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The Pan African Music Magazine
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Au Soudan du Sud, quand la musique résiste aux bombes

Programmé au festival Africolor à Paris, le film Beats of the Antonov témoigne du pouvoir réparateur de la musique en temps de guerre.

Dans son film, Beats of the Antonov, le réalisateur Hajooj Kuka, nous prouve qu’il est possible de se construire une identité à travers la musique en temps de guerre. Tourné en plein conflit inter-soudanais sur une période de deux ans, et sorti en 2014, il se situe dans la région montagneuse du Kordofan du Sud, au Soudan. Journaliste de passage dans la région pour y documenter ce qui s’y déroule, Kuka découvre une réalité totalement insoupçonnée, bien loin des représentations que l’on se fait de ce conflit.  Le Kordofan du Sud est l’épicentre d’une guerre qui oppose la population du Sud, majoritairement chrétienne et animiste au gouvernement de Khartoum situé au Nord, majoritairement musulman.

Cette vie, dans Beats of the Antonov, c’est la musique : de gigantesques rassemblements où les gens dansent et chantent malgré la guerre et l’instabilité qui font rage.

Outre les bombardements, il y a bien sûr une vie avant, après et pendant le passage des bombardiers de marque Antonov. Et cette vie, dans Beats of the Antonov, c’est la musique : de gigantesques rassemblements où les gens dansent et chantent malgré la guerre et l’instabilité qui font rage. Le réalisateur s’y est donc installé pour vivre avec les Noubas, les populations locales victimes des bombardements du régime d’Omar El-Béchir. Pendant deux ans, il a tourné un film au montage et aux images brutes. Il démontre comment, en temps de conflit, une société en crise identitaire, se réapproprie ses codes culturels à travers le prisme de la musique et de la danse. Car au Soudan, on le comprend mieux avec ce documentaire, il n’y a pas une identité nationale mais plusieurs identités aux valeurs et cultures bien différentes.

UN PAYS DEPUIS LONGTEMPS DIVISÉ

Avant même l’indépendance du Soudan, proclamée en 1956, le pays a toujours connu des tensions internes entre le Sud et le Nord. Le Sud subissant des pressions culturelles et religieuses du Nord. Mais depuis 2011, année du référendum d’autodétermination du Soudan du Sud, un autre conflit s’est engagé.  Le Nord a envahi la région d’Abiyé, qui est un pont naturel entre le Sud et le Nord mais qui est également riche en pétrole. Les deux États convoitent donc la région, ce qui provoque un conflit qui se poursuit encore aujourd’hui. Mais le pétrole n’en est pas le seul enjeu.

« Une des idées fondatrices sur lequel repose mon documentaire -nous explique Hajooj Kuka, joint au téléphone- c’est que la guerre se poursuit à cause d’une crise identitaire. Il n’y a pas UNE identité soudanaise, mais de multiples identités. Plusieurs petits groupes de gens ne se sentent pas faire partie du projet national mené par la majorité du Nord, et beaucoup de décisions ont été prises au détriment de leur volonté. Alors, ces gens ont commencé à prendre les armes, puis ils ont réalisé que même s’ils utilisaient ces armes, ils étaient en train de perdre leur identité, leur culture et devenaient un peu comme leurs propres ennemis, dénaturés et loin de leurs repères culturels. »

Paradoxalement, la force de cette guerre civile est de faire en sorte que les déplacés de toutes origines ethniques du Soudan du Sud se rassemblent dans des lieux et proposent de la musique et de la danse, ce qui crée un liant social.

Le conflit a généré des déplacements nombreux, c’est des millions de personnes qui ont dû quitter leurs maisons, ce qui a multiplié les camps de réfugiés éparpillés à travers le pays et au dehors. Dans Beats of the Antonov, on pénètre dans ces camps pour assister à des concerts et des instruments nés de la nécessité, fabriqués avec des matériaux de récupération. Paradoxalement, la force de cette guerre civile est de faire en sorte que les déplacés de toutes origines ethniques du Soudan du Sud se rassemblent dans des lieux et proposent de la musique et de la danse, ce qui crée un liant social.

