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The Pan African Music Magazine
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Il est temps que tout le monde connaisse Ablaye Cissoko

Le griot a beau être modeste, il est une légende de la kora. Il a même fondé à Saint-Louis une école dédiée à l’apprentissage de l’instrument. Amadou Dieng, notre correspondant au Sénégal, lui a rendu visite juste avant qu’il ne s’envole pour une nouvelle tournée.

Parmi les légendes de la Kora, Ablaye Cissoko tient une place de choix. Il nous reçoit et, le temps d’un thé, évoque pour PAM son parcours, ses projets et le souvenir du regretté bassiste Habib Faye, qui répétait inlassablement : « Il est temps que le monde connaisse Ablaye Cissoko. »

Saint-Louis. Nous sommes mercredi, il est 18 heures. La ville est encore dans l’effervescence de la fête de la Tabaski célébrée il y a quelques jours à peine. Nous avons rendez-vous avec Ablaye Cissoko à Ndiolofene. C’est dans ce quartier que le fameux joueur de Kora a en 2015 ouvert une école dédiée à l’apprentissage de cet instrument légendaire dont il est devenu un des plus brillants ambassadeurs. Abritée par une maison coquette, dans ce style colonial typique de Saint-Louis, l’école de Kora dénommée Kordaba abrite entre autres des bureaux, des chambres destinées à accueillir des résidences et évidemment les salles de classe ou trônent fièrement des Koras qui ont l’air de dire aux hôtes : « Nous sommes les maitresses des lieux ». C’est dans la grande cour, à l’ombre des citronniers, qu’Ablaye nous reçoit. Toujours souriant et avenant, notre hôte est d’une bienveillance sans bornes. Sitôt arrivé, un thé est servi. L’artiste en boubou traditionnel est entouré de ses proches collaborateurs et de temps en temps, l’un d’eux interrompt notre discussion pour lui faire signer un document. Il en a fait du chemin depuis Diam son premier album sorti en 2003.

Héritier d’une longue tradition de griots mandingues, il a assimilé très jeune, dans la cour de la concession familiale, les rudiments de l’instrument et du chant, avant d’entrer au Conservatoire de Dakar.

« Mon père nous a dit : allez au Conservatoire de musique, quand les gens diront j’ai bac+4 ou 5, vous présenterez vous aussi votre diplôme de Kora » raconte-t-il.

Son parchemin en poche, le jeune homme qui s’apprête à partir sur les routes du monde musical n’en reste pas moins, d’abord et avant tout, un griot :

« Je me présente toujours comme un griot. Certes je suis musicien, mais le fait de me présenter comme griot est pour moi plus englobant. Il me permet de revendiquer toute l’histoire et toute la culture mandingue. C’est une lourde responsabilité et une grande fierté pour moi que de m’inscrire dans cette perspective et de me mettre dans la lignée de ces grands griots du passé qui ont eu à promouvoir cet instrument » soutient l’auteur du Griot Rouge, opus paru en 2005.

Ablaye Cissoko se veut le continuateur de cette aventure commencée il y a plusieurs siècles de cela.

« Mes aïeux, ont joué de à la Kora et ont transmis ce savoir de génération en génération jusqu’à nous aujourd’hui. Nous avons le devoir de garder cet héritage tout en nous adaptant à notre temps et léguer à nos descendants ces connaissances ancestrales. Cette chaine ne doit pas s’interrompre » confie-t-il.  

L’ouverture de son école entre en droite ligne dans cette volonté de transmettre. Tout comme, Mes Racines l’album sublime qu’il sortît en solo en 2013.

Instrument traditionnel de l’Afrique de l’Ouest, la Kora prend sa source en Gambie où Kimitang Cissoko plus connu sous le nom de Dialy Mady Wouling Cissoko, aïeul de Ablaye, assemble pour la première fois, le matériau de base de cette harpe bien africaine avant de s’installer définitivement au Sénégal, précisément en Casamance. Par la suite, la kora touchera la Guinée, le Mali et le Burkina Faso etc… raconte Ablaye Cissoko.

Pourquoi lui le natif de Kolda (région de Casamance), s’est-il installé à Saint-Louis ?

« Le joueur de Kora a une vie très nomade. En 1985, je suis venu jouer à Saint-Louis avec mes oncles et je ne suis jamais reparti. La ville et son fleuve m’ont adopté. Ce dernier m’a énormément inspiré. Pendant des années, de jour comme de nuit, avec une chaise en fer, j’y faisais des ateliers et travaillait mon instrument. La plupart de mes compositions ont une relation avec ce fleuve. Enfin, Saint-Louis m’a donné une de ses filles et mes enfants sont nés ici. Saint-Louis m’a tout donné » s’exclame l’artiste. Et Ablaye lui rend régulièrement hommage, au point de baptiser Saint Louis son album paru en 2011. Un peu comme l’on donnerait à son enfant le nom d’un ami cher.

Allant plus loin dans sa confession, Ablaye Cissoko associe la vieille cité à sa grande ouverture musicale. En fait, le maestro, en plus d’avoir absorbé toute la musique traditionnelle, s’est ouvert au monde du jazz, de la soul et des sonorités les plus modernes.

« Saint-Louis est une ville de métissage et de brassage. Capitale de l’AOF, ancienne capitale du Sénégal, la ville était le creuset de l’intelligentsia sénégalaise. Les cultures s’y croisaient. Elle était déjà à l’époque très ouverte sur le monde. Elle était inspirante pour la mode, la musique et même pour la gastronomie entre autres. Naturellement cela déteint sur la façon dont les habitants de la cité vivent et conçoivent le monde » pense-t-il.

