aujourd’hui ne dépasserait sans doute pas le seuil de la porte d’un studio ; à « Qu’est-ce qui ne va pas ? », Alfio Scandurra répond « Le smurf est là / Danse avec moi » ; Nourddine « Nordine » Staïfi, le chanteur algérien de Sétif, se montre fier du « R-A-K-S-I, dansez le raksi », genre musical et danse algériennes ; quant à Jeannot aka J.M. Black, il « craque pour une star » et « flashe sur Lipstick / au coin du bar » dans une bombe funk taillée pour les dancefloors, qui n’a rien à envier aux succès d’alors de François Feldman, sous le nom FF Yellowhand, une pâle figure plus acceptable dans les sonos de boîtes de nuit d’alors.

J.M. Black ‎– Lipstick (Shout !)


Seules exceptions, notables, « Pourquoi Tant de Haine » de Joël Ferrati, et l’ovni « Ettika », dont la genèse détonne ici : morceau collectif, enregistré par l’animateur scolaire Bernard Guégan et 
produit par Jean-François Bizot du magazine branché Actuel, il est le résultat discographique d’un atelier mené au CEPPIC (Centre de perfectionnement pour l’industrie et le commerce) de Rouen, sorte de CFA des années 1980. Le jeune Guégan, tout juste diplômé des Beaux-Arts de Lorient, est embauché pour mener un atelier d’initiation aux arts auprès d’une classe de jeunes filles déscolarisées et issues de familles fauchées – sans blé – par le chômage, l’illettrisme et l’alcool. Une moitié d’origine française, l’autre de parents immigrés, principalement maghrébins. L’idée de génie du jeune prof, entre geste dadaïste et fulgurance situationniste – on est alors en pleine utopie socialiste prônée au plus haut sommet de l’État – est de faire rapper ces gamines sans horizon sur un beat arabisant, les invitant à scander en arabe puis en français les strictes et froides formules administratives qu’on oppose alors à ces apprenties exclues du marché du travail : « n’étant pas bachelière ni certifiée, et d’origine non distinguée » ; « ne pouvons donner suite à votre courrier » ; « interdit de » ; « prière de », etc. Soit le collage surréaliste d’une réalité qui collait mal à l’image d’intégration apaisée que s’évertuaient à donner les politiques.


Un détail importe ici, cependant.
Scander en arabe puis en français. C’est là sans doute un des éléments les plus intéressants que l’on retrouve sur le reste de cette compilation, donnant à entendre une totale décontraction avec l’usage triple et simultané du français, de l’anglais approximatif et parfois yaourtisé, et de la langue du pays d’immigration (l’arabe, souvent). Un usage linguistique et culturel décomplexé, oui, mais seulement pour ces productions à l’audience confinée, malheureusement pas représentatives des réalités sociales de l’époque. Et on retrouve ici l’autre exception de la compilation, quand le fils d’immigrés Joël Ferrati aka MC J.O.E.L et futur membre des Timide et Sans Complexe, alerte qui veut bien l’entendre, qu’« à cause d’une couleur de peau il a souvent la gêne ». La chanson, que l’on retrouve en clôture du film de loubards parisiens Furie Rock, s’intitule « Pourquoi Tant de Haine ». Elle sort en 1988, sept ans avant un autre film, culte, social et générationnel : La Haine.

En 1986, le Front national installe ses premiers députés à l’Assemblée nationale, soit 35 représentants d’une France raciste qui se dessine lentement. En 1989, le parti xénophobe et anti-immigration rafle sa première municipalité. En 2018, date de sortie de cette compilation, le FN fait 13% aux présidentielles, et s’est retrouvé au second tour à deux reprises ces dernières années. Une sinistre époque dans laquelle il est bon de se replonger dans les utopies musicales sans frontières de quelques franc-tireurs.

Lire ensuite : Pierre Sandwidi, le troubadour de la savane

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