BEATS OF THE ANTONOV

ALSARAH ET LA MUSIQUE DES FILLES

« À l’origine, quand je me suis rendu dans la région du Nil Bleu, je n’y allais pas pour réaliser un documentaire, j’y allais plutôt pour documenter ce qui s’y déroulait nous dit le réalisateur. Puis, j’ai rencontré des musiciens, je suis ensuite allé à la rencontre de Alsarah à qui j’ai fait écouter tous ces musiciens que j’avais enregistrés. Je lui ai expliqué qu’en me rendant sur place je m’attendais à rencontrer des gens en état de stress, de trauma, puis finalement je suis tombé sur des gens qui font la fête comme des fous! À partir de cet instant, le film était né. »

Alsarah est une ethnomusicologue Américano-Soudanaise. Egalement chanteuse, elle est la leader du groupe Alsarah & the Nubatones.  Elle accompagne le réalisateur dans le film, en tant que consultante musicale. Elle lui permet de mieux comprendre ce qu’il découvre et enregistre. L’une de ces découvertes est un style musical qui semble totalement nouveau dans le champ des musiques soudanaises : la musique des filles (Girls Music).

« Les gens veulent simplement exister et avoir un espace pour se réaliser. »

« Cette forme musicale que l’on a enregistrée avec Alsarah est un thème central de mon film, car elle traite d’identité et d’affirmation de soi. La musique des filles est un aperçu d’une réelle autodétermination dans un pays qui dicte ses lois morales et vestimentaires au détriment des us et coutumes de chacun. La musique des filles va à l’encontre de la façon dont l’industrie musicale fonctionne au Soudan. Les filles y racontent ce qu’elles veulent quand elles le veulent, les paroles sont changeantes et il n’y a pas non plus de scène à proprement parler. Les filles chantent avec les gens et les gens chantent avec les filles, la musique fait partie de la vie, elle n’est pas sacralisée par le conservatoire de musique ou le rôle prédominant du poète dans les musiques du Nord. C’est un début d’expression identitaire qui donne à penser que le Soudan du Sud peut aller dans cette direction et ne plus avoir à s’exprimer par les armes mais par ses artistes. »

BEATS OF THE ANTONOV

L’ESPOIR ET NON LES BOMBES

Il y a beaucoup d’espoir dans le film de Hajooj Kuka, et c’est peut-être là que réside toute sa force et l’intelligence de l’angle qu’il s’est choisi. Outre le fait de voir autrement un conflit, il permet de comprendre comment la culture permet de résister et de mieux se comprendre. Vous direz que cela n’arrête pas les bombardements, mais c’est faux. Le travail vidéo du réalisateur, paru dans un contexte géopolitique favorable, a contribué à ouvrir les yeux de la communauté internationale sur ce conflit. Un cessez-le-feu a d’ailleurs été signé dans la région. Le Sud-Soudan demeure cependant fragile, comme en témoignent aujourd’hui encore les spasmes guerriers qui régulièrement le secouent.

« Ce film et ces rencontres ont complètement bouleversé ma façon de voir le conflit, nous explique le réalisateur soudanais. Pourquoi y’a-t-il une guerre ? Pourquoi les gens se battent ? Que demandent-ils ? Tout d’abord, j’ai décidé de m’y installer et de vivre avec eux, et j’y habite encore aujourd’hui. Avant d’y habiter, je pensais que la seule chose que voulaient ces populations était une grande école, un hôpital, des autoroutes pavées et l’électricité. Je me suis bien vite rendu compte que c’étaient là des perspectives de citadins et non la réalité de ces zones rurales. Les gens veulent simplement exister et avoir un espace pour se réaliser. Ensuite, il y aura d’autres priorités, mais pour le moment c’est le combat que nous menons. »

Le film Beats of the Antonov est présenté dans le cadre du festival Africolor, le dimanche 10 décembre à 18:30.

Lire ensuite : Sahel Sounds : l’aventure des sables, au-delà des mirages exotiques

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