Sa collaboration en 2015 avec Constantinople, formation montréalaise d’origine iranienne, est assez illustrative de l’éclectisme de cet artiste hors pair. Jardins Migrateurs l’excellent album issu de cette rencontre est une fusion des plus exquises entre culture persane et mandingue. Ce disque témoigne également de ce besoin qu’Ablaye de partager la scène et d’aller à la rencontre des autres cultures.

« Plus jeune, lorsque des groupes de musique venaient à l’Institut Français, je courrais les écouter et m’abreuver de ces sonorités venues d’ailleurs qui me parlaient. C’est à cette période j’ai su que ma vie de musicien passerait aussi par des rencontres et collaborations » se souvient Ablaye.

Les rencontres jalonnent sa vie, hier comme aujourd’hui. Et donnent pour certaines naissances à des disques comme Quand se taisent les oiseaux (2007) en compagnie de François Janneau, saxophoniste français adepte du free jazz. Il joue beaucoup aussi avec le trompettiste allemand Volker Goetze (albums Sira en 2008 et Amanke Dionti en 2012). Avec le batteur français Simon Goubert, il rend hommage à John Coltrane et aux Sabars (percussions sénégalaises), dans un album fort inspiré et profond intitulé African Jazz Roots (2012). En 2017, Goubert et Cissoko remettent ça et sortent Au Loin.

La nuit commence à tomber sur Saint-Louis et la torride chaleur de la journée fait place à une brise dont seule la vieille cité a le secret.

Comment Ablaye Cissokho qualifierait-il la musique qu’il fait ?

« Je n’arrive pas la qualifier. Tout ce que je peux dire est que j’aime déranger. Parfois, je reprends des morceaux traditionnels et je me retrouve à les jouer de façon très jazzy. L’inverse aussi peut arriver. C’est sans doute parce que je ne calcule pas ou me fixe des limites. Je joue et je laisse la musiquer me guider. Laissons les autres la qualifier selon leurs convenances » défend le célèbre joueur de Kora.

Ablaye Cissoko a un jeu aérien, envoûtant, hypnotisant même. Comme le fleuve Sénégal qu’il aime tant, Ablaye Cissoko berce tranquillement son public et l’amène en voyage dans des univers insoupçonnés. Sa voix (il chante merveilleusement bien) tout comme sa Kora sont des délices pour les oreilles. On a pu s’en rendre compte à maintes reprises. La dernière fois, c’était en 2017, à l’Institut Français de Saint-Louis dans le cadre du projet Autour de Minuit qu’il développait pendant le fameux festival de jazz de la ville avec Habib Faye le bassiste sénégalais disparu il y’a peu.

Ablaye Cissokho n’aime pas trop parler de la disparition de Habib Faye. Il la des trémolos dans la voix lorsque l’on aborde le sujet.

« Habib… (il cherche ses mots) Que Dieu l’accueille dans son Paradis. Ce n’est pas un petit personnage… (silence).. Un homme profondément humain. Très jeune, il avait déjà un nom et malgré tout, il est resté très humble et très généreux. Un énorme musicien et superbe arrangeur. Je lui disais souvent : avec toi, je me rends compte que je ne savais pas jouer à la Kora (rires). C’est un immense personnage » se rappelle-t-il.

La valorisation des instruments traditionnels, dernier projet d’envergure qui lui tenait à cœur, Habib Faye n’a voulu le faire qu’avec son compère Ablaye Cissokho.

Après une première collaboration en 2015 avec la tournée Kola Note Café, Habib et Ablaye décident d’aller vers un album et enchainent les prestations scéniques et les séances studios.

Les deux talentueux musiciens s’apprécient et se vouent un respect mutuel. Dès leur rencontre, ils veulent travailler ensemble, mais leurs carrières respectives les empêchent de le faire. Ils se croisent dans les festivals du monde, se suivent et échangent sur leurs expériences. Habib Faye veut travailler sur les sonorités traditionnelles et Ablaye cherche toujours à « déranger ». Les deux veulent proposer aux mélomanes du monde une musique originale et fouillée basée sur les instruments traditionnels. Ils ne pouvaient que se rencontrer. À propos de leur rencontre, Ablaye avoue volontiers avoir fait le premier pas.

« Quand j’étais avec Habib, j’étais comme un élève avec son maitre. C’est moi qui suis allé vers lui parce que non seulement c’est mon ainé, mais surtout parce que nous devons un grand respect aux grands artistes comme Habib Faye. En allant vers lui, c’était l’occasion de lui dire toute mon admiration. Qu’il repose en paix » termine-t-il emprunté.

Aujourd’hui, Ablaye Cissokho tourne difficilement la page d’autant plus que l’album tant attendu avec Habib Faye était prêt à sortir et une tournée à travers le monde déjà programmée.

« Avec cette disparition subite et triste, beaucoup de dates ont été annulées. Quant à l’album, je ne suis pas seul à décider dans l’affaire. Sa famille aussi à son mot à dire et je les suivrai volontiers dans leurs décisions » explique Ablaye, serein.

En attendant, l’héritier des Soundioulou Cissokho, Lalo Keba Dramé, Djeli Mady Cissokho, essaye de se remettre en selle tant bien que mal et quel meilleur moyen que de replonger dans le travail ? Il évoque ses projets notamment la sortie dès le mois d’octobre, d’un album dénommé Traversée, fruit d’une nouvelle collaboration avec le groupe Constantinople (nous y reviendrons). Au moment du lancement du nouvel opus, Ablaye sera déjà sur les routes. Il entame la semaine prochaine une traversée de 45 jours qui le mènera en Europe et ailleurs. S’il est de passage dans votre ville, ne le ratez surtout pas : il est temps que le monde connaisse Ablaye Cissokho !

Lire ensuite : Habib Faye s’est retiré en laissant un grand vide, et beaucoup d’héritiers

Ablaye Cissoko par Amadou Dieng

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